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Photo du rédacteurNabil Z.

Les 500 ans de la Réforme Protestante, Héritage de l’œuvre d’Augustin l’Amazigh

La Période qui correspond à la fin Octobre et début Novembre semble propice aux révolutions et événements importants dans la vie des peuples et nations. On peut donner l’exemple de la Révolution d’Octobre en Russie, et le déclenchement de la Guerre de Libération Nationale en Algérie. Mais ce n’est pas tout, loin de là. En Allemagne, il y a exactement 500 ans, un certain Martin Luther a placardé sur les murs de sa ville des affiches contenant 95 thèses qui vont donner naissance au protestantisme. Et Saint Augustin, des siècles plus tôt, en a été le principal inspirateur.



Selon l’encyclopédie en ligne Wikipedia, Martin Luther, né le 10 novembre 1483 à Eisleben, en Thuringe et mort le 18 février 1546 dans la même ville, est un frère augustin théologien, professeur d'université, initiateur du protestantisme et réformateur de l'Église dont les idées exercèrent une grande influence sur la Réforme protestante, qui changea le cours de la civilisation occidentale.


Ses lectures des écrits de Saint Augustin lui font découvrir la vraie dimension de la Foi Chrétienne, et l’emmèneront à adhérer aux enseignements du Saint amazigh, devenant ainsi un Augustinien, vivant selon les règles de vie de l’Evêque d’Hippone. Martin Luther va ainsi plonger ses regards dans la Bible et découvrir la « supercherie » du catholicisme. Cela l’emmènera jusqu’à s’opposer au Pape et à ses enseignements, ne reconnaissant plus son autorité, et allant même jusqu’à la dénoncer publiquement. Ce dernier va le sommer de se rétracter, mais Luther refuse et est excommunié. Charles Quint (qui s’était cassé le nez sur les côtes algériennes), en sa qualité d’empereur du saint empire germanique, roi d’Espagne va le convoquer pour l’entendre. Mais encore une fois, « il refuse de se rétracter, se déclarant convaincu par le témoignage de l'Écriture et s'estimant soumis à l'autorité de la Bible et de sa conscience plutôt qu'à celle de la hiérarchie ecclésiastique ». De retour en Allemagne, il est accueilli par les princes locaux qui étaient contents de le voir défier les autorités religieuses et politiques de son époque qu’ils n’aimaient pas beaucoup. Ils lui accordent leur protection, et Luther se met à publier ses écrits à plus grande échelle, profitant ainsi de l’invention de l’imprimerie pour étendre son enseignement. Il publie une traduction allemande de la Bible, à partir des textes originaux. Ce qui a été une vraie révolution, puisque l’église de Rome ne reconnaissait que la Bible Latine, que personne du peuple ne pouvait lire, pour les maintenir dans la dépendance aux prêtres sous autorité du Vatican. Ce travail va constituer une révolution au-delà de ce que pouvait imaginer son auteur. D’abord, il va fixer la langue allemande, établir des règles plus strictes de traduction, faire découvrir la Bible aux germanophones, en Allemagne, en France, en Suisse et en Autriche, faisant ainsi tâche d’huile et inspirant d’autres grands réformateurs à partir de cette période. Le travail de Luther ne sera en fait que l’extension de celui qui l’avait précédé des siècles auparavant, Saint Augustin. C’est à partir de ce moment que la civilisation occidentale a pris son essor, révolutionnant sa pensée et enrichissant sa culture.

Actuellement, le monde chrétien dans son ensemble commémore le 500 -ème anniversaire de la Réforme. Même les catholiques reconnaissent l’œuvre de Luther, et tentent de la récupérer pour faire amende honorable. Des célébrations ont lieu partout et des publications foisonnent à ce sujet. Des reportages, des enquêtes et des conférences sont ainsi organisés et le public redécouvre ainsi l’essence du protestantisme.


Parmi les conférenciers, le Dr Michel Bertrand de la Faculté de Théologie de Montpellier et auteur a tenu à rendre hommage au Père de la réforme, en donnant une communication à ce sujet, montrant comment le message de Luther demeure contemporain. Nous en donnons quelques larges extraits.


