Il existe un peuple berbère en plein dans l’océan Atlantique, très mal connu dans le monde, y compris par les berbères d’Afrique du Nord qui ne leur accordent aucune importance. Et pourtant….
C’est dans les Iles Canaries que vivent les Iguanchiyen. Ce territoire est constitué de sept iles, découvertes par Juba II au premier siècle de notre ère. La principale ile de cet archipel s’appelle Ténérif. En langue amazighe, Thin Nerrif, celle de côté. Avec d’autres toponymes, elle constitue une référence géographique pour les peuples berbères, puisqu’il y a Thama N’Ghest (Tamanrasset), Thin N’Douf (Tindouf) et Thin Nerrif (Ténérif). On peut aussi rappeler Tin Tazarift, Tin Zaouatine, etc…
Premiers habitants
« Bien que les archéologues n’aient pas encore pu en préciser la date exacte, les sept îles de l’archipel canarien ont été peuplées par leurs premiers habitants à un moment qui se situe vraisemblablement dans la seconde moitié du premier millénaire avant l’ère chrétienne. La période, les circonstances, les modalités et les causes de cette émigration restent des sujets d’interrogations dans l’histoire canarienne », déclare José Ramos-Martin, de l’Université de Ténérif. Ce que l’on sait, c’est que dès le début du premier millénaire après Jésus-Christ, le Roi Savant qu’était Juba II avait financé une expédition pour tenter de savoir ce qu’il y avait à l’ouest de son royaume, La Maurétanie. Tout comme il en avait financé d’autres, notamment pour découvrir les sources du Nil et sa longueur.
Ce peuple est resté très méconnu tout au long de l’histoire. Et ce furent les conquistadors espagnols qui l’a redécouvert, sur leur route vers les Amériques. Selon ce même chercheur, les première chroniques rédigées à leur sujet indiquaient déjà que ces populations avaient une provenance Nord-Africaine. « les Berbères sont restés le principal référent dans de nombreux discours historiographiques, même si ces derniers étaient parfois contradictoires. Dans l’établissement de ce lien entre identité canarienne et identité berbère, la berbérité supposait nécessairement un passé guanche3. Le Guanche, même s’il est l’indigène, est aussi aux Canaries le premier immigrant, pourvu d’une identité antérieure. La berbérité est donc devenue l’identité des ancêtres des Guanches et, en fin de compte, des Canariens en général ».
Mais « Les premiers textes européens sur les Canariens mentionnent une provenance africaine en se fondant sur certains indices comme le rapprochement avec le continent, l’influence dela cosmogonie judéo-chrétienne et des ressemblances culturelles, notamment linguistiques, présentes chez les populations dites « barbaresques ». Plus tard, des écrivains canariens des Lumières, comme Porlier (1722-1813) ou Viera y Clavijo (1731-1813) ou d’autres, français, comme Bory de Saint Vincent (1778-1846), ont introduit dans cette thèse l’origine atlante et les récits classiques sur l’Extrême Occident, rattachant ainsi l’archipel à la prestigieuse tradition gréco-latine ». A juste raison, puisque les Guanches sont les seules berbères à n’avoir pas été islamisés. C’est pourquoi les espagnols ne les considéraient pas comme des Maures, des Moros.
Etudes ethnographiques et anthropologiques
Ce n’est que vers la seconde moitié du xixe siècle que les Guanches ont commencé à faire l’objet d’études scientifiques sérieuses. « Des anthropologues comme Broca, Hamy et Quatrefages ont comparé des vestiges archéologiques découverts dans les Canaries avec d’autres, trouvés en Europe et en Afrique du Nord. L’analyse scientifique de restes humains, suivant les méthodes de l’anthropologie physique naissante, a conclu à d’évidentes similitudes entre les Guanches et l’homme de Cro-Magnon, découvert peu de temps auparavant, et qui aurait émigré au sud pour atteindre le nord de l’Afrique et les îles Canaries. Ces études concluaient également à des similitudes avec les Berbères dont les origines et le type étaient considérées comme européens » ajoute notre chercheur.
