Les villes côtières de l’Afrique du Nord ne sont pas des créations puniques. Des études approfondies remettent en question la théorie des Échelles Puniques, qui dit que les phéniciens ont ouvert des comptoirs commerciaux en Afrique du Nord, à raison d’une distance d’un jour de navigation.
Que dit précisément cette théorie ? Pierre Cintas, archéologue français du 20eme siècle, ancien directeur des Antiquités de Tunisie a avancé une théorie, pour essayer d’expliquer la raison de l’implantation de villes côtières en Afrique du Nord, notamment entre Carthage et les Colonnes d’Hercule au Maroc.
En effet, si on regarde attentivement, on se rend compte qu’il y a une certaine régularité dans les distances séparant les villes côtières entre Carthage en Tunisie, et Tanger au Maroc. Carthage, Utique, Hippo Diarhitus, Thabarca, Annaba, Jijel, Béjaia, Tigzirt, Alger, Tipasa, Cherchell, Ténès, etc… Soit une quinzaine de villes portuaires. Selon Pierre Cintas, elles sont distancées en moyenne de quarante à cinquante kilomètres l’une de l’autre, l’équivalent d’une journée de navigation. Ce serait ainsi que les phéniciens auraient fondé ces comptoirs commerciaux qui s’étendaient également jusqu’en Espagne et aux Iles méditerranéennes. Cette théorie a été baptisée d’Échelles Puniques par Gabriel Camps, célèbre archéologue français en Algérie.
Vérification de la Thèse
Les Echelles Puniques ont été ainsi considérées comme preuve absolue de la punicité des villes côtières nord-africaines, jusqu’au moment où d’autres chercheurs ont décidé d’y regarder de plus près. Ce fut le cas de Gustave Vuillemot qui a soutenu un doctorat en 1962 à l’Université d’Alger, pour appuyer par des preuves matérielles la théorie de Cintas. Son travail fut d’ailleurs salué par les archéologues de tous bords, du fait de la précision de ses recherches. Et c’est justement ce qui a éveillé les soupçons de nombreux chercheurs, voyant dans les arguments de Vuillemot des indices démontant la théorie de Cintas. Les faits sont exacts, mais leur lecture et interprétation prêtaient à équivoque. Parmi les critiques de cette théorie, on peut citer P.A Février, M. Bouchenaki, C.R. Whittaker, J.M Lassère et bien d’autres. Parmi les remarques qu’ils ont faites, figure justement l’irrégularité des distances séparant les villes citées. En effet, ont-ils remarqué, si on appliquait cette théorie, on obtiendrait Jusqu’à cinquante-quatre villes-escales, pour permettre aux bateaux de ne naviguer que pendant la journée et s’arrêter la nuit. Ce qui mettrait Carthage à une distance de cinquante-quatre jours de Tanger. Or, Scylax, le navigateur Grec du sixième siècle avant Jésus-Christ avait noté que « de Carthage aux colonnes d’Hercule, dans d’excellentes conditions de navigation, on compte sept jours et sept nuits ».
De plus, à l’époque punique, les marins savaient également naviguer la nuit, se laissant guider par les étoiles. Ce qui les dispensait de s’arrêter obligatoirement en fin de journée. Au contraire de cette théorie, ils désiraient aller vite, et naviguaient de jour comme de nuit. Ce qui pouvait les arrêter, c’était le mauvais temps, les avaries, ou lanécessité de se ravitailler en eau. Pour le reste, rien ne les arrêtait. L’historien-archéologue Jean Pierre Laporte affirme même « Les vaisseaux de commerce phéniciens et puniques naviguaient à la voile et à la rame. Contrairement à ce que l’on a cru longtemps, leurs capitaines fréquentaient la haute mer. Même s’ils préféraient naviguer en vue des côtes, ils savaient naviguer de nuit et n’étaient pas obligés d’accoster chaque soir. Ils n’étaient donc pas limités à des étapes diurnes de 40 km environ ».
Dans sa thèse, Gustave Vuillemot avait rapporté des fouilles qu’il avait entreprises pour trouver des traces de populations puniques sur les sites des ports supposés phénico-puniques. Ce qu’il trouva alimenta la critique, puisque le substrat des artefacts qu’il a trouvés -ossements, vaisselle, poterie, tombes, etc…- indique que les populations qui occupaient les sites n’étaient pas phéniciennes, mais libyques. C’est-à-dire berbères. Parfois quand même, mélangés de traces ibériques et méditerranéenne de tous bords, dont certains objets venaient de Grèce. Serge Lancel, spécialiste de l’Histoire antique de l’Algérie, donne l’exemple « à Tipasa comme dans un certain nombre d’autres sites pré-romains de Maurétanie comme de Numidie, on peut faire l’hypothèse d’un substrat indigène important à l’origine de l’habitat groupé ».
La thèse de Cintas ne tient donc plus. Les villes côtières maghrébines n’ont pas été fondée par les phéniciens, mais bien par les autochtones Berbères. Certes, il y a eu commerce avec les phénico-puniques, et certes, ces derniers s’y sont installés pour des périodes plus ou moins longues. Mais ces villes ne leur ont jamais appartenu, et ils n’ont jamais eu besoin d’en fonder pour pratiquer leur commerce.
Cette situation montre encore une fois que notre histoire, une fois racontée par les autres, a de tout temps été déformée. Sciemment ou pas. Il paraît difficile aux étrangers d’imaginer que les Berbères aient pu seuls, fonder et bâtir des villes et une civilisation avancée. On attribue toujours à des étrangers les merveilles trouvées en Afrique du Nord. Même quand le peuple montre qu’il est capable de faire de grandes choses, on prétend qu’il est originaire d’ailleurs. Les Berbères sont considérés comme un peuple barbare, incapable de toute innovation ou œuvre de qualité. Heureusement que l’Histoire est en train de démontrer le contraire. Et c’est le Berbère lui-même qui devra en profiter, puisque c’est la vérité qui rend libre. La connaître restaure la dignité et redonne de la fierté à ceux qui y croient.
Nabil Z.
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