Un livre publié par un américain sur l’Algérie, et ayant vécu lui même chez nous durant de longues années a été commenté et résumé par un autre américain ayant également passé une dizaine d’années en Algérie. Les deux parlent parfaitement l’anglais, le français et l’arabe.
L’auteur du livre, Allan Christelow a travaillé comme enseignant d’anglais dans un lycée d’Annaba dans les années soixante-dix. Il garde un souvenir encore vivace de son séjour dans notre pays. Il en a étudié l’histoire, tentant de jeter une lumière sur son avenir. Il a publié « Algerians without borders », objet de cet article, et aussi « Muslim Law Courts and the french colonial state in Algeria ».
David Johnston qui a lu le livre de Christelow, a exercé comme pasteur à l’Église Protestante d’Alger durant les années quatre-vingt. Nous avons déjà publié une interview exclusive de lui sur sa vie en Algérie, en Égypte et en Palestine. Il est aujourd’hui enseignant à l’Université de Pennsylvanie, et prépare une traduction sur un livre du tunisien Rached Ghannouchi sur lanotion de liberté dans la pensée musulmane. C’est donc à deux américains « algériens » que nous avons affaire.
Depuis la fin du XXe siècle, les chercheurs ont commencé à étudier le flux de populations dans diverses directions. Cette nouvelle discipline, appelée diversement «Études sur l'immigration», «Études sur la migration» ou «Études sur la diaspora», s'est concentrée sur divers aspects de ce phénomène, nettement accéléré avec les moyens de la mondialisation durant cette période. Allan Christelow, historien spécialisé depuis plus de trois décennies en Afrique du Nord, a publié un livre sur les migrations de populations algériennes au cours des deux derniers siècles et demi, Algériens sans frontières.
L'intérêt de Christelow pour l'Algérie, selon David Johnston, remonte à 1971-1973, alors qu'il enseignait l'anglais dans un Lycée d'Annaba. Après avoir passé neuf ans en Algérie peu de temps après, j'ai lu son livre avec beaucoup d'intérêt. De toute évidence, les Algériens habitent un territoire repris et / ou colonisé par une variété de peuples au fil du temps. À l'époque de saint Augustin (Hippone aujourd'hui Annaba), la terre a été régie par les Romains. Puis, au VIIe siècle, les Arabes la conquirent sur leur route vers l'Espagne. Puis suivirent les Almohades, les Fatimides et les Ottomans, avant l'avènement de la colonisation française en 1830. Et, comme on pourrait le deviner, de tels bouleversements créent des flux de population se déplaçant dans de nombreuses directions. Ainsi, la définition de Christelow du «territoire frontalier»: «une zone de forte transition environnementale qui se trouve à l'intersection de différentes grandes zones politico-culturelles» (p.3).
L’incontournable Ibn Khaldoun
Ibn Khaldoun a fasciné Christlow qui l’a étudié de près, relevant la perspicacité de ses analyses et leur pertinence. Ainsi Christelow jette son regard historique sur le mouvement des personnes et des idées, de manière appropriée, en se basant sur les écrits du penseur du 14ème siècle Ibn Khaldoun, qui a écrit sur le caractère cyclique de l'histoire tout en étant basé lui même dans ce qui est aujourd'hui l'Algérie venant de la Tunisie. Pour ce dernier, les empires les plus réussis ont été les Almohades et les Fatimides. Mais se demande l’auteur, « pourquoi ont-ils, comme tous les autres, décliné? » Ibn Khaldoun voit la réponse dans le modèle d'un leadership fort qui construit la solidarité de groupe loyale ('asabiya) mais qui avec le temps devient faible, l'exposant ainsi à être dépassé par un pouvoir plus fort. Pourtant, c’était juste un siècle avant l’arrivée des Ottomans et le conflit de trois cents ans qui s’en est suivi avec l'Espagne et d'autres puissances européennes que leur règne a déclenché dans la Méditerranée occidentale.
Trois cycles de transition
À partir des années 1780, Christelow voit trois cycles de conflits suivis d'une période de transition, pendant laquelle les gens de vision - parce qu'ils ont voyagé et ont interagi avec d'autres cultures et idées - cherchent à promouvoir un nouvel ordre de coopération internationale et d'harmonie. Dans son Epilogue («Asabiya à l'ère numérique»), il exprime sa conviction que le «printemps arabe» est le signe d'une quatrième transition, ouvrant de nouvelles possibilités à l'ensemble de l'humanité. J'expliquerai son argument en énonçant avec plus de détails la première de ces transitions: les quarante ans qui ont mené à l'invasion française de l'Algérie en 1830, dans son premier chapitre, «A Failed Transformation, une transformation ratée, 1775-1830», nous dit l’ancien pasteur d’Alger.
