Moussa Haddad est décédé ce mardi 17 septembre, a annoncé son épouse Amina Bedjaoui Haddad sur sa page Facebook.
Moussa est né en 1937 à Alger. Il est considéré comme un des meilleurs cinéastes algériens, au vu de la qualité de ses productions. Très tôt, il a travaillé avec les plus grands, ayant été choisi par Gilo Pontecorvo pour être son premier assistant réalisateur algérien, lors du tournage de « La Bataille d’Alger » qui a eu lieu en 1965, et qui est compté parmi les cinquante films les plus importants dans le monde, depuis l’invention du Cinéma. Moussa avait tellement convaincu le réalisateur italien qu’il l’a laissé tourner tout seul un certain nombre de scènes.
Après cela, Moussa s’engage en solo dans la réalisation de grands films. Et pas des moindres, puisqu’il a choisi de s’attaquer au personnage de l’Inspecteur Tahar, dès 1967. Il récidive en 1972 avec les Vacances de l’Inspecteur Tahar. Pour Amina Haddad, la plus grande œuvre de son mari a été “Sous le peuplier” sorti la même année. Sa cinématographie est longue. Mais ces dernières années, il s’était attaqué à un sujet sensible qui est celui des Harragas. Seul Moussa Haddad pouvait traiter au cinéma un tel sujet. « Harraga Blues » est certainement le film le plus poignant réalisé ces dernières années en Algérie.
Entre temps, Moussa Haddad a créé avec sa femme, une maison de production nommée MHP. Moussa Haddad Productions. Parmi les derniers films produits par MHP, il y a « Je te Promets » de Mohamed Yargui, et une co-production Algéro-Portugaise, « Zeus ».
Moussa Hadda est parti en nous laissant un patrimoine considérable qu’il nous appartient de préserver et de valoriser. Amina Haddad, à ne point en douter, saura continuer son œuvre, justement à cause de la qualité et du sérieux qui lui sont reconnu. Moussa, que nous appelions affectueusement Da Moussa, a laissé deux namoussettes à qui nous pensons fortement.
Nous reproduisons un extrait de la dernière interview qu’il nous a accordée en 2015, à l’occasion du classement de « La Bataille d’Alger » parmi les cinquante films les plus importants du Cinéma.
La revue « Sight and Sound » du British Film Institute vient de classer le film “La Bataille d’Alger” parmi les cinquante meilleurs films de tous les temps. Vous y aviez travaillé comme Assistant du Réalisateur italien Gillo Pontecorvo. Quelles impressions ressentez-vous ?
D’abord, ça me rappelle de merveilleux souvenirs. Le film a demandé six mois de tournage et presqu’autant pour le montage. Pontecorvo était le réalisateur, et Musu était le producteur avec Yacef Saadi. Ils étaient présents sur le plateau en permanence.
Il y avait le premier assistant italien Ruggero Deodato, qui a travaillé depuis 20 ans, avec le réalisateur, sur tous ses films. C’est lui qui dirigeait tous les autres assistants algériens et italiens, dont je faisais partie avec Montaldo, ainsi que Mohamed Zinet et Azedine Ferhi.
Pour ma part, et grâce à Pontecorvo, J’ai eu la chance d’assister à toutes les opérations de la réalisation du film. Après la fin du tournage, celui-ci a insisté pour que je sois présent au montage. Cela s’est passé pendant six mois à Rome, aux côtés de Mario Sirandrei qui était à l’époque, le meilleur monteur de toute l’Italie. Il y a eu un incident entre Pontecorvo et Sirandrei, et ce dernier est parti avant la fin du montage. Il semblait qu’il n’arrivait pas à capter ce que voulait Pontecorvo avec précision, et ils ont fini par se séparer. Un jeune monteur, a alors été engagé, pour le remplacer, sous la direction directe de Pontecorvo et le film a pu être terminé.
Comment travaillait Pontecorvo, et quel était votre rôle à ses côtés ?
Pontecorvo s’est fait entourer de beaucoup de professionnels et de gens compétents, dynamiques et surtout très réactifs. Il y avait deux équipes de tournage. Ça ne s’arrêtait jamais avec lui. C’était un réalisateur extrêmement exigeant. A la fin, on avait totalisé quelque chose comme 120.000 mètres de pellicules. Pour ma part, j’étais chargé de plusieurs choses à la fois, mais au début je m’occupais essentiellement de figuration. Au fur et à mesure Gillo était de plus en plus attentif à ma façon de travailler. Parfois, il appréciait une idée, une initiative et m’encourageait. Mais parfois, il n’hésitait pas à me le dire, crument, quand j’étais à côté de la plaque. Mais c’était toujours très instructif.