Début de conqête
Dès le début du quinzième siècle il y eut plusieurs tentatives de conquête de ces iles par les espagnols, les portugais, les anglais et les normands. Ces derniers ont été les premiers à s’y établir en 1402. On avait estimé alors que la population des îles devait alors compter 70 000 Guanches au total. La conquête des dernières îles ne se fit qu’en 1491, une année avant la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. « En débarquant pour la première fois aux îles Canaries, les Normands s’étaient trouvés en présence d’indigènes plutôt blonds, au teint clair et de haute taille. Lorsqu’il leur fut possible de comprendre leur langue, ils découvrirent avec étonnement que les Guanches se croyaient seuls au monde, persuadés d’être les derniers survivants d’une terrible catastrophe qui, plusieurs millénaires auparavant, avait anéanti l’humanité toute entière ». Les troupes des envahisseurs furent surprises de faire face à la résistance désespérée des Guanches qui, souvent, préférèrent la mort à la servitude. En 1405, la tentative de conquête sur Gran Canaria est contrariée par la défense aborigène, puis une autre tentative à La Palma avorte également. S’en est suivi une période de massacres contre les populations locales. Les espagnols et portugais rivalisent alors pour conquérir le reste des îles. Entre 1448 et 1452, les Peraza, avec maintes difficultés, soumettent partiellement les natifs de La Gomera, après une sérieuse résistance et de nombreux soulèvements dignes de leurs frères d’Afrique du Nord. Finalement, après des dizaines d’années de combats, l’Archipel est attribué à l’Espagne en 1479 par le traité d’Alcaçovas.
Emigration et brassage des populations
La prise de contrôle des Iles a permis à de nombreux émigrés de s’installer dans l’archipel. Espagnols, Portugais, Européens de toutes sortes, mais aussi des populations venues d’Amérique du Sud, les Indianos. Il y eut alors un fort brassage, et l’identité berbère fut peu à peu diluée, du moins, en apparence. Car il reste encore aujourd’hui de nombreux toponymes et expressions d’origine dans la culture locale., C’est grâce à elles que les linguistes ont pu établir, aujourd’hui avec certitude, une relation avec la langue Tamazight parlée par les Berbères et plus spécialement par les habitants du Hoggar.
Selon le chercheur cité plus haut « Avec le processus de colonisation des îles Canaries, les indigènes se virent obligés à renoncer à tous les aspects visibles de leur histoire en tant que groupe ethnique, à leurs connaissances sur la nature et à leurs dieux. Ainsi, face à l’impossibilité de maintenir leur système social de « sagesse populaire », dont leur institution religieuse, politique et juridique, la tradition orale resta, pour eux, le seul moyen de transmettre leur héritage symbolique, identitaire et culturel ». Ce qui est également un point commun avec leurs frères du Continent.