Première transition
Christelow s’inspire de l’histoire de l’Algérie dans les années 1780, lorsque la combinaison d'une attaque espagnole a échoué en 1775 (annonçant la fin de la guerre de 300 ans) et l'intérêt manifesté par les européens pour l'achat de céréales à l'Algérie, semblaient ouvrir de nouvelles possibilités pour un territoire dont le regard était tourné vers l'intérieur depuis si longtemps. En effet, il s'agit d'une période de transition, d'un temps «où l'ordre ancien était clairement destiné au changement et où il y avait des individus ayant une vaste expérience capable de formuler des visions efficaces pour la transformation» rapporte l’auteur. La souveraineté ottomane était venue en Afrique du Nord (à l'exception du Maroc) au début des années 1500, sous la direction des janissaires, des soldats esclaves bien entraînés dans les combats et éduqués à la magistrature. Pourtant, à cette époque, le modèle habituel de la piraterie en Méditerranée, avec un traité occasionnel avec telle ou telle nation européenne, commençait à se désagréger. Cette rupture de l'ordre ancien était en partie due à la disparité croissante de la technologie militaire et à la complexité croissante des relations diplomatiques avec les différents acteurs européens et en partie à des querelles politiques internes entre le dirigeant d'Alger et les deux Gouverneurs (les beys) de Constantine à l'est et Oran à l'ouest.
Des algériens en Amérique
C'est là que Christelow insère une parenthèse fascinante. Quand, en 1885, les Britanniques rapportèrent sournoisement au Dey d’Alger que certains navires américains étaient au large des côtes du Portugal, il acquiesça, pris possession des deux navires et emmena ses équipages à Alger comme esclaves. Puis, dans les années 1790, onze autres navires furent capturés. Au moins deux prisonniers de la première vague, Richard O'Brien et James Leander Cathcart, se sont retrouvés à de bons postes dans l’administration de la Régence et ont développé une relation étroite avec Hasan Pacha qui deviendra Dey en 1791. Mais quant à les ramener à leur nouvelle nation, le trésor de Philadelphie ne pouvait pas se permettre quoi que ce soit, ni de payer la Régence ni de la menacer. Cependant, durant cette période il y a des documents d'archives rapportant que deux hommes algériens et une femme se sont présentés en Virginie en 1885, ne parlant pas anglais, portant des documents en hébreu, et demandant à être envoyés à Philadelphie. Puisque c'était juste après la capture des deux navires, et comme un éminent Virginien était considéré comme étant parmi les ravisseurs, cette nouvelle «a déclenché une vague de paranoïa» (p.31). Bien que le reste de l'histoire ne soit pas connu, deux ans plus tard, un livre a été publié à Philadelphie avec le titre "The Algerine Spy en Pennsylvanie, l’espion algérien en Pennsylvanie »." De façon remarquable, le roman d'espionnage était bien informé de la politique et de la culture de l'Algérie ottomane. Même les détails de l'itinéraire emprunté par les espions étaient réalistes, y compris le rôle important joué par les hommes d'affaires juifs comme intermédiaires entre les pays occidentaux et l'Afrique du Nord.
Un autre visiteur algérien à Philadelphie en 1794, rapporte Christelow, a écrit deux lettres au secrétaire d'Etat Edmond Randolph. L’ancien annabi soutient qu'il avait été un probable envoyé du Dey d'Alger; Sa propre écriture au bas des deux lettres en turc montre qu'il faisait partie de l'élite ottomane; Il devait avoir été entraîné par O'Brien durant sa captivité, quant aux tenants et aboutissants de la politique américaine. Une lettre avec un texte fluide dans un anglais parfait avec toutes les subtilités du discours diplomatique – Certainement la touche d’O'Brien, avance Christelow. L'autre lettre saute les détails sur la façon dont il est arrivé aux États-Unis, demandant subtilement de l'aide pour mettre fin à son "exil", et assure au Secrétaire d’État qu'une fois qu'il serait de retour il serait dans une excellente position pour aider dans toutes les négociations pour obtenir la libération des «malheureux Américains qui sont peut-être à Alger». Enfin, il fait appel à Randolph «par les liens sacrés d'un frère maçon» (p.1). Christelow nous informe que d'autres Algériens de cette période sont connus pour avoir rejoint les francs-maçons.