Tiens, je me rappelle d’une anecdote dans ce sens. Ça s’est passé pendant le tournage de la fameuse scène, où l’on découvre, les dégâts causés par l’explosion d’une bombe, dans un quartier de la casbah, en pleine nuit.
Pour reconstituer le chaos qui y régnait, nous avons tourné plusieurs plans, où l’on voit, au milieu des gravats, encore fumants, des habitants du quartiers qui venaient en aide aux victimes, ou à la recherche de survivants… une femme en haiek, assise là, l’air désemparée… Au milieu de tout ça, un magnifique gros plan d’un enfant de 3 ou 4 ans, qui pleure à chaudes larmes. C’est moi qui ai repéré ce petit, je l’ai pris au dépourvu et me suis mis à le gronder, en français, en arabe : « qu’est-ce que tu fais là ? Qui t’a dit de venir ici ?... » L’enfant était tellement désemparé, qu’il s’est mis à pleurer, en cherchant des yeux quelqu’un pour le défendre. La caméra était là, au bon moment pour saisir sa détresse. Et ça a donné ce beau plan dans le film, où l’on voit ce petit garçon seul au monde et tout autour de lui : le chaos de l’explosion. Pontecorvo m’en a félicité et ça m’a propulsé pour le reste. J’ai dû par contre, me mettre à genoux pour supplier ce petit gars, de me pardonner de l’avoir malmené de la sorte.
C’est ainsi qu’après quelques semaines de travail, je sentais que Gillo appréciais ma présence avec lui et Je me suis donné à fond… j’avoue que Montaldo, m’a aussi beaucoup appris, c’était un professionnel très expérimenté. Après la Bataille, il a signé quelques films qui ont marqué le cinéma italien. Ses techniques pour gérer la figuration, étaient très innovantes. De lui, j’ai appris les ficelles du métier, pour ce qui est de la gestion d’un plateau de tournage. Par exemple, sur le tournage d’une scène où des dizaines de pieds noirs s’empennent à un enfant (cireur de chaussures, je crois). Les figurants réagissaient mollement à nos recommandations. Arrive Mondalto, avec cette technique, pour densifier l’attroupement et recréer la tension et l’énervement. Il nous a donné des barres en bois, avec lesquels nous poussions les figurants par derrière, en les cernant de tous les côtés. Cela servait vraiment à contrarier tout mouvement de recul. Devant, la caméra captait, la bousculade autour de l’enfant et c’était effrayant. Il en était de même pour les scènes de manifestations. C’était vraiment impressionnant de gérer des foules atteignant jusqu’à 600 personnes.
Avec Pontecorvo, on a fini par sympathiser et on est devenus copains. En dehors du travail, il nous arrivait de sortir ensemble prendre l’air. Il était très blagueur et un sacré dragueur aussi. Même des années après, lorsqu’il lui arrivait de venir en Algérie, il m’appelait pour aller dîner dehors ou nous balader un peu partout. On est restés très copains.
Comment avez-vous atterri dans ce film ? Que faisiez-vous avant ?
Avant, je travaillais à la télévision, et je tournais des films dramatiques. A l’époque, on utilisait encore des techniques rudimentaires. A la télévision, j’étais assistant réalisateur. Mais quand « la Bataille d’Alger » allait être tourné, les responsables de la télévision nationale nous ont appelé à quatre et nous ont affectés auprès de Pontecorvo. J’ai été sélectionné pour être premier assistant algérien aux côtés du réalisateur lui-même, et de son assistant italien de toujours. Toute l’équipe technique était italienne. Mais, entre les acteurs, les figurants et les assistants, la présence algérienne était très forte. On était très nombreux. Les moyens et les techniques étaient très différents de ceux que j’avais utilisés auparavant. C’était d’ailleurs assez impressionnant.
Vous n’aviez jamais travaillé pour le Grand-Ecran avant. Comment ça s’est passé ?
J’ai tout de suite été pris en charge par la Production et j’ai été formé sur le tas. Le volume de travail était tellement important qu’on a dû habiter dans la Casbah par ce que le tournage ne s’arrêtait pas. Pontecorvo m’a beaucoup appris. Je le considère comme mon père professionnel. Il m’a beaucoup encouragé et a su me motiver. A un moment donné, je commençais à diriger les premiers figurants et je les mettais en scène, pendant que Pontecorvo s’occupait des acteurs principaux. C’était un champ créatif formidable. Pour la révision des scènes qu’il venait de tourner, il aimait mettre de la musique pour lui permettre d’apprécier ou non son travail. C’est de lui que j’ai appris le sens du rythme. Gillo mettait des notes de musique sur tout. Quand ça sonne bien, c’est que c’était bon.
