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Photo du rédacteurNabil Z.

Le Solde Tout-Comptes

Dans la crise que vit actuellement l’Algérie, le désir de changement, et le besoin de tourner la page sont tellement forts qu’ils poussent les gens à aller dans une sorte de fuite en avant dangereuse. Sans un véritable solde tout comptes, nous serons condamnés à revivre le même cauchemar.


Dans les mêmes conditions, les mêmes causes produisent les effets. Si on veut éliminer la reproduction des mêmes méfaits, il est donc important d’aller au fonds des choses et les analyser avec sérénité pour en tirer les bonnes leçons et éviter ainsi de reproduire les mêmes schémas qui nous conduiraient, tôt ou tard, aux mêmes résultats.

Le système politique actuel se caractérise par l’accumulation d’énormes tabous qui nous empêchent de regarder à notre passé avec clarté. Un passé qui a besoin d’être revisité, maintenant que nous avons le recul nécessaire pour regarder les choses avec lucidité.

Les regards se tournent aujourd’hui vers la période Bouteflika vomie par la population dans sa forme et dans son fonds. Pendant l’ère de ce dernier, au lieu de regarder avec lucidité à la période dite « Décennie Noire », le pays a plutôt été encouragé à lui tourner le dos. Durant ladite Décennie, on a condamné la période d’avant, celle de Chadli, pour la condamner sans réserve. Elle-même avait travaillé à « déboumediéniser » le pouvoir, qui en avait renversé un autre, celui de Benbella. Mais tous se sont accordés à désigner un seul coupable : la colonisation.

La désignation de ce coupable, au lieu de nous servir de leçon, a permis aux pouvoirs qui se sont succédé de travailler dans l’ombre, les projecteurs ayant tout le temps été fixés sur le colonialisme, rendu responsable de tous les maux, y compris des bêtises qui ont été faites après l’indépendance, par des dirigeants ayant été rendus célèbres par leur lutte anti-coloniale.

Au niveau le plus haut de l’Etat, plusieurs tabous ont été érigés pour éviter à la nation de se déchirer. On a vite désigné les coupables : le FFS, Hizb França, les communistes, les islamistes et tant d’autres encore. Mais à aucun moment le « système » n’a fait son examen de conscience. Encore moins fait son Mea Culpa.

La chaîne de transmission des erreurs stratégiques commises par le système actuel remonte loin dans le passé. Et force est de constater que les déchirements que vit actuellement le pays sont, sur le fonds, les mêmes depuis plus d’un siècle. On pourrait même remonter plus loin dans le temps, mais contentons-nous de rappeler les principaux moments ou les choix effectués par nos dirigeants nous ont conduits à la situation actuelle.

Crises berbéristes de 1926 et 1949

L’effondrement de l’empire ottoman dix années auparavant avait provoqué une profonde crise dans le monde dit « arabe ». L’abandon de l’islamisme par Mostefa Kemal Atatürk a complètement désorienté les arabes qui voyaient en Istanbul leur planche de salut. Très vite, un mouvement pan arabiste est né, et les leaders plus ou moins reconnus de l’Algérie, ont sauté les deux pieds joints dedans, allant dans le sens d’une revendication arabo-islamiste, telle que prônée par les égyptiens, les syriens et les irakiens. L’apparition d’un Zaïm en Algérie, en la personne de Messali Hadj a fini par étouffer toutes sortes de réflexions, et toutes sortes d’alternative. Pourtant, le débat était vif. L’Etoile Nord-Africaine, Ferhat Abbas, et bien d’autres ont essayé de proposer d’autres alternatives, avant que le courant dominant ne les réduise au silence, sous peine d’apostasie. En 1926, ceux qu’on appelait alors les « berbéristes » avaient essayé d’attirer l’attention de ces leaders sur le caractère identitaire de la nation, qui n’était alors ni arabe, ni islamique. Ces berbéristes visaient à sauvegarder la culture nationale, et lui éviter d’être absorbée par le courant dominant du moment : l’arabo-islamisme. Benbadis est venu alors achever toute revendication divergente, fort de ses moyens de communication d’alors, qui étaient les journaux et la mosquée, soutenus par un réseau associatif tentaculaire. Le peuple algérien, avait-il affirmé, est musulman, et il appartient à l’arabité. Et ça se ferait dans le cadre d’une nation algérienne sous tutelle coloniale. Pas même une once de pensée indépendantiste. Le mouvement revendicatif berbère a été réduit au silence, même si à l’intérieur, le combat continuait. 

 En 1949, la crise resurgit, profitant des débats d’alors, relatifs à l’indépendance future du pays. La question amazighe est alors à nouveau sur la table, mais le PPA-MTLD l’a une nouvelle fois enterrée. Cette décision fut entérinée par le FLN, reportant à l’indépendance cette question, affirmant que la seule question digne d’intérêt était celle de l’accession à l’indépendance. 

L’erreur de 1963

Un des plus grands leaders du FLN, un certain Hocine Ait Ahmed décide de prendre les armes contre le pouvoir central d’Alger, avec qui il ne partageait pas les mêmes options politiques. Un maquis est ainsi né, mais en Kabylie. La vision étroite de l’indépendance de la Kabylie avait isolé cette région du combat identitaire berbère dans son ensemble. Au lieu de fédérer les composantes de la société amazighe de l’ensemble du territoire, Ait Ahmed a préféré jouer cavalier seul. Sa révolte fut un échec et beaucoup de sang a inutilement coulé.