Quand nous commémorons les 500 ans de la Réforme, en particulier quand nous essayons de discerner en quoi le message de LUTHER demeure actuel il importe d’éviter deux écueils : Le premier consiste à porter sur la Réforme un regard nostalgique et admiratif relevant davantage d’un imaginaire mythique que d’une enquête historique prenant en compte la complexité du réel. Cela peut alors déboucher sur une sorte d’autocélébration satisfaite du protestantisme, commémorant un passé glorieux et faisant de son message LA réponse, la meilleure et la seule, à nos questions présentes ! Or, être fidèle à LUTHER c’est aussi assumer ses visages contradictoires et les pages sombres de son itinéraire, afin de ne pas l’idéaliser abusivement, ni l’accabler indûment. Lui-même revendiquait l’idée que l’Evangile puisse être annoncé par de « méchants fripons plus que par de saints personnages » et faisait passer sa personne derrière son message. « Je demande, écrit-il, que l’on veuille bien taire mon nom, et se dire non pas luthérien, mais chrétien. Je n’ai été crucifié pour personne. » ! Quelle sagesse, et quelle humilité ! Luther n’a jamais voulu se mettre en avant, préférant passer derrière les rideaux et laisser la gloire au seul Dieu en qui il croyait, et à son message déformé par les religieux, et qu’il avait voulu rétablir dans toute sa vérité et toute son authenticité. « Le deuxième risque, lié au premier, a ajouté Michel Bertrand, c’est celui de l’anachronisme, qui consiste à projeter, dans les débats du 16ème siècle, les questions de notre époque. Ce type de transposition, qui méconnaît l’épaisseur du temps, peut nous amener à instrumentaliser la pensée du Réformateur afin de la plier à nos attentes contemporaines. Ce serait oublier que le contexte dans lequel il vivait et sa vision du monde sont très différents des nôtres. On ne peut donc reproduire telles quelles ses affirmations. On doit les discuter et les interpréter, si on veut en découvrir la pertinence sur le plan théologique mais aussi sociétal ».


« En effet, si le mouvement de réforme que LUTHER a initié est d’abord un événement spirituel et religieux, conduisant à une remise en question de plus en plus radicale de la théologie et de l’Eglise de son temps, il entraînera aussi bien des évolutions d’ordre culturel et politique ». a ajouté le conférencier. « Jean Jaurès avait bien vu cette portée sociétale de la pensée de LUTHER quand il écrivait à son propos : « Celui qui renouvelle le ciel, rénove la terre ». Aujourd’hui encore, son message peut éclairer la compréhension de l’humain, du monde, de Dieu et concerner non seulement les protestants, les chrétiens, mais aussi l’ensemble de la communauté humaine.


Ainsi, Martin Luther, par son enseignement et son courage a lancé au monde plusieurs défis, l’emmenant à se pose des questions et à se remettre en question. C’est en cela que son message est encore valable aujourd’hui, le rendant encore plus percutant. Parmi les défis lancés au monde, Michel Bertrand cite :


1. LE DEFI DE LA SOCIETE DE PERFORMANCE

Le 31 octobre 1517, LUTHER a rendu publiques ses 95 thèses contre les Indulgences. Cette pratique ecclésiale avait parfois dégénéré en un véritable commerce permettant au pécheur d’acheter une rémission de ses peines et d’accéder ainsi au salut sans véritable remise en question devant Dieu, sans véritable « pénitence ». Autrement dit, l’église catholique, par cette pratique, vendait le pardon des péchés, se mettant ainsi en porte à faux par rapport aux enseignements de la Bible qui affirme que seul Dieu peut pardonner les péchés, et son pardon est gratuit, puisqu’il a été le résultat de l’œuvre de Jésus-Christ sur la croix. C’est pourquoi Luther disait que lui-même n’avait été crucifié pour personne, refusant ainsi d’être pris pour Christ lui-même.


Selon l’écrivain Guilhen Antier, « Luther s’est insurgé contre une dévalorisation de la piété réduite à l’application d’un protocole ecclésial. Il n’a eu de cesse de remettre au premier plan le sérieux de la pénitence, ce qui dans son langage désigne la profondeur de la vie spirituelle ».


