Juba II était appelé « Le Roi Savant » par les historiens. Il était plus connu pour son savoir que pour son action politique ou militaire. Pourtant, il a régné sur un pays allant de l’actuel Maroc jusqu’en Libye, près de la Cyrénaïque. Le roi de Maurétanie a aussi été l’auteur de plusieurs livres dont seulement des fragments nous sont parvenus.
Juba II est né vers l’an 52 av. Jésus-Christ à Hippone en Numidie, l’actuelle Annaba en Algérie. Son père Juba 1er, était descendant d’une lignée royale Massyle, héritière du royaume de l’Aguellid Massinissa.
Lors de la défaite de son père dans la bataille de Zama menée par Jules César en l’an 57 avant Jésus-Christ, Juba II, âgé́ de cinq ans fut pris et envoyé́ à Rome où il a été adopté par Octavie, la sœur de l’empereur, aux côtés d’un autre garçon qui va devenir plus tard, l’empereur Octave plus célèbre sous le nom d’Auguste César. Il a ainsi pu bénéficier d’une éduction privilégiée accédant ainsi à tout le savoir disponible à son époque, entre culture grecque, civilisation égyptienne, et empire romain. Son intelligence, sa soif de savoir, son amitié avec l’empereur et son entourage lui ouvriront les portes pour que les romains lui cèdent le terrain arraché à son père en Afrique du Nord, et de devenir le roi de la Maurétanie. Il a participé à plusieurs campagnes militaires romaines et a acquis une expérience de terrain importante. Il épousera la fille de Cléopâtre, reine d’Égypte, Cléopâtre Séléné. Judicieusement, il choisira sa capitale dans un lieu centrale, lui permettant de bien dominer son royaume. Ce sera une ville nouvelle qu’il appellera Cesarea, l’actuelle Cherchell.
Juba, maintenant qu’il est au pouvoir depuis l’an -26, utilisera tous les moyens dont il disposait pour enrichir sa culture et élargir ses connaissances dans différents domaines : arts, sciences, musique, histoire, littérature, botanique, médecine, … Il lancera plusieurs expéditions scientifiques et fera des découvertes surprenantes. Certaines ont même traversé l’Histoire. Il a ainsi financé des expéditions qui ont découvert les Iles Canaries, et d’autres qui avaient pour objectif de remonter jusqu’aux sources du Nil et en mesurer la longueur. Il a aussi fait des découvertes en botanique, dont l’Euphorbe, plante médicinale prisée par les médecins grecs, porte encore le nom de Juba : Jubaea Chilensis.
Et le roi savant a publié de nombreux livres en grec, rapportés par plusieurs historiens. Des savants de tout le monde connu de l’époque faisaient le déplacement jusqu’à Césarée pour écouter le roi Juba, et consulter ses nombreux manuscrits conservés dans sa bibliothèque royale. A Athènes, en hommage à la grandeur de son savoir, les grecs lui ont érigé une statue.
Malheureusement, aucun de ces livres ne nous est directement parvenu. Et ce sont les plus grands historiens, philosophes et savants de l’Antiquité, comme Pline l’Ancien, Plutarque ou Athénée de Naucratis, qui ont cité les œuvres du roi de Cherchell dans leurs propres livres. Certains n’ont fait que les citer, tandis que d’autres les ont critiqués ou encensés. Ce sont ces citations qui nous ont permis de découvrir l’ampleur du génie de ce roi qui avait porté la connaissance jusqu’au sommet du pouvoir dans tous les territoires sur lesquels il a régné de – 26 à + 23. Comme on le voit, il a été contemporain de Jésus-Christ, mais il est mort avant que ce dernier ne commence son ministère quelques années plus tard. Les affirmations de certains amateurs comme quoi Juba II se serait converti au christianisme ne sont donc pas fondés, puisque cette nouvelle foi et la religion qui en est sorti n’existaient encore pas.
Le travail de Karl Otfried Müller
En 1843, l’archéologue allemand Karl Otfried Müller, spécialiste de la mythologie grecque, a publié un ouvrage très intéressant, Fragmenta Historicorum Graecorum, dans lequel il rapporte toutes les citations qu’il a pu recenser dans la littérature antique, à propos du plus savant des rois, Juba II de Maurétanie. Ce fils de pasteur avait fait de longues études et avait voyagé dans toutes l’Europe, visitant musées et bibliothèques et prenant des notes de tout ce qu’il avait pu consulter comme objets, manuscrits et livres imprimés. Il en profita pour fonder une nouvelle discipline, l'Altertumswissenschaft, l'équivalent des sciences de l'Antiquité et de l'histoire des cultures anciennes.
Le travail de Karl Otfried Müller a été digitalisé dans le cadre d’un projet appelé le Digital Fragmenta Historicum Graecorum. Le DFHG est l'édition numérique des cinq volumes du Fragmenta Historicorum Graecorum (FHG) produit par Monica Berti à la chaire Alexander Von Humboldt des sciences humaines numériques à l'Université de Leipzig en Allemagne. Il consiste en une enquête sur de nombreuses sources concernant 636 historiens dont nous disposons encore de quelques fragments issus de la Grèce antique. À l'exception du premier volume, les auteurs sont répartis chronologiquement et couvrent une période allant du 6e siècle avant Jésus-Christ au 7e siècle de notre ère. Les fragments sont numérotés séquentiellement et classés par œuvres et numéros de livres, lorsque ces informations sont disponibles dans les textes sources préservant les fragments. Presque tous les fragments grecs sont traduits ou résumés en latin.
