Le Tetserret (Tin Sert) est l’une des dernières langues berbères non documentées. Elle est parlée au Niger par seulement deux tribus, les Ait Awari Seslem et les Kel Eghlal n’Ennigger. Il s’agit d’une des langues berbères les plus menacées de disparition, puisqu’elle n’est plus utilisée que par moins de deux mille personnes.
Le Tetserret a été conservée jusqu’à nos jours contre vents et marées, malgré une domination écrasante du Tamacheq. De plus, on ne connaît pas avec précision l’origine de ses locuteurs. Cette poche linguistique a clairement une origine non locale, mais on ignore depuis combien de temps les tribus qui l’utilisent sont installées dans la région, et comment elle a résisté à son environnement qui utilise quasi exclusivement le Tamashek, la langue des Touaregs.
Dans la famille linguistique berbère elle présente de nombreuses caractéristiques qui lui sont propres, qui la distinguent fondamentalement du Tamacheq, alors même qu’elle partage plusieurs caractéristiques avec d’autres langues, et en particulier avec le Zénaga de Mauritanie et le Tashelhit du sud du Maroc, toutes deux très éloignées géographiquement.
Le nombre de scientifiques qui se sont intéressés à cette langue est très limité. Ce qui explique en partie, la raison de sa méconnaissance. Un autochtone, Khamed Attayoub, et une française, Cécile Lux ont consacré des travaux intéressants, qui la présentent et l’analysent. Cécile Lux en a d’ailleurs fait sa thèse de Doctorat en linguistique.
Pour elle, « l’objectif de cette thèse est double : il s’agit d’une part de donner une description détaillée d’éléments linguistiques de cette langue en danger, sur la base de données récoltées sur le terrain. D’autre part, étant donné la situation paradoxale de cette langue au sein de la famille linguistique berbère, nous avons jugé important de mettre en relation cette description avec celles de certaines autres langues mieux connues, afin de recueillir des arguments objectifs permettant de mieux situer le Tetserret au sein de la famille linguistique berbère, voire d’obtenir certains arguments finalement fiables concernant l’histoire des locuteurs du Tetserret. »
Pour cela, la spécialiste a ciblé trois langues de comparaison : le Zénaga de Mauritanie, soupçonné d’entretenir un lien généalogique avec le Tetserret, malgré l’éloignement géographique ; le Tamacheq, langue de contact du Tetserret, et le Tachelhit, langue berbère parlée au Maroc. Ce travail comporte donc une description détaillée de la phonétique, de la phonologie et de la prosodie du Tetserret, ainsi que de sa morphologie, toujours dans une perspective comparative. Ceci a abouti à la conclusion que le Tetserret est une langue fondamentalement berbère, étant donné que sa phonologie consonantique, et – pour une grande part – sa morphologie sont très proches de celles des autres langues berbères. Cependant, comme toutes les langues méridionales du domaine berbère, sa phonologie vocalique (riche et originale), et son accentuation, sont très spécifiques, et diffèrent de toutes les autres langues. Néanmoins, le Tetserret montre aussi de nombreuses spécificités qui lui sont propres, ou qu’il partage avec le Zénaga de Mauritanie, pourtant très éloigné géographiquement.
Ainsi, à travers cette description, des critères objectifs ont pu être établis, cette fois, le lien généalogique qu’entretiennent Tetserret et Zénaga, renforçant cette langue qui formait, seule, un groupe marginal. « Ce dernier point donne aussi une information primordiale sur l’histoire des peuples, que nous n’aurions pu imaginer, ni en considérant la situation actuelle, ni en regardant du côté de la tradition orale : ce lien généalogique implique une histoire commune des locuteurs du Zénaga et du Tetserret, ce qui dément toutes les hypothèses historiques faites jusqu’à présent. En revanche, il est fort probable que ces deux langues, au moins, soient le souvenir d’un groupe ‘résiduel’ situé entre le Niger et la Mauritanie, dont l’histoire n’a gardé aucune trace » ajoute Cécile Lux.
L’analyse d’études existantes sur la socio-linguistiques de cette langue a permis d’expliquer les raisons pour lesquelles le Tetserret a été conservé sur une période assez importante, et pourquoi des parties de cette langue sont les mieux conservées, contrairement à certaines parties du lexique ou de la syntaxe.
Cécile Lux ajoute : « Ce travail, basé sur la description d’une langue en danger, à partir de données de terrain, situé dans une perspective comparative, montre donc le lien fort qu’il peut y avoir entre la linguistique, l’histoire et la socio-linguistique, et donne des renseignements d’une importance primordiale, tant sur la langue en elle-même que sur son environnement ».
Pour l’Encyclopédie en ligne Wikipedia « La variante parlée par le Kel Eghlal s'appelle taməsəɣlalt. L'équivalent tamasheq shinsart / shinsar / tinsar est utilisé dans certains écrits plus anciens. Pour certains Ait Awari le nom Tetserret, et son équivalent Tamasheq shinsart, dérivent des expressions signifiant « langage » dans la langue de Syrte dans le nord de la Libye. » D'autant plus qu'en berbère, le Tetserret se dit Tin Sert, ce qui veut dire, celle de Syrte.
Malheureusement, la diversité de ces origines qui ont fait sa richesse ne suffisent pas à maintenir cette langue. Les spécialistes ont noté l’influence grandissante des langues environnantes dont le vocabulaire est peu à peu intégré au Tetserret. De plus, notent-ils, depuis 2011, cette langue n’est plus utilisée par les enfants qui subissent directement l’influence des autres langues enseignées dans les écoles. Ce qui réduit davantage le nombre de ses locuteurs.
La disparition de ces langues est un réel danger, puisqu’elles portent en elle une histoire et une culture qui ne peuvent être restituées autrement, surtout quand celles-ci ne sont gravées sur aucun support matériel. L’Unesco a bien un programme de préservation des ces langues en voie d’extinction. Que fait-elle concernant le Tetserret ?
Nabil Z.
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