En ignorant le sérieux de la repentance, le changement de comportement et de vie, le catholicisme est passé à côté de ce qui fait le salut éternel des Hommes, et a préféré faire commerce « d’indulgences » pour son seul profit et celui du clergé. Pour autant, si on ne parle pas de salut, les questions ultimes sur le sens et la valeur de l’existence demeurent. « On s’interroge sur ce qu’est une vie bonne, sur les conditions d’un mieux-être voire d’un bonheur possible. La recherche de confiance et d’espérance, l’attente d’une réalité autre, sont plus que jamais présentes. Et quand on observe ce qui est réclamé aujourd’hui pour répondre à ces quêtes persistantes, on constate alors que la logique des mérites, combattue par LUTHER, n’a pas disparu. Elle n’est plus religieuse, certes, mais elle revient, de manière sécularisée, sous des formes nouvelles, réclamant de l’être humain un prix à payer pour vivre », a continué Michel Bertrand dans sa conférence. Il poursuit en donnant des exemples concrets : « Notamment quand on voit à quel point notre société exalte la rentabilité, le rendement, la performance, l’efficacité, comme conditions d’une vie réussie. C’est le nouveau credo du monde postmoderne. Un univers de « gagneurs » où il importe d’« assurer » dans tous les domaines (travail, loisirs, vie affective et sexuelle...). Le discours dominant est celui de la compétition et de la réussite au mérite. Chacun est sommé de faire ses preuves, de « se justifier » pour le dire avec les mots de la Réforme. Cette obsession, qui était au cœur du commerce des Indulgences, est forcément génératrice d’angoisse, aujourd’hui comme au 16ème siècle. Car confronté aux impératifs de résultat, mais aussi à la dureté et à la complexité du réel, avec les inévitables désillusions qui en découlent, l’individu constate « qu’il n’y arrive pas ». Il se désespère alors de ne pas répondre à ce qu’on attend de lui ou de ne pas parvenir à atteindre les objectifs qu’il s’est lui-même donnés. Cela fait de lui, un « individu incertain » quant à sa propre valeur. Cette hantise de l’insuffisance ou de l’échec est d’autant plus forte qu’il croit ne pouvoir être reconnu et aimé qu’à la mesure de ses réalisations. D’où le développement de souffrances psychiques comme la dépression, l’épuisement, le burn out, jusqu’à la perte de l’estime de soi. Mais aussi, de manière également dramatique, le sentiment d’exclusion de ceux qui ne rentrent pas dans les standards de rentabilité et de réussite de la société, et qui ont le sentiment de ne servir à rien : les handicapés, les personnes âgées, les chômeurs, les déclassés... Ces exigences tyranniques liées au « culte de la performance » ne sont, au fond rien d’autre qu’une expression sécularisée de salut par les œuvres. Alors, face aux « nouvelles Indulgences » qu’elles imposent, on saisit le caractère pertinent, libérateur et dérangeant du message de la justification par la seule grâce de Dieu proclamé par LUTHER. Au 16ème siècle, où l’on était obsédé par le salut, il découvre et affirme que l’être humain n’est pas sauvé par ses mérites, qu’ils soient moraux ou religieux, mais c’est un don de Dieu, accordé en Christ, sans contrepartie. Ce qui « justifie » sa vie, ce qui lui donne sens, ce n’est pas ce qu’il fait, mais ce que Dieu a fait pour lui, inconditionnellement.


2. LE DEFI DE LA LIBERTE DE L’INDIVIDU

Mais si la société de performance génère des individus épuisés, elle se caractérise aussi par un individualisme autosuffisant. Quand le sujet prétend trouver en lui-même son propre fondement, ne s’autorisant que de lui-même et considérant qu’il n’a de comptes à rendre qu’à lui-même. Il cherche alors son épanouissement personnel dans une satisfaction immédiate de ses désirs et la réalisation optimale de ses capacités individuelles en essayant tous les possibles à sa disposition : alcool, drogue, sexe, violence, plaisirs, … « Ce qui importe c’est que je me réalise, « où je veux, comme je veux, quand je veux ». Une vie réussie c’est une vie remplie d’expériences multiples, vécues dans l’impatience du présent. Cependant, pour Luther, « la foi est cette confiance qui « nous arrache à nous-mêmes et nous établit hors de nous, pour que nous ne prenions pas appui sur nos forces, sur notre conscience, nos sens, notre personne, nos œuvres, mais que nous prenions appui sur ce qui est au-dehors de nous : la promesse et la vérité de Dieu qui ne peuvent tromper ».


