Jean-Pierre Lledo est un écrivain, cinéaste et documentariste algérien, quasiment inconnu du public de son pays. Il est l’auteur de « L’empire des rêves », un film de deux heures produit en 1982, « Lisette Vincent, une femme algérienne », produit en 1988 et « Lumières », l’année suivante.
Il est né à Tlemcen en 1947. Il est de mère juive, dont les ancêtres se sont installés en Algérie il y a deux-mille-six-cents ans. Son arrière-grand-père était espagnol, installé également dans notre pays. Il est donc algérien depuis vingt-six siècles, côté maternel, et depuis quatre générations, côté paternel. Jean-Pierre a grandi et vécu en Algérie, jusqu’à 1993, ou il a dû quitter son pays sous la menace terroriste.
Après ses études universitaires qu’il a effectuées à Paris, il a embrassé une carrière de cinéaste car, disait-il, « il permet de donner vie à des fantômes, à des disparus, hommes ou rêves... ». Il intègre aussi l’Institut de Cinéma de Moscou où il obtient son diplôme.
Ses derniers films sont consacrés à l’échec du rêve qu’il caressait d’une Algérie libre, indépendante et multi-ethnique. Son film « Algérie, histoires à ne pas dire » sorti en 2007 aurait été carrément interdit en Algérie et jusqu’à aujourd’hui, il n’a toujours pas été projeté dans les salles obscures de notre pays. Jean-Pierre Lledo y expose sa version de l’histoire de l’Algérie, à contre-courant de l’histoire officielle. C’est le travail d’un intellectuel, dont le rôle est de bousculer les idées reçues, d’en proposer de nouvelles et de susciter le débat. Mais hélas, tout le monde ne voit pas l’œuvre de l’esprit de la même manière.
En 2012 et 2013, il publie deux livres sur le Monde arabe : ‘’La Révolution démocratique dans le monde arabe, Ah ! Si c’était vrai’’ et ‘’Le Monde arabe face à ses démons, Nationalisme, Islam, et Juifs’’. Mais sa filmographie ne s’arrête pas là. En 2003, il sort « Un rêve algérien », et l’année suivante « Algéries, les fantômes ». Il produit aussi quelques moyens-métrages tels « Jean Pelegri, alias Yahia El Hadj » en 2001 et « Chroniques algériennes » en 1994. En1996, il sort « L’Oasis de la Belle de Mai ». Il a reçu plusieurs prix pour ses œuvres, dont la Mention spéciale à la 5e Biennale des films du monde arabe, à Paris pour « Algéries, mes fantômes » ; le 1er Prix du film documentaire pour « Un rêve algérien », Montréal en 2004 ; le Grand Prix du Festival international du film scientifique d’Alger en 1993, pour « Les Ancêtres », et bien d’autres…
En quittant l’Algérie fin Juin 1993, Jean-Pierre s’installe en France et y demeure plusieurs années. Il y rencontre des gens qui, tout comme lui ont quitté l’Algérie pour différentes raisons. Quelques temps plus tard, il visite Israël pour la première fois, alors que son oncle maternel s’y était installé depuis longtemps, avant même l’indépendance de l’Algérie. Il y découvre une communauté juive algérienne, et passe du temps à la filmer. Avec eux, il se retrouve un peu « comme à la maison », et son rêve d’une Algérie multi-ethnique renait dans son cœur, avec cette idée folle de créer des liens entre Alger et Jérusalem. Il tourne durant des heures, des mois durant, et envisage de produire un film documentaire sur le sujet, en quatre parties de deux heures et demie chacune : Kippur, Hanoukka, Pourim, pessah. Chacun de ces titres fait référence à une fête biblique, comme pour dire que ce pont entre Alger et Jérusalem s’il se réalisait, serait comme une immense fête pour les deux peuples. C’est un film personnel, mais qui n’a rien de narcissique. Il y livre certes, ses impressions personnelles et son rêve profond et intime, mais laisse le spectateur juger de lui-même. D’ailleurs, il n’y met aucune archive et évite soigneusement les techniques de propagande et de contre propagande. Il ne s’inscrit nullement dans une logique de confrontation, mais dans celle du partage. « Alger-Jérusalem un voyage interdit » serait donc une invitation à la réflexion, autour d’une situation toujours demeurée taboue. Il juge qu’il est temps de mettre le sujet sur la table pour que les concerner puissent en discuter, en débattre. L’auteur se dit toujours profondément algérien. Pour preuve, alors que les pieds noirs et les colons quittaient l’Algérie en 1962, sa famille reste sur place, car elle aimait ce pays. S’il l’a lui-même quitté, c’était pour des raisons sécuritaires. Sinon, il y est déjà revenu filmer en Algérie en 2005 et 2006, et en conserve la nationalité, malgré son passeport français. Il compte sortir son film l’année prochaine, mais il est confronté à un manque de financements. Il est actuellement à la recherche d’aide et a lancé un appel sur Internet pour obtenir les deux cents mille euros dont il a besoin. Les organismes français qui financent traditionnellement le Cinéma lui ont fermé les portes. Est- à dire que le sujet abordé dans ce film gêne outre Méditerranée ?
En Algérie, il ne compte pas que des amis. Plusieurs lui reprochent sa proximité avec Israël et le taxent même de pro-sioniste. Il dira à ce sujet « Au-delà de ma propre quête, le film sera une invitation à prendre conscience de la force des préjugés. Puis de la nécessité de les affronter pour atteindre sa vérité. Tout en sachant que par ces temps, s’interroger est déjà considérer comme une trahison ». Un produit donc gênant, malgré son potentiel réconciliateur et fraternisant.
Dans « Un rêve algérien, Jean Pierre Lledo demande à Henri Alleg, de retourner dans le pays pour la liberté duquel il fut prêt à sacrifier sa vie en 1957. « Si pour le monde entier, H. Alleg c’est “La Question”, publié en 1958, première dénonciation de la torture par quelqu'un qui l'a subie, et pour les Algériens, le directeur du seul quotidien anti-colonial “Alger-Républicain”, pour l'auteur, il est surtout la preuve que face aux clivages ethniques de la colonisation française et du nationalisme algérien, une autre Algérie était possible où juifs, pieds-noirs et arabo-berbères auraient pu vivre ensemble. Si l'Algérie devint indépendante, sans pouvoir être fraternelle, il n'en demeure pas moins que des femmes et des hommes avaient conçu et vécu ce rêve de fraternité, qui aujourd'hui semble avoir disparu et même n'avoir jamais existé… ». Et pour paraphraser Galilée, et pourtant, elle a existé.
Nabil Z.
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