La révolte populaire de 1980-81

C’est sous l’ère Chadli qu’a eu lieu la première grande révolte « Berbère ». Même si elle a commencé en Kabylie, cet événement dit du « Printemps Berbère » reste encore aujourd’hui la référence pour tous les berbères dans l’ensemble de l’Afrique du Nord. Elle n’a pas été le fruit de manipulations politiques ni d’organisation secrète. Elle a été la réponse spontanée de tout un peuple, suite à une énième répression qui a fait déborder le vase. La Kabylie à la pointe du combat, réclamait la reconnaissance de l’identité amazighe pour l’ensemble de l’Afrique du Nord, et non pas seulement pour la région. Une fois encore, au lieu d’écouter les revendications populaires, le pouvoir a choisi de foncer tête baissée et poursuivre son combat idéologique de l’arabité coute que coute. 

Le système politique algérien ne s’est pas distingué par une pensée propre. Il a pris celui qui lui a été imposé par des idéologues étrangers à l’amazighité, étranger aux intérêts algériens et maghrébins. En accédant à l’indépendance, le système politique algérien n’a fait que transférer le pouvoir arraché au colon français vers un autre, le colon arabo-islamique. Ce dernier est pire que le premier. Plus insidieux, plus subtile. Il donne l’illusion d’indépendance, mais prive le peuple de toute liberté de pensée ou de conscience. Les nouveaux maîtres du pouvoir algérien vont même entraîner le pays dans des guerres qui ne concernent en rien le Maghreb, pour soutenir ses maîtres engagés dans une guerre à des milliers de kilomètres de ses frontières. Plus le peuple réclame la reconnaissance de son identité, plus le pouvoir le pousse dans les bras de l’arabo-islamisme pour plaire à ses maîtres. De sorte qu’aujourd’hui encore, beaucoup de maghrébins se croient arabes et s’opposent à tout ce qui est à leurs yeux l’ennemi, l’amazighité. La pensée arabo-islamique a réussi à retourner le berbère qui s’ignore contre son frère le berbère qui le sait. C’est vrai pour l’Algérie, et ça l’est également pour l’ensemble des pays de l’Afrique du Nord.

La révolte populaire de 1988

Le cinq Octobre 1988 éclate une révolte d’essence populaire, même si elle a été provoquée et manipulée par des officines occultes dans une lutte de pouvoir sans merci. C’est à ce moment que le mouvement islamiste sort de sa cachette, se structure et se met à combattre le pouvoir avec objectif d’installer un système arabo-islamique en Algérie et dans toute la région. Le sang a coulé abondamment. Après dix années de guerre civile, et la neutralisation temporaire de la revendication islamiste, la question amazighe est à nouveau sur la table, subissant de multiples répressions, car portée encore une fois, presque exclusivement par la Kabylie. Faute de communication adéquate, les autres régions, telles que les Aurès, le Mzab et les Touaregs, pour ne citer que celles-là, ne saisissent pas le sens de la revendication. Elles ne commencent à réagir que sur le tard, et aujourd’hui, manipulation de plus, le Tamazight est langue Nationale et Officielle, mais seulement sur le papier. Le pouvoir continue à provoquer les divisions, notamment en brouillant le message de l’émancipation. Le Tamazight n’a de sens à leurs yeux, que s’il sert le pouvoir arabo-islamique. Le peuple est quant à lui absent du débat, car préoccupé par ses conditions de vie, et conduit par une nouvelle génération de porte-paroles issus d’une école idéologisée à outrance.

Briser les tabous

Le sujet est long et complexe. Mais il ne faut pas l’occulter. Les actions qui sont menées ça et là pour essayer de sortir le pays de son marasme seront condamnées à l’échec, ou du moins à reproduire le même système, si un bilan n’est pas dressé sur les choix catastrophiques qui ont été faits par nos prédécesseurs, et qui nous ont menés à la situation actuelle. Il ne s’agit pas de faire le procès des personnes, mais des choix opérés au détriment du salut de ce pays et de sa population. Renier son passé, c’est être condamnés à le vivre. 

N’est-il pas temps de s’arrêter et d’engager une réflexion profonde sur qui nous sommes, d’où nous venons et où nous devrions aller ? N’est-il pas temps de regarder les choses en face, et de nous repentir d’avoir renié notre identité, notre culture et notre civilisation ? N’est-il pas temps de revenir aux fondamentaux de l’identité amazighe, celle de nos ancêtres qui ont fait de notre terre une porteuse d’idées, de civilisation et de culture ? Allons-nous rester arrimés à l’arabo-islamisme qui a montré depuis des siècles que sa seule intention nous concernant, est de nous soumettre à son esclavage spirituel pour le servir et l’enrichir au détriment de nos intérêts propres. Notre intérêt en tant que peuple amazigh est de nous émanciper de cette tutelle, de nous développer et de redevenir ce que nous avons toujours été, des producteurs d’idées, des pourvoyeurs de biens, et une source de paix pour toute la région. Il est temps de briser tous ses tabous qui nous empêchent de voir la réalité historique de ce que nous sommes et d’assumer nos erreurs pour les corriger. Toute solution proposée pour la sortie de la crise actuelle et qui ne prendrait pas en compte les erreurs historiques serait condamnée à l’échec.


Nabil Ziani

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