Tout comme Augustin avant lui, Luther a souligné et même revalorisé la liberté et la responsabilité du sujet. On peut rappeler à ce propos qu’il a changé son nom de famille originel qui était LUDER en LUTHER, germanisation d’un mot grec (eleutherios) qui veut dire libre ou libérateur. C’est même sans doute à cause de cette dimension individuelle et existentielle, porteuse de liberté, que son message peut rejoindre et interpeller la culture moderne et postmoderne.


Question de conscience

La compréhension du sujet et de sa liberté chez Luther est en complet décalage avec la figure de l’individu contemporain qui revendique une liberté sans limite, qui agit à sa guise et vit dans l’illusion de sa toute puissance et de sa toute maitrise, financière, technologique ou affective... sans se poser de questions. Luther insiste au contraire sur ce qui fait la complexité du sujet humain avec son mystère et ses contradictions. Pour lui, la liberté chrétienne ce n’est pas faire ce que j’ai envie de faire. Ce n’est pas une libération conquise par les forces humaines, c’est une liberté reçue de Dieu dans la foi. « Ma conscience est liée par la Parole de Dieu. Je ne peux ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sage ni prudent d’agir contre sa conscience ».


Cette notion de conscience est importante chez Luther. Il l’a définie de manière très spécifique comme un lieu intime et ouvert sur l’extérieur, où le croyant est rejoint, interpellé et tiraillé par des réalités contradictoires. D’une part, le monde, ses puissances et ses idoles qui lui demandent de se réaliser lui-même, mettant du coup devant lui ses échecs et ses défaillances. D’autre part, la Parole de Dieu, entendue dans la Bible, qui fait éclater son emprisonnement égocentrique et lui permet de résister aux servitudes quotidiennes, notamment aujourd’hui les pressions économiques, publicitaires, médiatiques, idéologiques, religieuses.


Alors, dans cette perspective, être libre ne consiste pas à vivre sans Dieu ou être son propre Dieu ou s’asservir aux idoles de ce monde. Mais être libre c’est placer le fondement de sa vie en Dieu, c’est mettre sa confiance, sa foi (c’est le même mot) en Celui qui par amour délivre de toutes les puissances de l’Eglise ou du monde. Pour Luther, « la liberté du sujet, sa liberté de conscience, a sa source dans la soumission au Christ. C’est là qu’il puisera lui-même la force de lutter et de résister ».


Or, il faut bien reconnaître que de ce débat intérieur, source de liberté et de responsabilité, l’homme moderne a perdu l’habitude. Il n’a plus guère le temps, ni le désir, de réfléchir sur sa vie, sur l’humain, sur le monde, sur Dieu. Esclave de l’idéologie de la communication, il est plus préoccupé de se mettre en scène sur les réseaux sociaux ou dans les médias, que de dialoguer avec lui-même. C’est dire combien il est important, dans un monde qui privilégie la réaction plus que la réflexion, le paraître plus que l’être, l’agitation plus que la respiration, de redécouvrir les richesses et les promesses de l’intériorité, ajoute Michel Bertrand dans sa communication.


Il ne faut jamais perdre de vue que le geste réformateur de Luther, avant d’être une démarche théologique d’ordre intellectuel, est d’abord le fruit d’une expérience spirituelle. Celle d’une rencontre et d’une relation existentielles avec le Christ. Ainsi, ce qui donne confiance, ce n’est pas l’adhésion à un savoir doctrinal ou à une orthodoxie dogmatique, c’est quand la Parole touche le cœur et saisit la conscience au plus profond, une Parole dont j’éprouve la vérité « pour moi ».


Mais qu’est-ce que la spiritualité pour Luther ? Comment la définit-il ? Cette spiritualité ne débouche pas sur une théologie spéculative ni sur une évasion hors de l’histoire. La Parole accueillie dans la conscience ne conduit pas à un exercice d’introspection solitaire, mais elle appelle le croyant à sortir de lui-même, c’est-à-dire littéralement à exister (ec sister). Ce qui conduira Luther à valoriser les engagements profanes au cœur du monde. « De tout temps, dit-il encore, les saints vivent dans le monde, écrit-il, ils s’occupent de bien des choses domestiques et du domaine temporel, ils gèrent les affaires publiques, ils bâtissent des familles, ils cultivent les champs, font du commerce ou un autre métier ». C’est donc une spiritualité incarnée qui fait de chaque geste quotidien, accompli dans la foi, le travail par exemple, une prière et une action de grâce. En effet, exister devant Dieu, ce n’est pas vivre en soi-même, ni par soi-même, ni pour soi-même, comme en rêve et en souffre l’individu contemporain, mais en tant que personne rencontrée, aimée et appelée à se tourner vers l’Autre et vers les autres. Pour Luther, Dieu est à la fois un Dieu intime et un Dieu social.


