Le 3 Août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le lendemain, deux croiseurs allemands bombardent Annaba (Bône) et Skikda (Philippeville), faisant plusieurs morts et blessés. Les deux premières victimes étaient des autochtones.
C’est ce qu’affirme l’historien Gérard Silvain qui a récemment mené l’enquête sur ce sujet. Selon lui, « La guerre de 1914-1918 a véritablement commencé pour la France, par le bombardement par la marine Allemande des ports, en Algérie, de Philippeville et Bône, le 4 août 1914 ».
Dès lors, il apparaît que les premières victimes de cette guerre, sont tombées à ce moment-là, et parmi elles, deux soldats du corps des zouaves Mimoun Bénichou et Yahia Benhamou.
En effet, le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France, et le lendemain, à 3h40, sa marine composée de deux croiseurs bombarde deux villes situées au nord-est de l’Algérie. Ce sont les premiers coups de canons de la première guerre mondiale qui viennent ainsi d’être tirés. C’est le quotidien français l’Echo d’Alger qui en a donné l’information le jour même en titrant en gros caractères, "Bône et Philippeville ont été bombardés ce matin".
Dans un communiqué laconique, le général gouverneur d’Alger Charles Lutaud annonce qu’ « un raid de la marine allemande a été effectué par deux croiseurs, le Breslau et le Goeben ». Durant le conflit qui avait opposé la Grèce à la Turquie deux années plus tôt, le grand quartier général allemand, par fine stratégie et par précaution, avait envoyé les deux croiseurs en Méditerranée et en avait confié le commandement au Vice-amiral Wilhelm Anton Souchon. Les deux navires ont depuis, mouillé dans le port italien de Messine jusqu’à la date de la déclaration de guerre, au 3 août 1914. Ils étaient donc depuis longtemps opérationnels, prêt à répondre à toute réquisition de leur commandement.
Les deux navires vont effectuer leur mission sans rencontrer de résistance. Pourtant, le commandant de l’artillerie du front de mer d’Alger est prévenu de la présence des deux croiseurs allemands dans les parages. Il donne l’alerte à ses batteries côtières. Des instructions sont données pour entre autres « Inquiéter l’ennemi, l’attaquer selon les possibilités sur les côtes d’Algérie ». Malgré cela, à 4h30, le Goeben se trouvera devant Philippeville, le Breslau devant Bône. Selon l’historien français, « Ils reconnaitront d’abord, sous pavillon russe, ce qui se trouve dans chacun de ces ports. Ils essaieront ensuite, après avoir hissé les couleurs allemandes, de détruire au canon les transports de troupes et les installations pouvant servir à ces transports. Economiser les munitions, ne pas s'engager contre les ouvrages à terre… ».
Cent quarante obus sur Annaba
Le croiseur, se sachant en infériorité numérique, face à l’armada qui se trouvait dans la région, exécute quand même son plan, "pour que le premier coup de canon soit tiré en mer par les Allemands et montrer au monde comment un de leur vaisseaux, seul en Méditerranée, et entouré de flottes ennemies, allait bombarder le territoire de l’adversaire au premier matin de la guerre".
Un peu plus d’une heure plus tôt, le croiseur léger Breslau, qui naviguait au large de Bône sous pavillon russe, hisse le drapeau allemand et ouvre le feu sur le port et ses abords. Le tir cesse à 4h30. Ses canons de 105 mm ont tiré cent quarante obus qui ont principalement touché le sémaphore, le parc à fourrage, l’usine à gaz et les vieux bâtiments de l’archaïque Manutention militaire. On déplore deux morts et six blessés. Le croiseur prend rapidement le large sans avoir rencontré de résistance.
A cause de la censure imposée par l’Armée française à la presse, ce ne sera qu’au 31 décembre 1914 que l’Echo d’Alger eut l’autorisation d’informer ses lecteurs des événements de Bône et Philippeville.
Cette attaque fut rendue possible, parce que les allemands savaient que l’armée française avait pris ses dispositions pour renforcer la défense de ses côtes, mais que ça ne devait se faire que quelques jours plus tard. Les allemands ont pris de court la défense française et ont agis plus vite.
Skikda reçoit cinquante obus
A Philippeville, Le 4 août 1914, à cinq heures, le croiseur de bataille Goeben, qui navigue sans aucun pavillon de nationalité, « hisse à son tour le pavillon impérial et ouvre le feu ». Le bâtiment, l’un des plus modernes de la marine allemande, tire cinquante obus sur les installations portuaires. Le tir dure près de vingt minutes. Après cela, le Goeben se retire et gagne la haute mer. Il ira se réfugier, avec l’autre croiseur dans un port turc.
