Demain, c’est l’Aid, le jour où les musulmans commémorent le sacrifice d’Abraham, le Père de la Foi. Mais hier, c’était la fête du Kippur, fête commémorée par les juifs qui observent en ce jour, un jeune complet.
C’était en ce jour précis que les musulmans fuyant la persécution dont ils étaient l’objet à la Mecque, s’étaient rendus dans la ville de Yathrib pour s’y réfugier. Arrivés sur place, ils ont été accueillis par la communauté juive de la ville qui était en jeûne. Tous les musulmans ont aussi jeuné le reste de la journée. Cette date correspondait également à la fête de l’Achourah, le dixième jour de l’année musulmane, également dixième jour du calendrier hébraïque.
Mais d’ordinaire, selon les recommandations de Moïse, à Jérusalem il devrait y avoir aussi un sacrifice. Le Grand Prêtre devrait sacrifier un animal pour obtenir le pardon de ses propres péchés, avant d’en sacrifier un deuxième pour le pardon des péchés de tout le peuple. Il y a une similitude, en dehors de l’aspect rituel propre à chaque société, dans la pratique du sacrifice. Tous recherchent le pardon de Dieu et désirent lui plaire et lui faire plaisir, et tous pratiquent un sacrifice : musulmans, juifs ou chrétiens. Pour ces derniers, c’est Jésus qui est l’Agneau de Dieu, et son sacrifice apporte le pardon et la rédemption à toute l’humanité, puisqu’il s’est sacrifié lui-même pour tous.
L’idée du sacrifice est donc universelle, tout au moins concernant les religions dites monothéistes. Sans sacrifice, il n’y a donc pas de pardon des péchés. Le sang ainsi coulé, permet, tel de la soude, de faire fondre les péchés des Hommes et les rapprocher ainsi de Dieu. C’est d’ailleurs le sens du mot sacrifice, aussi bien chez les arabes que chez les hébreux. Korban ou Qorban. Ce mot désigne le fait de se rapprocher de Dieu par le moyen d’un sacrifice réel, indiquant ainsi l’état spirituel d’humilité qui doit, du moins en ce jour, caractériser le croyant.
Mais au-delà de ce geste qui est devenu rituel, il convient de se poser des questions sur le sens du sacrifice. Suffit-il de sacrifier un animal acquis à prix d’argent pour obtenir la grâce de Dieu ? Celle-ci serait-elle monnayable ? Car il s’agit véritablement d’un sacrifice financier, au prix ou coûte l’animal en cette veille de l’Aid. Et pour beaucoup de familles, ce sacrifice est vraiment lourd, voire même insupportable. Pour les juifs, le Grand Prêtre sacrifie pour l'’ensemble du peuple. Pas besoin que chaque famille en fasse de même. La valeur symbolique du sacrifice est bien là, sans aller jusqu’à épuiser la bourse des pauvres. Pour les chrétiens, le sacrifice de Jésus est suffisant pour toute l’humanité, puisque ce dernier s’est substitué aux Hommes pour s’offrir lui-même en sacrifice expiatoire. Mais est-ce bien ce sacrifice dont il est question, ou bien y a-t-il autre chose de plus profond et de plus subtil, et dont le sacrifice animal n’en serait que la représentation ?
Un texte d’Esaïe, écrit pour la circonstance aborde la question sous un angle assez inattendu, et pourtant si réel et si vrai. Que ce soit sous forme de sacrifice animal ou de jeune, « Détache les chaînes de la méchanceté, Dénoue les liens de la servitude, Renvoie libres les opprimés, Et que l'on rompe toute espèce de joug; Partage ton pain avec celui qui a faim, Et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile; Si tu vois un homme nu, couvres-le, Et ne te détourne pas de ton semblable ». Puis il ajoute : « Si tu éloignes du milieu de toi le joug, les gestes menaçants et les discours injurieux, Si tu donnes ta propre subsistance à celui qui a faim, Si tu rassasies l'âme indigente, ta lumière se lèvera sur l'obscurité, et tes ténèbres seront comme le midi ».
Dans le film « La liste de Schindler » de Steven Spielberg, on se souvient de cet officier allemand, responsable d’un camp de concentration qui affirmait à Oscar Schindler qu’il se sentait libre de tuer n’importe lequel des prisonniers qui étaient sou sa garde. Mais l’homme d’affaire allemand lui a répliqué que pour lui, la véritable liberté serait de résister à l’envie de tuer et de vaincre ses propres penchants criminels.
Le véritable sacrifice, ne consisterait-il pas à résister au mal, à la haine, à la rancune ? Ne consisterait-il pas à remplacer le mal par le bien ? Se faire violence à soi-même, et refuser de faire le mal et obéir à ses penchants naturels. Résister à la colère, au désir de vengeance, à la tentation d’écraser l’autre,… Ce penseur qui inspire le Pape François au point de lui emprunter son nom chantait : « Là où demeure la haine, Que nous apportions l´amour. Là où se trouve l´offense, Que nous mettions le pardon. Là où grandit la discorde, Que nous fassions l´unité. Là où séjourne l´erreur, Que nous mettions la vérité. Là où persistent les ténèbres, Que nous mettions la lumière. Là où règne la tristesse, Que nous fassions chanter la joie. Là où s´attarde le doute, Que nous apportions la foi. Sur les chemins du désespoir, Que nous portions l´espérance ». Cette philosophie de la vie avait déjà été en son temps prêchée par Saint Augustin, ce grand parmi les grands, amazigh de sang et de pensée. Pour lui, la paix avec Dieu ne peut se faire si on est en guerre avec les Hommes. Le pardon, la réconciliation, le vivre-ensemble sont des valeurs fondamentales pour l’humanité. Comment aimer Dieu qu’on ne voit pas, et haïr son prochain qui fait partie de notre environnement quotidien ?
Alors comment faire pour plaire à Dieu ? Bonne question, pour les véritables croyants à la recherche de vérité et de justice. Sans la Foi, il est impossible de plaire à Dieu, a dit un philosophe. Et si on est un homme ou une femme de foi, on s’abstient de faire du mal. La solution résiderait-elle dans le cœur de l’individu ? Peut-être, répondent certains. Mais ce n’est pas si certain que ça. Car dans le cœur résident pleins de choses. Notamment les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les sectes, l'envie, l'ivrognerie,… Ne serait-il donc pas intéressant que chacun puisse examiner son propre cœur pour y découvrir son vrai contenu ? Ce n’est qu’à partir de cela seulement que le vrai sacrifice aura son plein sens. Résister au mal, et laisser s’épanouir le bien, avec sa valeur suprême : l’Amour. Faire aux autres ce qu’on aurait souhaité qu’on nous fasse, et aimer son prochain comme soi-même. Et là, on rentre dans le concret quotidien, et non dans une pratique rituelle ponctuelle derrière laquelle beaucoup cachent leur méchanceté, leur mépris et leur orgueil. Le sacrifice prendrait alors sa vraie valeur, et se retrouver autour d’un méchoui serait le symbole réel, la preuve vivante d’une paix retrouvée avec soi-même, avec les autres et aussi, avec Dieu.
Nabil Z.
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