La citadelle kabyle se trouve au sud de la wilaya de Béjaia, perchée à quelques 1200 mètres d’altitude, sur la chaîne des Bibân. Entourée d’un mur de protection, la ville était connue pour avoir été un refuge pour les gens fuyant la colère des deys et de leurs soldats. C’était l’époque ou l’Afrique du Nord était sous occupation ottomane. Au début du 20eme siècle, on y a trouvé des armes surprenantes.
A la prise de la Qalâa par l’armée française, on y a trouvé de nombreux canons qui en ont surpris plus d’un parmi les officiers de l’armée française. Une étude minutieuse a donc été confiée au capitaine Maitrot qui a révélé dans son rapport en 1911 que lesdits canons comportaient des inscriptions gravées en caractères arabes et hébreux.
Dans un cartouche bien distinct, on peut lire une transcription arabe comportant le texte suivant :
« Au nom d’Allah clément et miséricordieux. A notre maître, commandeur des croyants, Mohamed fils de Abdelaziz El Abassi- qu’Allah lui accorde la victoire- celui qui trouve en Allah un appui, celui qui combat dans la foi en la voie d’Allah, Maître des mondes. Fondu dans le mois de Djoumada II de l’année 767. Oeuvre du chrétien Hassan El Roumi ». On peut donc situer avec précision la date de la fabrication de ces cannons, puisque la date y est gravée. En convertissant celle donnée en Hidjri, nous obtenons celle de Février- Mars 1366 de notre calendrier. Et cette inscription pose de sérieux problèmes pour les historiens, puisque la mention de Amir El Mouminin n’était généralement pas utilisée à cette époque. C’est le titre d’Amir El Mouslimin qui était en usage. On peut donc imaginer qu’à l’époque, le titre d’Amir El Mouminin était anticipé dans la Qalâa. Ce qui démontre que les princes ou rois de l’époque n’étaient nullement subordonnés à un quelconque royaume, fut-il musulman. D’où la réputation de farouche indépendance de la Qalâa. Par ailleurs, cette inscription nous renseigne sur la présence de chrétiens dans la Qalâa. Ce qui démontre la grande tolérance qui y régnait. Non seulement ils y vivaient, mais on dirait qu’ils y étaient pleinement intégrés, soit en tant qu’autochtones, soit en tant qu’étrangers. Il serait toutefois étonnant qu’on ait pu confier la fabrication de cannons, arme stratégique de l’époque, à des étrangers. Il devait donc s’agir bel et bien de chrétiens autochtones. Mais pourquoi alors cette autre inscription en caractère hébraïque ?
La lecture et la traduction de l’inscription en hébreu sur ces mêmes cannons nous permet d’obtenir le texte suivant : « Signature du jeune homme digne de louanges, Tchalabi Halévi Prençal. Abraham Prençal, gravée pendant la fête de Sukkah, par Yacoub Hadjadj fils de ‘Azar ».
Les Halevi Prençal sont originaire d’Europe de l’est, et sont venus s’installer en Kabylie vers 1750. Ils étaient essentiellement enseignants, et ont même laissé des livres sur différents sujets. Certaines sources affirment que cette famille aurait transmis un important document remis à la tribu des Ait Ouerthilane vers l’an 1772. Un document à retrouver donc.
On voit donc que les Ath Abbas s’y sont mis à trois communautés pour lancer une industrie performante, alliant les talents et les compétences de chaque membre de la société, indifféremment de son appartenance religieuse. Cette industrie a tellement été couronnée de succès qu’Ibn Khaldoun a signalé l’utilisation des cannons lors de la prise de Sidjilmassa au Maroc. Plusieurs de ces cannons produits à la Qalâa des Ath Abbas se trouveraient actuellement au Musée de l’Artillerie, aux Invalides à Paris. Cette Qalâa était aussi renommée pour sa production de la poudre. Voici donc qu’elle produisait également des cannons et cela, depuis au moins le 14eme siècle. Toute la région avait ainsi développé une industrie multiple qui ne servait pas seulement les besoins du royaume et de sa population, mais était exporté au-delà de ses limites. C’est certainement un objet d’étude qui en surprendra plus d’un. Aujourd’hui la Qalâa ne bénéficie d’aucun moyen particulier qui permettrait de mettre à jour son histoire et de la faire connaître. Les budgets alloués par l’État à cette région concernent essentiellement la préservation du bâti historique. Car les murs et les palais de naguère tombent en ruine. Mais les pierres ne sont pas l’histoire. Elles n’en sont que le support. Il faudra certainement aller plus loin dans la restitution de ce patrimoine qui nous renseignera sur une partie importante de l’histoire du pays.
A titre d’exemple, Kamel Drici, dans son livre « Dialogue islamo-chrétien » rapporte que ce fut un architecte chrétien autochtone qui a bâti une autre Qalâa, celle des Beni Hammad à M’Sila. Le roi Zianide de Tlemcen, Yaghmouracen avait un bataillon entier composé de chrétiens qui étaient chargés de sa sécurité personnelle. Ceci pour rappeler que la compétence a toujours eu les faveurs des gouvernants, tant qu’il était question de bâtir, de construire et de se développer.
Nabil Z.
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