Selon l’historien, « le hangar de la Compagnie des transports Maritimes situé sur le port est touché de plein fouet par le tir du croiseur allemand. A l’intérieur un détachement de la 4ème compagnie du 3ème Zouave attend d’être embarqué pour combattre en métropole ». Bilan, onze morts et vingt et un blessés. Ce sont, avec les deux victimes de Bône, les premières de la Grande Guerre. Ces deux victimes ont depuis lors été identifiées : Il s’agit de soldats juifs autochtones, originaires de Tlemcen. Le 2ème Classe Mimoun Benichou, né à Tlemcen le 22 juin 1892, et le 2ème Classe Yahia Benhamou, également né à Tlemcen, mobilisé comme réserviste dans le même régiment.
On peut toujours invoquer la censure militaire pour expliquer le silence qui a entouré cet évènement, et pourquoi cette information soit passée inaperçue. Aurait-on agi de la même façon si ces ports étaient des soldats européens ? Il est vrai que, dans son édition du lendemain, « l’Echo d’Alger apprend à ses lecteurs que "Monsieur Messimy, ministre de la Guerre a envoyé une note aux journaux leur interdisant aucune nouvelle sur les événements de la guerre, de la mobilisation, des mouvements d’embarquement ou de transports de troupes, de la composition de l’armée et de leurs effectifs …etc. C’est aussi grâce à cette interdiction que la France a évité « que soient mises en lumière l’impréparation des défenses côtières d’Algérie et l’absence totale de concertation entre la marine, l’armée et les autorités civiles ». Par contre, les allemands profiteront de cette aubaine, pour essayer de donner leur propre version de cet événement, et de l’imposer au monde.
Ainsi, comme plusieurs autres journaux allemands, le quotidien berlinois « Der Tag » annonce : "Le bombardement des deux ports commença en même temps. Philippeville fut entièrement détruit après une heure de bombardement. On ne répondit pas à notre feu […]. Le croiseur Breslau bombardait à la même heure quelques navires qui se trouvaient dans le port de Bône. Il s’éloigna après avoir détruit le port… ". Face au silence de la vérité, la propagande de guerre peut s’avérer redoutable.
Pour célébrer cette attaque, les Allemands ont même fait graver des médailles en argent reprenant sur une face la colonne de la victoire érigée à Berlin après la guerre de 1870 et sur l’autre face l’inscription : "Bombardement de Philippeville et Bône par les croiseurs Goeben et Breslau. 4 août 1914". Ces médailles commémoratives, introduites en Algérie par des contrebandiers espagnols étaient destinées à la population indigène, pour l’inciter à se soulever contre la force occupante. Mais elles ont été interceptées par les français qui ont ainsi déjoué la manœuvre allemande.
Toujours est-il que les croiseurs allemands ont réussi un grand coup, ne serait-ce que sur le plan psychologique, en pénétrant dans les eaux territoriales de la puissance française et en y lançant deux attaques meurtrières, sans subir à leur aucun dégât. Cette attaque a même eu des échos dans le monde, ridiculisant l’armée française. D’ailleurs, et à titre d’exemple, l’Ambassadeur des Etats-Unis à Constantinople, Henry Morgenthau, a tellement bien compris l’importance de l’odyssée du Goeben et du Breslau qu’il a déclaré : "Je doute que deux vaisseaux aient ainsi joué un rôle semblable dans l’histoire".
Il faudrait aussi se poser un certain nombre de questions pour tirer les leçons de cette histoire. N’est-ce pas surprenant que les première victimes du premier conflit mondial aient été des autochtones amazighes ? N’y a-t-il rien à en tirer en termes de chair à canon que nous avons toujours été pour les puissances occupantes. Ne faudrait-il pas en tirer les bonnes leçons pour éviter que cela ne se reproduise ? Si notre ministre des Moudjahidine est allé en France la semaine dernière et en a profité pour se recueillir à la mémoire des soldats algériens morts pour la France durant la Première Guerre Mondiale, ne conviendrait-il pas aussi de rendre un hommage officiel à Mimoun Benichou et Yahia Benhamou, premières victimes de la première des guerres mondiales. Car si on n’y prend garde, l’histoire est un éternel recommencement. Il y aura encore d’autres guerres, et nous ne sommes plus obligés de servir de chair à canon, pour des causes qui ne nous concernent d’aucune manière.
Nabil Z.
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