C’est sur ce film que vous avez appris votre métier de réalisateur de Cinéma ?
J’ai été propulsé du petit au Grand Écran. Grâce à Pontecorvo, et j’ai commencé à sentir le métier d’une autre façon. Mon expérience dans « La Bataille d’Alger » a libéré mon imagination et mis en branle mes moyens intellectuels. D’ailleurs, dans le film, Gillo m’avait donné l’occasion de mettre en pratique ce que j’avais appris, puisqu’il m’a chargé de tourner tout seul la scène des terrasses. Cela m’a aussi aidé dans mes films suivants. Si bien, que dans « les Enfants de Novembre », avec Youcef Sahraoui, un directeur photo de génie, j’ai rendu la quintessence de ce que j’ai appris sur ce film de Pontecorvo, en filmant les dédales de la Casbah, de la manière dont je l’ai fait. C’était pour moi, le meilleur hommage que je pouvais lui rendre.
Quels étaient les moyens mis à la disposition de ce film ?
Au travers de Casbah Films, l’État algérien avait mis quatre millions de dinars, je crois. Je n’en sais pas plus.
A quelle époque est sorti le film ?
Le tournage avait commencé en 1965, à peine deux ou trois années après l’indépendance. Sa sortie s’est faite en 1966 en Italie. J’ai été convié à la projection de la Première. Malgré son interdiction en France à sa sortie, il a eu un succès international, parce qu’il avait été fait pour être projeté dans le monde entier.
Après « La bataille d’Alger » vous vous êtes lancé dans la réalisation de films ?
Il y a eu, entre autres, « Les Enfants de Novembre ». Ce fut, comme je l’ai dit, plus haut, la capitalisation de ce que j’avais appris dans « La Bataille d’Alger ». Mais il y en a eu quelques autres aussi, dans la thématique de la guerre de libération, dont je n’ai filmé que l’aspect urbain, à l’exemple de : « Une cigarette pour Ali », la guerre des jeunes. Je reviens sur « Les Enfants de Novembre ». Le scénariste Slimane Belkarsa qui avait des idées et des capacités réelles d’écriture, avait envisagé d’en faire un feuilleton de télévision. J’ai décidé d’en faire un film, en voyant les éléments narratifs qu’il comportait. Alors, je l’ai réécrit pour l’adapter au Cinéma. Je n’en étais pas le scénariste, mais l’adaptateur. Belkarsa a fini par accepter. Quand il a vu le film, il en a été très content. Tous mes films suivants ont été faits à partir de mon expérience dans « La Bataille d’Alger ». C’est ce film qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui.
Vous avez aussi travaillé avec d’autres réalisateurs étrangers ?
Pour la réalisation du film « L’Etranger » d’Albert Camus, j’ai travaillé avec Luciano Visconti. En Italie, il était considéré comme un demi-dieu. Il avait une autre méthode de travail. Quand il était sur le plateau, il exigeait un silence complet. Ses assistants ne communiquaient que par écrit, en se transmettant des bouts de papiers. Son producteur était constamment présent sur le plateau. Ce dernier avait une veste avec deux poches intérieures remplies de billets de banque. Lorsque Visconti était content de la prestation d’un de ses acteurs, il allait vers son producteur, prenait lui-même de l’argent de ses poches, et en donnait à l’acteur en question pour le récompenser.
Une tout autre école, là encore !! (rire)
Pour revenir à « La Bataille d’Alger », vous disiez que vous étiez conscient que ça allait devenir un grand film ?
Yacef Saadi a travaillé avec Franco Solinas qui était scénariste, pour raconter une histoire véritable qui s’est déroulée lors de la Révolution algérienne. Il a enrobé cet épisode de la guerre de libération du pays dans un film réaliste. Si ce film existe, c’est un véritable bonheur que l’Algérie l’ait produit par la participation d’acteurs réels de la Révolution. Le classement dans le Top 50 de la revue britannique, je suis sûr que c’est du réel. Ce n’est pas venu par hasard. Ce vote et cette place sont mérités. Ce film portait un potentiel extraordinaire. Et l’Algérie devrait être fière de cette réalisation.
Merci de m'avoir fait parcourir la merveilleuse expérience de ce grand film, à travers des souvenirs qui étaient enfouis dans ma mémoire.
Entretien réalisé par Nabil Ziani.
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