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Photo du rédacteurNabil Z.

Le train d'Erlingen ou La métamorphose de Dieu: Entretien avec Boualem Sansal.

Boualem Sansal a accordé une interview à son éditeur Gallimard qui l’a publiée sur son site. Dans le prologue de son livre il dit : « Ce roman raconte les derniers jours de la vie d’Élisabeth Potier, professeure d’histoire-géographie à la retraite, habitant la Seine-Saint- Denis, victime collatérale de l’attentat islamiste du 13 novembre 2015 à Paris.



Après quelques jours entre la vie et la mort, elle émerge de son coma avec une autre personnalité et c’est sous cette identité qu’elle décédera un mois plus tard. Décrypter le témoignage écrit qu’elle a laissé à sa fille Léa, et à nous incidemment, n’est pas facile, les voies de l’au-delà sont impénétrables. Pour y comprendre quelque chose, il faut passer par l’incroyable histoire qu’Ute Von Ebert, cheffe actuelle de la puissante dynastie Von Ebert, habitant Erlingen en Allemagne, dont l’empire financier et industriel, né en Amérique au XIX e siècle, s’ancre aujourd’hui dans les cinq continents, a laissée par écrit à sa fille Hannah, alors que le monde s’écroulait autour d’elle et que la survie des habitants d’Erlingen dépendait d’un train fantôme. Entre les deux femmes existe un lien par-delà le réel. Et comme on hérite du mystère de ses parents, leurs filles, Léa et Hannah, qui vivent toutes deux à Londres, sont prises dans le même mystérieux lien de gémellité qui liait leurs mères ». Et à le lire, on sent tout de suite le désir de l’auteur de donner un autre sens, une autre signification à ce qu’il appelle « la vérité ». Il ajoute : « Les deux histoires additionnées sont une quête de vérité à travers les continents et les époques, vérité que certains, que nous dénonçons au passage, affirment posséder en exclusivité et entendent imposer au monde entier ».


L’ambition, la prétention de l’auteur, serait-elle, dans ce roman, de redéfinir ce qu’est la Vérité ? En effet, en dehors de son écriture, de son style et de son talent, Sansal est-il qualifié pour s’attaquer à un sujet aussi complexe que celui de la Shoah ? En tout cas, il le prétend, puisqu’il parle de la responsabilité de Dieu dans cette horreur, la lui reprochant de manière à peine déguisée. Que sait-il de la profondeur du mystère de l’holocauste nazi ? Comment, alors que même des philosophes comme Emmanuel Levinas et tant d’autres ne sont pas arriver à en percer le mystère, Boualem Sansal se permet-il de trancher, certes sous forme de roman, en mettant en cause Dieu lui-même. N’aurait-il pas été plus courageux d’en faire un essai plutôt qu’un roman ? On aurait mieux eu accès à la pensée Sansalienne qui sous entend, avec le sous-titre de son livre, que Dieu s’est métamorphosé.


En plus, en pire… Dieu change-t-il ? Se métamorphose-t-il ? Évolue-t-il dans un sens ou un autre ? Si c’est le cas, est-il encore Dieu ? Ne serait-il donc pas le même « hier, aujourd’hui et éternellement » ? A quel dieu Sansal fait-il référence ? En mettant dans le même sac Dieu et la religion, ne fait-il pas dans l’amalgame, et fait-il exprès d’ignorer que ceux qui se réclament de la religion ne sont pas nécessairement des représentant de Dieu ? En remettant en cause lalégitimité- réelle ou supposée - de Moïse, Jésus et Mahomet, ne fait-il pas dans la confusion des genres? Daniel Guichard, ne disait-il pas « ce n’est pas à Dieu que j’en veux, mais à ceux qui l’ont remplacé » ? Et pour caresser l’air du temps dans le sens du poil, Sansal opte pour un genre de système écologique, comme contrepoids de la foi en Dieu. Ceci pour dire que Boualem Sansal ne se contente pas de raconter des histoires comme tout bon romancier, il essaie de présenter une morale, sa morale, qui, rejetant l’idée de Dieu confondu avec la religion, impose une autre valeur qui est en train d’être de plus en plus divinisée. Il suffit, pour s’en convaincre de jeter un œil à sa référence, Henry David Thoreau un naturaliste américain du 19eme siècle qui mettait l’injustice humaine sur le compte de Dieu, au lieu de distinguer entre le Créateur et sa créature désobéissante et déviante.