3. LE DEFI DU VIVRE ENSEMBLE

L’individualisme contemporain est tellement exacerbé que la relation à l’autre s’efface, entraînant un effondrement des solidarités et une perte de la visée commune. La tentation est alors celle du repli sur soi ou sur la vie privée, considérés comme des valeurs refuges face à un monde perçu comme menaçant. D’ailleurs, de nombreuses expressions spirituelles actuelles, y compris certaines qui se veulent chrétiennes, poussent plutôt à s’évader de l’histoire. Ayant renoncé à « changer le monde », elles invitent nos contemporains à « changer de monde ». Quand ce n’est pas le dangereux réflexe du communautarisme. Ces formes de replis sur l’individu ou sur sa communauté, souvent de manière identitaire, peuvent conduire à se désintéresser de la recherche du bien commun. Du coup c’est la possibilité même de « faire société » qui est atteinte. Ainsi, on constate une perte de confiance à l’égard des acteurs de la vie publique, considérées comme incapables de résoudre les grands problèmes de notre temps. De nombreux symptômes témoignent de ce discrédit concernant le politique au sens large et plus généralement une désaffection à l’égard de la tâche citoyenne, manifestée notamment par l’indécision et l’abstention lors des récentes élections. Ce qui est particulièrement grave au moment où nos démocraties sont confrontées à des défis considérables : économiques, écologiques, religieux ou spirituels...


Alors, face à ces attitudes, on perçoit l’actualité du message de Luther qui rappelle l’exigence d’une foi vécue dans le concret de la vie quotidienne au service des autres. « La foi, écrit-il, est source d’amour et de joie dans le Seigneur et, de l’amour, découle une disposition heureuse, qui s’élance librement au service dévoué du prochain ». En effet la bonne nouvelle de la justification par la grâce, loin de rendre indifférent aux problèmes de la société ou démobiliser pour l’action, comme on le croit parfois à tort, libère pour un engagement lucide dans le monde, sans peur, ni illusion, ni découragement, puisque là ne se joue pas le salut. On pourrait rappeler les responsabilités qu’il a lui-même assumées (parfois difficilement et douloureusement) à travers son message et son action dans les domaines et les événements les plus variés de la vie publique.


Luther va formuler la relation du croyant au domaine temporel dans la « doctrine des deux règnes », rappelant ainsi celle qu’avait formulée Saint Augustin dans « La Cité de Dieu ». Selon ce modèle le sujet croyant est appelé à assumer une double citoyenneté, dans une tension qui parfois déchire sa conscience. Citoyen de ce monde, le chrétien se sait responsable de l’espace public, de sa définition, de son aménagement, de son maintien. Mais comme il est aussi citoyen du Royaume des Cieux, il est libre à l’égard des pouvoirs temporels, dont il sait qu’il ne peut tout attendre et en tout cas pas son salut, ni le sens ultime de son existence. Il peut donc les interpeller, les critiquer, leur rappeler leur mission, dès lors que sont en jeu la dignité humaine, le respect de la justice, la vie de la création, la liberté de croire.


Pourtant, ajoute Michel Bertrand, sa conception du rapport entre religion et politique me paraît demeurer particulièrement pertinente face aux dérives théocratiques contemporaines, mais aussi face aux idéologies qui voudraient réduire les croyants au silence dans l’espace public. Luther considère qu’entre le temporel et le spirituel il ne doit y avoir ni confusion ni séparation mais distinction et articulation. Ce positionnement garantit la liberté du croyant et l’autonomie du politique. Le pouvoir temporel ne doit pas s’ingérer dans le domaine spirituel ni contraindre les consciences. Inversement, le pouvoir spirituel ne doit pas chercher à imposer au monde une quelconque solution chrétienne, c’est-à-dire vouloir dominer l’ordre temporel au nom de l’Évangile.