Affaiblissement de l’Algérie Ottomane
Christelow est silencieux sur le sort de tous les esclaves américains - insinuant seulement qu'O'Brien a été relâché après dix ans et qu'un traité de 1815 a couvert la libération de tous les prisonniers américains en Algérie. Ce sur quoi Christelow a pourtant attiré l'attention, c'est ce qui a contribué à l'affaiblissement de l'Algérie ottomane et à l'apparition des idées sur les droits de l'homme. Parmi les facteurs qui ont conduits à une plus grande instabilité de l’Algérie ottomane, figurent deux épidémies de la peste (1785 et 1817), un bouleversement religieux à l'ouest (la Rébellion de Darqawa), la revitalisation des ordres soufis avec l'influence néo-soufie de l'est, et l’attaque contre les communautés juives.
Comme il le fait pour les deux prochaines périodes de transition, Christelow met en lumière deux personnalités qui essayaient de servir comme des ponts vers ce qu'ils considéraient comme une prochaine ère de cosmopolitisme et de dialogue. Mais ils ont échoué - surtout parce que les Français ont envahi l'Algérie en 1830, inaugurant 132 ans de colonisation. Ces deux hommes étaient des érudits proches des Ottomans au pouvoir, et tous les deux étaient Kulughlis, c'est-à-dire les fils de Janissaires (donc turcs) et de femmes locales. Le premier fut Hamdan Khodja, qui avait vécu dix-sept ans à Istanbul, parcourut toute l'Europe et écrivit un livre qu'un ami tripolitain, homme d'affaires et diplomate traduit en français, Le Miroir, publié en France en 1833. Khodja a lancé son argument aux libéraux français «que la meilleure ligne de conduite pour les Français et les Algériens était un changement pragmatique, introduisant des réformes politiques et cherchant à ouvrir des relations commerciales» (p.45).
Le deuxième personnage fut Mohamed Ibn al-Annabi. Il a commencé comme un Kadi, ou juge dans une cour de shari'a à Annaba. Mais les événements de 1815 et 1816 l'ont conduit à une carrière diplomatique. Il arriva que les Américains, par la diplomatie (le Commodore Stephen Decatur vint à Alger), puis les Britanniques avec les Hollandais, par une attaque contre Alger, les forcèrent à négocier la libération de tous les prisonniers et à renoncer à tout acte de piraterie . Ibn al-Annabi a servi comme un diplomate au Maroc, en Egypte et à Istanbul, mais est surtout connu pour un livre qu'il a écrit sur la façon dont les Ottomans pourraient améliorer leur armée. Son argumentation portait en partie sur l'organisation et l'armement, mais surtout sur la façon dont l'islam lui-même devait être repensé dans un monde en mutation. Il revint en Algérie en 1830, servant de shaykh al-Islam, c'est-à-dire juriste en chef et juge. Deux ans plus tard, les Français l'ont chassé pour ses opinions critiques et ont supprimé cette fonction. Il a vécu le reste de sa vie à Alexandrie, où il a été nommé Kadi pour le rite Hanafite, au milieu d'une grande communauté d'Algériens.
La roue tournait pourtant, et bien que les libéraux français aient voulu soutenir les vues de Hamdan Khodja, c'était le courant pro-impérialiste qui a entraîné la prise de contrôle militaire du territoire, transformant les Algériens en «citoyens musulmans de France» de seconde classe et provoquant une forte émigration d'Algériens vers l’Egypte, la Syrie et ailleurs - d'où le deuxième chapitre «Colonial -Era Border Crossing, 1830-1911, l’ère coloniale de la traversée des frontières. "Comme c'était le cas avec les premières vagues, les Algériens Ils étaient des mouhadjirines, s'engageant dans la hidjra, tout comme la première "émigration" du Prophète de La Mecque à Médine, ou, comme le feront plus tard les œuvres juridiques islamiques, en quittant la «Dar el Harb » vers « Da El Islam ». Mais dans la pratique, que ce soit en Arabie, en Egypte, en Syrie ou au Maroc, ces personnes étaient considérées comme des réfugiés, forcés à acquérir des compétences pour s'adapter à des contextes très différents - des contextes où ils n'étaient pas toujours les bienvenus. De nouvelles vagues d'exilés ont quitté la patrie dans la seconde moitié du XIXe siècle, certaines provoquées par des épidémies de peste et de choléra, d'autres par des révoltes durement réprimées (comme en 1871 après la guerre franco-prussienne) et d'autres par de nouvelles mesures de contrôle de la part de l'administration française, comme à la fin des années 1880 et surtout en 1911, lorsque les Français ont recruté des Algériens pour la Grande Guerre.
