Djamel Mechehed, spécialiste en codicologie, la science des manuscrits et des codex, et responsable de la collection des manuscrits de Lmuhub Ulahbib, a présenté, avant-hier à la bibliothèque principale de Béjaïa, une conférence intitulée «Yennayer: une fête millénaire et un calendrier intelligent».
Durant toute sa communication, le chercheur s’est astreint méthodologiquement à des explications pédagogiques sur le fonctionnement du calendrier berbère, avec forces exemples et détails, en utilisant des sources documentaires aussi variées que rares, issues de ses recherches dans différentes bibliothèques, aussi bien algériennes (manuscrits de Lmuhub Ulahbib), marocaines (bibliothèque royale de Rabbat), espagnoles (l’Escurial), et américaine de Princeton. Il démontre l’ingéniosité des intellectuels amazighs dans leurs méthodes de calculs, pour déterminer avec précision les saisons et rendez-vous agricoles, avec les différents cycles de la végétation qui donnent les moments cruciaux pour l’agriculture. Selon Djamel Mechehed, l’analyse des manuscrits disponibles dans les bibliothèques citées plus haut, «permet de constater l’existence d’un calendrier savant, issu du calendrier berbéro-agraire». Il ajoute que «la connaissance du climat et sa prévision occupent une place très importante chez les Berbères parmi leur savoir-faire, encore en usage en Kabylie, dans les montagnes de l’Atlas, dans le grand Sud chez les Touaregs, à Djebel Nefoussa et dans d’autres régions de la Tunisie». Les Berbères n’utilisaient, donc, pas seulement leur instinct et leur sagesse pour déterminer les temps et les saisons, mais ils ont développé de véritables outils de calculs, à l’instar de l’astrolabe, et des méthodes mathématiques éprouvées. Djamel Mechehed a donné ainsi plusieurs exemples applicables dans différents domaines, réglés grâce à ces calculs. Le talent oratoire du chercheur a également permis de donner davantage d’épaisseur à sa communication, laissant entrevoir l’immensité du travail accompli et la modestie par rapport à l’autre partie qui reste encore à découvrir.
Nabil Ziani a tenté de répondre à «Qui sont les Berbères ?» La deuxième communication a été présentée par le journaliste et chercheur Nabil Ziani, autour de la véritable identité du peuple berbère et sa place dans le concert des civilisations. Commençant son propos, il a fait remarquer que la définition généralement admise sur l’identité berbère nous a été imposée par nos conquérants. Prenant l’exemple de l’historien romain Salluste qui nous définissait ainsi: «Les premiers habitants de l’Afrique furent les Gétules et les Libyens, gens grossiers et barbares qui se nourrissaient de la chair des bêtes sauvages ou de l’herbe des prés, à la façon des troupeaux». Cet éminent historien traitait les Berbères de rien, de moins que des animaux sauvages. Pas étonnant que le colonisateur français, des siècles plus tard, nous traite encore de sauvages et de bicots. À défaut de réussir à nous donner notre propre définition de notre identité pour relever l’honneur de tout le peuple amazigh, en se basant sur des sources plus diversifiées et moins subjectives, tels Ibn Khaldoun, El Bekri, Strabon, Camps et bien d’autres, le journaliste propose d’explorer trois sources non encore suffisamment exploitées pour se repositionner dans le cours réel de l’Histoire et de reprendre la place qui nous a été subtilisée par nos conquérants. Le chercheur a rappelé que nous avons été Phéniciens, Grecs, Romains, Vandales, Byzantins arabe, Turcs et Français, mais jamais nous même. Alors qu’une partie de ces civilisations a disparu depuis des lustres, le peuple berbère reste encore vivant et déterminé à reprendre sa place dans le concert des civilisations.
Ainsi, trois documents restent à ce jour largement ignorés et sous exploités, pourtant donnant une place de choix et d’honneur à notre peuple, dans son ensemble. Il s’agit du livre « Histoires » d’Hérodote, ce Grec qui a inventé la discipline de l’Histoire, en publiant le premier livre à ce sujet, dont le volume quatre est largement consacré à la Libye, nom qui désignait toute l’Afrique du Nord. Dans ce livre, il met le peuple berbère sur un piédestal et raconte comment les Grecs, c’est à dire les occidentaux, doivent tout à la civilisation libyenne, et qu’ils ont tout appris chez eux. Ensuite, il y a le livre de Diodore de Sicile, un autre historien et chroniqueur grec du premier siècle avant Jésus-Christ, qui a écrit un livre qui avait pour but de raconter toute l’histoire humaine, en se basant sur toutes les sources disponibles à son époque. Ce livre est intitulé « Bibliothèque Universelle ». Il y raconte notamment que les mythes fondateurs de la civilisation gréco-romaine étaient d’origine libyenne, donnant l’exemple des divinités adorées par ces peuples. On y apprend notamment que la déesse Athéna, fondatrice de la ville d’Athènes, est née en Tunisie, aux bords du Lac de Tritonis (Chett Ledjrid), que Poseidon est en fait la divinité berbère Anzar, que même celui qui était considéré comme le Dieu des Dieux, Zeus, était en fait la divinité amazighe connue sous le nom de Amon. Le troisième livre sur lequel est revenu le chercheur est la Bible. «Il y a plus de vingt-deux textes dans la Bible qui font référence aux Berbères», a-t-il déclaré. Chachnaq n’est que l’un des exemples, avec celui de Simon de Cyrène qui a aidé Jésus à prendre sa croix sur le chemin du Calvaire. Dans ce livre, les Berbères sont dépeints de manière honorable et respectable. Certains textes leur donnent même la supériorité sur les autres nations. De plus, a-t-il précisé, selon plusieurs chercheurs, dont Gabriel Camps, Etienne Gilson, Henry Marou, Lucien Oulahbib, l’ancien archevêque d’Alger, Henri Teissier et bien d’autres, «le christianisme latin a été l’œuvre des Berbères, tels Tertullien, Cyprien, Augustin et bien d’autres. D’ailleurs, ce fut un pape berbère qui a latinisé l’Église Catholique, alors qu’elle demeurait depuis longtemps d’expression grecque».
N. Si Yani
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