Emmanuel Lévinas avait pourtant traité la question avec une telle profondeur que les philosophes de son temps (il est mort en 1995) avaient été surpris par la profondeur de sa pensée. Il avait été aussi loin que d’utiliser l’expression de « la présence de l’absence de Dieu », quand il a abordé la question de la Shoah. Ou était Dieu pendant que des femmes, des enfants et des innocents se faisaient massacrer ? Sa réponse a été métaphysique, pas expéditive : la pensée de Dieu dépasse celle de l’Homme, même si ce dernier prétend agir en son nom. Nabil Z.

Voici l’interview de Boualem Sansal: Le train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu, pourquoi ce double titre ? Le choix d’un titre est difficile. J’étais parti sur le titre La métamorphose de Dieu. C’était grandiloquent, ça me gênait. Puis j’ai opté pour Le train d’Erlingen. Trop prosaïque, ça me gênait aussi. Ensemble, ça marchait bien. Le fait que ça renvoie à l’Allemagne par le nom Erlingen et à la Shoah par le train, posait quelque part la question de Dieu et de sa responsabilité. Ça résume bien le livre. Vous définissez le roman comme une « chronique sur les temps qui courent ». Qu’entendez-vous par cette formule ? Rien de nouveau sous le soleil. Nous vivons les mêmes événements qui ont conduit aux grandes migrations du passé, à la montée des fascismes, aux guerres mondiales, aux folies religieuses, aux grandes défaites morales. Le roman en fait la recension. Vous renvoyez dos à dos les fanatiques et les « mauviettes » de la « mondialisation matérialiste heureuse ». Est-ce aussi simple ? Mon idée n’est pas d’ignorer les choses parce que je ne les comprends pas. Je veux au contraire y regarder de près, les déconstruire et chercher dans les interstices des explications plus vraies. La raison n’a pas disparu, il faut bien la chercher. En écrivant « Nulle odeur n’est plus mortifère que celle de l’argent et de l’encens réunis », qui visez-vous ? Je vise davantage des milieux que des pays. Je pointe ces oligarchies sectaires détentrices d’un pouvoir absolu obtenu par la manipulation de l’argent et de la religion. Elles sont en Amérique et dans le Golfe mais pas seulement, la sainte alliance gagne du terrain. Vous évoquez un mystérieux « Livre des trois imposteurs : Moïse, Jésus, Mahomet ». Peut-on voir là une condamnation des monothéismes, qui seraient par essence vecteurs de fanatisme ? Les religions sont des épines dans la conscience de l’homme. Leur bilan historique n’est guère reluisant. Il est temps de changer d’angle de vue, et de se montrer très méfiants à leur égard, elles sont terriblement malignes. L’homme doit accomplir son destin et non celui des dieux. Vous convoquez au fil des pages de nombreux écrivains, mais vous placez Thoreau au-dessus de tous. Pensez-vous qu’il nous indique une voie pour sortir de l’impasse ? Thoreau est un champion de l’écologie de la vie. Notre temps dramatiquement perclus d’addictions a un besoin urgent de ce genre de héros. Je milite pour qu’on le redécouvre. Michel Onfray lui a consacré un livre et Philippe Djian un site, c’est bien. Peut-on lire le roman comme un avertissement sévère à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, acceptent la soumission ? Il faut avertir les gens avant qu’ils tombent dans la soumission. Après, c’est trop tard. Le roman appelle de même à combattre les vendeurs de soumission et les idiots utiles qui les encouragent par leurs sourires obséquieux. -- Eclaire dans la nuit


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