L’Emir Abdelkader
C'est là qu'intervient la figure centrale du livre, le fascinant Abd El Kader (1808-1883 ), Qui incarne tant de rôles différents: le fils d'un Cheikh Kadiri et d'un chef soufi à part entière; L'homme qui a organisé la résistance militaire contre les Français pendant dix-sept ans; L'homme exalté dans une biographie écrite par le consul britannique en Syrie et au Liban, Charles Henry Churchill; L'homme qui a accueilli une série de dignitaires internationaux en prison en France; L'homme qui, avec l'aide financière française, s'installa à Damas pendant les vingt-huit dernières années de sa vie, poursuivit sa carrière universitaire, s'engagea dans la diplomatie internationale et utilisa même sa milice pour sauver une grande communauté chrétienne attaquée par les druzes. Certaines sources allèguent même qu'il a été intronisé en tant que Maçon en 1865 lors d'un voyage à Paris. Abd al-Qadir est probablement plus que quiconque un exemple de l'exil algérien qui a traversé tant de frontières à la fois littéralement et métaphoriquement, qui a pu toucher toute une génération de contemporains tant à l'est qu'à l'ouest. Ses œuvres continuent d'attirer les lecteurs et les chercheurs.
À la lumière de cela, il n'est peut-être pas surprenant que ses fils de plusieurs femmes aient également exercé le leadership, mais dans plusieurs directions (Chapitre 3, "Le dernier djihad et la fin de Hijra, 1911-1920 "). Certains étaient pro-français, tandis que d'autres appuyaient les ottomans en déclin, et d'autres encore, surtout dans la troisième génération, se sont pris entre les alliés et l'alliance germano-ottomane. Le plus célèbre en ce temps était Abd El Kader Ben Ali, qui, dans sa tentative d'affirmer le pouvoir des Arabes contre les Turcs ottomans, s'est associé pendant un certain temps avec TE Lawrence (plus connu sous le nom de Laurence d’Arabie) et les Français du côté de Sharif Hussein du Hidjaz. Pendant ce temps, son cousin Malik dirigeait la lutte au Maroc contre les Français, donc le chef français au Moyen-Orient, le Colonel Brémond, l'obligeait à écrire à son cousin pour lui demander d'arrêter la résistance. Sur le front arabe, Abd El Kader était tombé en désaccord avec la stratégie de Lawrence et est retourné à Damas. En fin de compte, les événements ont prouvé qu'Abd El Kader avait raison.
Deuxième grande transition
Christelow se tourne ensuite vers la deuxième grande transition, de la fin de la Première Guerre mondiale au début de la Révolution (1954) (Chapitre 4, «Échange et innovation dans l'ère révolutionnaire», ). C'est aussi pour lui un temps ou il y avait de grandes idées et de possibilités. Outre les développements artistiques passionnants en Algérie (littérature, théâtre et musique) et le vigoureux dialogue musulman-chrétien-juif, deux personnes se distinguent pour lui. Le premier est Bachir El Ibrahimi, l'un des savants exilés qui a enseigné à Médine, puis à Damas, mais est finalement revenu en Algérie pour aider à fonder l'Association des Ouléma ("érudits musulmans") avec Abdel Hamid Ben Badis, une organisation musulmane algérienne véritablement indépendante avec une tendance réformiste. Ibrahimi est devenu son dirigeant de 1940 à 1952. Dans ses écrits et ses actions, Ibrahimi a cherché à revitaliser la société algérienne à tous les niveaux et pour lui, l'ingrédient clé était l'éducation, y compris pour les femmes. De manière significative, son fils Ahmad Taleb Ibrahimi a suivi une formation en langue française, ce qui l'a amené à étudier la médecine en France. Patriote, il fut incarcéré par les Français pendant la guerre d'indépendance et plus tard servi comme ministre dans plusieurs gouvernements algériens. Mais le plus influent pour Christelow durant cette période était Malek Bennabi, le philosophe autodidacte. N'ayant pas trouvé un bon emploi en Algérie, il se rendit en France en 1925 et s'inscrivit dans une école technique pour devenir électricien. L'étude de la science l'a fasciné, mais aussi beaucoup d'autres sujets. Il passait plusieurs jours dans la bibliothèque, dévorant des livres de toutes sortes. Il a ensuite commencé sa carrière d'écrivain en publiant un livre juste après la guerre, Le Fait Coranique, voulant présenter le Coran sous un jour moderne et le rendre plus attrayant pour sa génération. Puis s’en suivit un flot de livres dans lesquels il cherchait à réveiller ses compatriotes de leur sommeil, idéologiquement, culturellement et politiquement. Ce qui est remarquable, c'est que ses écrits sont encore populaires, non seulement en Algérie, mais aussi dans des endroits comme la Malaisie et le Moyen-Orient.