On peut dire qu’au fond, il a ainsi posé les prémices de la laïcité. La laïcité au sens large, comprise comme la fin du pouvoir des religions sur la société et l’émergence d’un « espace public » autonome, organisé selon les seules logiques séculières. Mais dans cet espace public, les chrétiens, les Eglises, les autres religions peuvent et doivent exprimer librement et publiquement leurs convictions, afin d’élaborer les compromis qui permettent de « vivre ensemble » en société. Il ne s’agit pas, pour les Eglises de s’ériger en magistère moral ou tomber dans la posture du donneur de leçons mais de témoigner de leur compréhension de l’humain à la lumière de l’Evangile, sans prétention hégémonique sur la société. « Si vraiment les religions doivent survivre, a écrit Paul Ricœur, il leur faudra renoncer à toute espèce de pouvoir autre que celui d’une parole désarmée et faire prévaloir la compassion sur la raideur doctrinale... » Jean Calvin, un autre Augustinien, à partir de Genève parlera pour sa part de « juridiction temporelle » et de « juridiction spirituelle ».


4. LE DEFI DU RELIGIEUX

Aujourd’hui, en effet, la question du religieux dans la société se pose de manière dramatiquement nouvelle. Dans de nombreux conflits qui déchirent notre terre, il joue comme un puissant ressort passionnel, légitimant les haines et les violences, notamment celles infligées aux femmes…. Les attentats terroristes ont contribué à alimenter une méfiance assez généralisée à l’égard des religions, considérées comme étant toujours en danger d’intolérance, voire de fanatisme. Les chrétiens et les autres croyants ne sauraient s’exonérer de ce travail critique sur les « pathologies de la croyance ».


Pour les combattre et leur résister il faut d’abord prendre acte que le religieux est une donnée anthropologique. C’est-à-dire un fait humain général, que l’on trouve à toutes les époques et dans toutes les cultures, parfois bien en-dehors des espaces confessionnels. Or méconnaître cette dimension religieuse de l’humain, c’est méconnaître les risques dont elle est porteuse et donc se trouver désarmé quand le religieux se manifeste de manière fanatique et violente, notamment quand il fait retour après avoir été refoulé. Car le religieux, comme d’ailleurs toute idéologie, peuvent devenir dangereux dès lors qu’ils absolutisent socialement une vérité, qu’il s’agisse d’une compréhension de Dieu ou d’une conviction non confessionnelle. Ainsi, la dérive apparaît quand on commence à écrire les noms avec une majuscule : le Parti, le Progrès, la République, la Race, la Raison... la Laïcité elle-même ! La vérité est alors posée comme une réalité indiscutable, un savoir incontestable ou une valeur sacralisée intouchable (ab solus signifie à partir de soi seul).


Or, pour Luther, comme d’ailleurs pour les autres Réformateurs, c’est justement dans cette absolutisation d’une vérité ou dans une « chosification » de Dieu que se trouve la source du processus idolâtre. La foi n’est pas, chez Luther, un contenu de vérité sur Dieu, mais une rencontre en vérité avec Dieu. Il considère que nous n’avons pas accès à Dieu, comme il dit, « dans sa nudité ». Dieu est toujours habillé de langages, d’écrits, de gestes, de paroles, mais en fait il est toujours au-delà des représentations et institutions humaines, à travers lesquelles nous rendons compte de Lui. Ces médiations langagières sont indispensables, mais on ne saurait les absolutiser, car elles ne sont pas Dieu, elles ne font que renvoyer à Lui, et appeler à la foi. LUTHER mettra en œuvre cette conviction dans de nombreux domaines.


- Les rites. Dont il dénonce la prétention magique à mettre la main sur Dieu au détriment de la foi qui est confiance en Dieu ; - L’Eglise. A la suite de saint Augustin, il distingue l’Eglise invisible que Dieu seul connaît et l’Eglise visible qui est une construction humaine, donc faillible et toujours à réformer. La compréhension de l’Eglise demeure aujourd’hui encore l’une des grandes différences, entre protestantisme et catholicisme. Celui-ci considérant que l’Eglise visible est d’institution divine, donc sacrée et intouchable.