Les Normands d’abord puis les Espagnols furent très étonnés de découvrir que les guanches « connaissaient l’écriture, et l’astronomie, appréciaient la poésie, disposaient d’une législation très élaborée et pratiquaient une religion aux rites compliqués ». Dès le début du 20eme siècle, plusieurs études furent consacrées au peuple guanche pour essayer de mieux le connaître et de tirer profit de la connaissance de ses origines, de sa culture et de ses mœurs. Ainsi, Ernest A. Hooton, l’un des plus éminents anthropologues américains, publia une étude sous le titre The ancient inhabitants of the Canary Islands et l’anthropologue allemand Eugen Fischer et d’autres préhistoriens et ethnologues se consacrèrent au problème des Guanches. L’ethnologue anglais James Cowles Prichard, écrivit, au xixe siècle, une Histoire naturelle de l’homme, établissant formellement une parenté entre les Guanches et les anciens berbères d’Afrique du Nord, également blonds et aux yeux bleus. Parmi les preuves de la provenance nord-africaine des aborigènes canariens, il y a les restes d’écriture guanche (comme ceux de Garafía ou de El Julán), identiques à d’autres trouvés en Libye et en Algérie, et les similitudes du vocabulaire ou du système numérique. L’historien canarien Antonio Pérez García, en 2005, a donné de nouvelles précisions à ce sujet : « Actuellement nous considérons que la population aborigène canarienne est issue des peuples berbères d’Afrique du Nord qui se sont déplacés vers le sud, poussés par le processus progressif de désertification nord-africain. […] D’autre part, les restes humains et d’habitat les plus anciens trouvés par les archéologues dans les îles correspondent à une période comprise entre le 1e siècle avant J.C et le 1e siècle après J.C., ce qui conduit les historiens à penser que l’expansion de l’empire romain en Afrique du Nord, vers la cordillère de l’Atlas saharien et le refus d’une partie de certains secteurs de la population de cette zone à s’intégrer au dit empire, pourrait être la cause du déplacement de ces peuples sur la côte atlantique nord-africaine et de son passage postérieur aux différentes îles de l’archipel canarien, à la recherche de moyens de subsistance ».
Un chercheur disait des guanches : « Il est facile de se convaincre que les anciens Canariens furent une nation originale et aux coutumes simples, semblables à celles des héros et des patriarches, car, quiconque observe leurs usages, leurs idées, leurs cérémonies et leurs modes de penser, examine leur gouvernement et leur religion, compare leur mode de vie avec celle des premiers hommes, aura, sans aucun doute, la satisfaction et même le plaisir, de trouver la nature dans toute sa simplicité et sa première enfance.
Un autres chercheur, Berthelot, démontrant constamment son intérêt pour l’ethnographie et l’histoire des habitants primitifs de l’archipel, depuis ses Ethnographie et Annales de la conquête des Iles Canaries, rédigées en 1836 jusqu’à ses Antiquités canariennes, écrites en 1879, affirme que les Guanches « purent vivre libres et heureux jusqu’à ce que les navigateurs, aventuriers et « conquistadors » arrivent, « guidés par le fanatisme et la rapine », pour se jeter sur l’Océan à la recherche de nouvelles contrées sous prétexte de convertir des nations idolâtres. « Alors ont commencé les croisades de l’Occident, les conquêtes sans pitié, sous lesquelles les vaincus n’ont pas eu d’autre choix que l’esclavage ou la mort. »
Liberté, autonomie et indépendance
Tout comme leurs frères d’Afrique du Nord, les Guanches ont pratiqué la résistance depuis l’arrivée des conquérants étrangers, et se sont toujours organisés pour se défendre et revendiquer leur statut, leur identité et leur culture. Des mouvements autonomistes, séparatistes ou indépendantistes ont de tout temps existé, et combattu par le pouvoir central de Madrid, quel que fut le régime en place.
Curieusement, c’est à Alger en 1964 qu’est né « Le Mouvement pour l’Autodétermination et l’Indépendance de l’Archipel des Canaries ». Deux groupements se sont constitués à partir de ce mouvement, le Détachement Armé Canarien, et Les Forces Guanches. Plus tard, un Congrès National des Iles Canaries a vu le jour. Les actions politiques de ces mouvements ont emmené l’OUA à reconnaître le doit à l’autodétermination des Iles Canaries et par conséquence, que l’Espagne est une force de colonisation.
On considère aujourd’hui qu’un canarien sur quatre se considère comme autochtone, et non espagnol, se revendiquant de la culture des ancêtres, c'est-à-dire berbère. Plusieurs mouvements revendiquent la berbérité de l’Archipel et organisent régulièrement des manifestations pour l’affirmer haut et fort. Un drapeau a été conçu, ayant trois couleurs contenant sept étoiles, comme symbole des sept iles de l’Archipel. Les indépendantiste quant à eux, y ont placé le Aza berbère.
Nabil Z.
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