Troisième période de transition
Elle a eu lieu pour Christellow dans les années 1980, quand après une longue période de répression par un régime de parti unique très autoritaire en place depuis 1965, quelques ouvertures sont apparues. Déjà en 1980, ce sont les médiateurs algériens qui ont contribué à la libération des otages américains à Téhéran. Les nouveaux partis politiques ont été autorisés à entrer dans l'arène politique, mais timidement. Plus que tout, cependant, la mauvaise gestion économique de l'Algérie allait provoquer les émeutes d’Octobre 1988. Elles ont contribué à faire avancer l'opposition islamiste. Le FIS (Front islamique du salut) a si bien réussit aux élections législatives de 1991 que l'armée est intervenue avant le second tour et que l'Algérie plonge dans une guerre civile. Le chapitre de conclusion de Chirstelow («Les dynamiques de la peur et de l'espoir») s'articule autour de ce thème récurrent: le conflit produit l'exil, qui à son tour crée un ferment de pensée nouvelle, de nouveaux liens créés au niveau international et l'espoir d'une nouvelle ère de dialogue et de consensus en dépit des différences.
Certes, comme de nombreux Algériens ont fui leur pays dans les années 1990 et encore dans les années 2000, ils ont rejoint (et même fondé) des ONG qui cherchent la justice pour les prisonniers, les femmes et les réfugiés. Beaucoup ont pris des rôles actifs. Les immigrants algériens ont formé des communautés vitales au Canada, en Grande-Bretagne, en Suisse et même en Nouvelle-Zélande, comme l'illustre l'histoire du dirigeant du FIS Ahmed Zaoui. Il a rebondi de la Belgique, de la Suisse au Burkina Faso, puis de l'Australie à la Nouvelle-Zélande, où il a d'abord été arrêté, passant près d'un an en isolement cellulaire. Pourtant, avec le plaidoyer des droits de l'homme et des groupes religieux, son nom a été supprimé des listes terroristes et il a commencé à faire de la Nouvelle-Zélande son domicile, la construction de relations par le football et la musique. Il s’est également engagé dans beaucoup de dialogues inter-religieux.
Terminant son livre avec un ton prudemment optimiste, le bref épilogue de Christelow reprend son thème du début sur le caractère cyclique de l'histoire. L'auto immolation de Muhammad Bouazizi dans une petite ville de province tunisienne, grâce aux nouveaux médias sociaux, a déclenché ce que nous appelons aujourd'hui le «printemps arabe». Mais cela l'amène à poser cette question: «Les médias électroniques peuvent-ils prêter au genre de Revitalisation politique qu’Ibn Khaldun attribuait à la asabiya? "(P.188). Ce qui est crucial dans le monde d'aujourd'hui, affirme Christelow, c'est «la mise en œuvre de réformes qui peuvent encourager le développement d'une sphère publique où la discussion est vive, articulée et civile». Ce n'est qu'ensuite que des solutions aux problèmes certes compliqués ou même insolubles seront élaborées dans chaque nation. C'est la quatrième période de transition pour les Algériens, écrit-il, et une opportunité pour les habitants de cette région. Comme il l'a démontré habilement tout au long de son livre, ce sont souvent les gens des diasporas - ou des individus revenant de l'exil - qui sont les plus capables d'articuler des visions aussi inclusives et tournées vers l'avenir. Comme je le vois, la recherche historique de Christelow est stellaire Sur les ouvrages arabes des historiens algériens (un au XIXe et un autre au XXe siècle), des bibliothèques d'archives dans quatre pays, des ouvrages secondaires en anglais, en français et en arabe, ainsi que de nombreuses interviews personnelles. Mais comme je ai également essayé de le montrer, son propre tissage de ce double thème des flux migratoires et des modèles cycliques d'époques potentiellement fructueuses de transitions donne à son œuvre une profondeur qui laisse au lecteur une nouvelle appréciation, à la fois pour la riche contribution globale des Algériens Émigrés et pour le mélange des dangers et des possibilités d'espoir construit dans ce temps fragile de bouleversements dans le monde arabe de façon plus large.
Le regard américain sur notre histoire est intéressant. Il nous change de celui des français, prédominant dans la littérature, et nous permet d’entrevoir une porte de sortie à notre crise, à partir de notre propre vécu historique. Le livre de Christelow permet d’avoir un regard relativement neutre sur notre situation, puisqu’en tant qu’américain, il n’était pas directement concerné par notre histoire, du moins, beaucoup moins que les français.
Traduit et commenté par Nabil Z.
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