- Luther a aussi appliqué cette démarche de désacralisation à La Bible. Je souligne particulièrement ce point, car son approche des Ecritures constitue un puissant antidote à toutes les formes de fondamentalisme qui prolifèrent aujourd’hui et qui identifient la lettre des textes bibliques avec la Parole de Dieu. Or pour LUTHER, l’Ecriture n’est pas, en tant que telle, Parole de Dieu, elle l’est seulement en tant qu’elle conduit au Christ. « Enlève le Christ des Ecritures, écrit-il, que pourras-tu y trouver d’autre ? » Car pour lui, l’autorité ultime c’est le Christ qui est la vérité et le sens des textes bibliques. « Or, Christ est le Seigneur de l’Ecriture et de toutes les œuvres [...] Peu m’importent les passages de l’Ecriture, quand bien même on en avancerait six cents en faveur de la justice des œuvres, contre la justice de la foi. C’est dire que si la foi est de l’ordre d’une expérience personnelle et intérieure, elle requiert pour être formulée un processus d’interprétation et de réflexion. Luther et plus largement la Réforme appellent à penser ce que l’on croit et à le faire dans un dialogue avec la culture, la science, les savoirs contemporains, en utilisant leurs outils et en acceptant le défi de l’interpellation réciproque. Cette intelligence de la foi, Luther l’a pratiquée en devenant docteur de l’Eglise, en utilisant les connaissances de la grammaire, de l’historiographie, en revenant aux langues originelles...


Cette démarche qui n’a rien à voir avec l’intellectualisme ne détruit pas la foi, comme certains le craignent. Elle est une exigence de la foi elle-même qui combat aussi bien l’apathie spirituelle que le fanatisme. Elle implique une approche critique du fait religieux, des formulations théologiques, des pratiques ecclésiales et des textes, y compris de la Bible. Articuler ainsi l’acte de croire et de comprendre c’est refuser de séparer la foi et la raison, la religion et la culture, c’est faire reculer ce que l’on a appelé la « sainte ignorance » et résister ainsi aux poussées d’émotionnel et d’irrationnel, facteurs d’intolérance.


5. LE DEFI DU TEMOIGNAGE

Luther a eu en effet la passion de communiquer au plus grand nombre sa découverte libératrice. L’affichage des 95 thèses en est une illustration symbolique, sinon historique. Dans le but de conquérir l’opinion publique et de convaincre les autorités politiques de son époque, il a mis en œuvre les ressources à sa disposition, en vue de ce qui est une forme de communication de masse. C’est notamment parce qu’il a su utiliser ce nouveau moyen de communication qu’est l’imprimerie que son message a fait grosse impression ! Sans négliger non plus l’importance de la prédication orale qui a également joué un rôle essentiel dans la diffusion des idées réformatrices. Un sociologue a ainsi pu considérer la Réforme « comme un événement médiatique », écrivant à propos de Luther qu’il « incarne l’unité du prédicateur et du publiciste », voyant même en lui « le premier théologien journaliste. ». Il a, en effet, interprété et transmis le message évangélique à partir des questions de son temps, en utilisant et renouvelant les langages disponibles, en travaillant sur le vocabulaire afin de rendre accessible ses idées réformatrices. « Il faut, écrit Luther, interroger la mère dans sa maison, les enfants dans les rues, l’homme du commun sur le marché, et considérer leur bouche pour savoir comment ils parlent, afin de traduire d’après cela, alors ils comprennent. » Il a, avec cette exigence, traduit la Bible dans la langue du peuple contribuant de manière décisive au processus qui allait aboutir à l’allemand moderne.

Si nos sociétés nord-africaines ignorent l’œuvre de Martin Luther, c’est principalement dû au fait que tout ce qu’elles connaissent du christianisme est venu de la colonisation. Or la France Laïque est quand même de culture catholique, alors que les allemands sont protestants. Et il y a un héritage à réclamer et à se réapproprier, puisque Luther lui-même, Calvin, Malbranche, Pascal et tous les réformateurs se sont réclamés de Saint Augustin l’Amazigh. La Réforme est aussi en partie, parti de chez nous. Nous avons abandonné notre héritage, et les autres se le sont appropriés, l’ont développé et se sont eux-mêmes développés grâce à ce que nous avons abandonné et renié. N’est-il pas temps cinq cents ans après la Réforme, de réclamer la paternité de ce mouvement et de se le réapproprier pour nous sortir de notre léthargie civilisationnelle. Et pour utilise le langage d’Augustin et de Luther, nous repentir de ce péché qui a consisté à nous renier et renier nos pères, nos ancêtres et nos origines ? Augustin serait-il encore fier de nous s’il ressuscitait aujourd’hui ? Ne nous demanderait-il pas des comptes sur ce que nous avons fait de son héritage ? N’est-il pas temps de lancer une réflexion sur ce sujet ?


Nabil Ziani

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