Amezruy n Imazighen
Le travail concernant Juba II contient 91 citations réunis en une dizaine de livres. Le site Amezruy n Imazighen a ainsi pu le consulter, et a entrepris de le traduire en langue française, pour le rendre accessible notamment aux chercheurs de l’Afrique du Nord. Le travail de traduction de l’anglais vers le français a été confié à Tiziri Ait Ali. Dans l’ensemble, ce travail a été remarquable, et Amezruy n Imazighen ne peut être que félicité pour cette précieuse initiative. Il a été publié en ce début d'année 2020.
De nombreuses publications
Les historiens de l’Antiquité qui ont cité Juba II ont parfois seulement cité une déclaration du Roi Savant, et d’autres fois, donné le titre de l’ouvrage d’ou ils ont tiré leurs citations. C’est ainsi qu’Etienne de Byzance, écrivain du VIème siècle, a cité « l’Histoire des Romains » en plusieurs volumes. Il en a extrait de nombreuses citations, de sorte qu’il serait impossible de contester son authenticité. Plutarque, écrivain des premier et deuxième siècles reconnait à Juba II le titre d’ « écrivain ». Ailleurs, il le range parmi les « historiens grecs ». A ce titre, il reprend un extrait du travail de Juba sur l’histoire de la Libye, donnant ainsi un éclairage sur les origines de la ville de Tanger. : « Les habitants de Tingis prétendent qu'après la mort d'Antée, sa femme, Tingé, eut commerce avec Hercule, et qu'il naquit d'eux un fils nommé Sophax, qui régna dans le pays, et qui appela la ville Tingis, du nom de sa mère. Sophax fut père de Diodore, qui soumit plusieurs nations libyennes, à la tête d'une armée grecque d'Olbiens et de Mycéniens, qu'Hercule avait établi dans cette contrée. Je mentionne ces particularités par honneur pour Juba, le plus grand historien qu'il y ait eu entre les rois, et qu'on assure avoir eu pour ancêtres les descendants de Diodore et de Sophax ».
L’historien égyptien de langue grecque, Athénée de Naucratis, qualifie Juba II de « compatriote ». Tatien quant à lui, historien chrétien du IIème siècle, nous apprend que Juba a écrit un livre en deux volumes sur « L’Histoire des Assyriens ». Quant à Pline l’Ancien, né l’année même de la mort de Juba, dit de lui : « Le père de Ptolémée, Juba, est le premier qui régna sur l'une et l'autre Mauritanie. Il est encore plus célèbre par ses travaux littéraires que pour sa royauté́ ».
Sur ses travaux de recherche scientifique, ce même Pline affirme : « Du temps de nos pères, le roi Juba a découvert la plante qu'il a nommée euphorbe (euphorbia officinarum, L.), du nom de son médecin… Il existe sur l'euphorbe un traité de Juba, où il vante beaucoup cette plante. Il la trouva sur le mont Atlas ; elle est droite comme un thyrse, et a les feuilles de l'acanthe. Elle a une telle force, qu'on en recueille le suc à distance. On l'incise avec une perche armée d'un fer, et on met dessous un récipient fait en peau de chèvre. Le liquide qui s'écoule a l'apparence du lait, et, quand il est séché́, celle de l'encens ». Puis, notre historien de raconter les recherches qu’effectua Juba II sur les Iles Canaries, et pourquoi il les nomma ainsi. Nous avons ainsi un récit historique qui affirme que ce fut le roi de Maurétanie qui a découvert ces Iles, et qu’il les a décrites dans les détails.
Pline l’Ancien nous parle aussi des recherches que mena Juba II sur le Nil : « Le Nil, sorti de sources mal connues, coule à travers des lieux déserts et brulants. Il promène ses eaux dans un espace d'une immense longueur, dont la connaissance est due à des récits pacifiques, et non aux guerres qui ont procuré la découverte de tous les autres pays. La source (autant qu'ont pu s'étendre les recherches du roi Juba) en est une montagne de la Mauritanie inférieure, non loin de l'Océan ; il forme aussitôt un lac qu'on appelle Nilis. On y trouve, en fait de poissons, des alabètes, des coracins et des silures ; un crocodile en a été rapporté et consacré par Juba même, preuve que c'est bien le Nil, dans le temple d'Isis à Césarée, où on le voit encore aujourd'hui ». Il ajoute : « De son coté́, le roi Juba soutient, sur la foi des livres puniques, que le Nil sort d’une montagne de Mauritanie, voisine de l’Océan ; et la preuve en est, dit-il, que les similaires des plantes, des poissons et des quadrupèdes vivant dans le fleuve ou sur ses bords, se retrouvent tous dans les eaux ou sur le sol de cette contrée ». C’est dire l’étendue à l’époque, du royaume de Maurétanie.
Comme on peut le voir, sur les 91 citations que firent les historiens de l’Antiquité sur Juba II, on peut tirer des informations de première importance sur l’histoire de l’Afrique du Nord, et même au-delà, puisque Juba a également écrit sur les arabes, les romains, les assyriens, etc… Les chercheurs en histoire ancienne de l’Afrique du Nord ont tout à gagner à consulter ce document mis en ligne par Amezruy n Imazighen. Surtout qu’il est accompagné d’une traduction française, et que celle en langue anglaise est également disponible, pour ceux qui ne maîtrisent ni le latin, ni le grec.
Ce roi de Maurétanie dont de précieuses traces existent encore en Algérie, comme l’antique ville de Cherchell, ou encore, le Mausolée Royal de Maurétanie à Tipaza, ainsi que la ville royale de Volubilis (Wailili) au Maroc, mériterait une plus grande considération dans le pays de Tamazgha. Il est dommage que dans toute l’Afrique du Nord, aucune université et aucun centre de recherche, aucune bibliothèque et aucun musée ne portent le nom de Juba de Maurétanie. Et pourtant,…
Nabil Z.
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