Dans sa longue histoire, qui remonterait au quatrième siècle après Jésus-Christ, la région kabyle a connu plusieurs royaumes et plusieurs dynasties. Il y a eu un tournant important dans l’histoire de l’ancienne Algérie, au début du seizième siècle, avec la présence sur ses terres des ottomans et des espagnols. Cette période a été marquée par de nombreuses guerres, tant entre les nationaux et les étrangers, qu’entre les tribus locales entre elles. Jetons un regard à cette période de notre histoire.
C’est vers 1510-1514 que le royaume de Koukou, a été fondé. C’est à cette époque que les frères Barberousse arrivent en Algérie, en même temps que les espagnols s’emparent de la ville de Béjaia et d’autres situées sur le littoral. Alger, dirigée par Salim Ettoumi faisait également face aux appétits espagnols et leur vue sur cette ville stratégique.C’est Ahmed Ath El Kadi (Ben El Kadi dans les sources documentaires) qui a fondé le royaume de Koukou en Kabylie. Il est né de l’effondrement du royaume hafside installé à Béjaia depuis des lustres. Les bombardements espagnols sur cette ville a contraint les habitants à aller se réfugier dans les montagnes environnantes, sur les Babors et le Djurdjura. Le royaume de Koukou ne se limitera pas seulement à l’actuelle Kabylie. Il s’étend jusqu’au Constantinois à l’est et presque l’Oranais à l’Ouest. Il était dirigé par une famille kabyle de la puissante tribu des Ath Ghobri, les Ath El kadi.
Après une héroïque résistance contre l’extension des espagnols à l’intérieur des terres, Ahmed Ait El Kadi devient, en 1514, le premier Aguelid du nouveau royaume, Taguelda de Koukou. Pour cela, il a réussit à fédérer les autres tribus, telles les Ath Khellili, Ath Bou Chaïeb, Ath Igawawen, Ath Yahia, Ath Idjer, les Ath Ghobri, etc.
Une armée de milliers d’hommes
Ahmed Ait El Kadi a réussi à lever une puissante armée, constituée de milliers d’hommes, dont mille cinq cents cavaliers, comme au temps de la légendaire cavalerie berbère de Massinissa. Au début, il s’était allié aux turcs pour se débarrasser des espagnols, avant de rompre son alliance en 1518, se rendant compte que même les turcs étaient aussi des envahisseurs et non des sauveurs. En parallèle, naissait dans la région, un deuxième royaume kabyle dans la région d’Ath Abbas, qui dirigera des siècles plus tard la résistance contre les français sous le commandement d’El Mokrani. Les deux royaumes ne se tolèrent pas, et de nombreuses escarmouches ont eu lieu de façon régulières, certaines se transformant même en de véritables guerres fratricides. Le royaume d’Ath Abbas s’étendait aussi jusqu’au constantinnois et dans le Sahara, en passant par Bordj Bou Arreridj et Sétif. Son extension s’est faite au détriment du royaume de Koukou qui voyait son territoire se réduire comme une peau de chagrin. Mais il conservera tout le territoire qui correspond grosso-modo aujourd’hui à la wilaya de Tizi-Ouzou. Le chic de ses royaumes, c’est qu’au lieu d’unifier leurs forces pour faire face aux envahisseurs, ils passaient leur temps à s’entre déchirer. Le temps était loin du royaume numide de Massinissa qui fédérait les tribus pour constituer un puissante confédération qui s’étendait sur toute l’Afrique du Nord. Pour régner, les envahisseurs avaient compris qu’il fallait diviser les royaumes locaux pour les affaiblir.
Naissance d’une dynastie.
Mais le royaume de Koukou n’était pas fini pour autant. En 1520, son chef, Ahmed Ou El Kadi repousse les armées de Kheireddine Barberousse qui tentait les incursions dans la vallée du Sébaou. Ait El Kadi réussit à le faire fuir et le poursuivit jusqu’en Tunisie. Il organise ensuite une campagne pour s’emparer de la ville d’Alger qu’il occupera jusqu’en 1524. Son règne sur laville fut dur, et les algérois firent appel une nouvelle fois aux turcs pour les délivrer. Kheireddine arrive à la tête d’une nouvelle armée, et Ahmed Ath El kadi est assassiné dans l’actuelle région de Thenia, par un membre de sa garde rapprochée travaillant secrètement pour les Turcs.
C’est Hocine, frère de Ahmed Ath El Kadi, qui fut nommé Roi de Koukou en 1529 et qui reprendra le commandement de l’armée Kabyle pour organiser la défense contre les Turcs qui avaient récupéré Alger.
En 1546, Amar Ath El Kadi succède à son père et occupera le trone jusqu’en 1618, et sera à son tour assassiné par son frère Mohamed qui prendra sa place. Amar Ath El Kadi se met à ladisposition des espagnols dans une alliance stratégique pour combattre les turcs…. et le royaume frère-ennemi des Ath Abbas.
L’histoire a des secrets qui échappent aux hommes. La veuve du roi assassiné par son frère s’est enfuis en Tunisie, emportant avec elle un enfant dont elle était enceinte. Ce sera un fils qui naîtra en exile. Il sera appelé Ahmed Atounsi et sera surnommé Boukhetouche (l’homme au javelot).A sa quinzième année, ce dernier, à la tête d’une armée constituée avec l’aide de ses oncles maternels, il fait route vers la Kabylie pour reconquérir le royaume de son père. Il renverse son oncle Mohamed, reprend le trône et s’établit à Aourir dans la tribu des Ath Ghobri.
Mais Boukhetouche doit faire sans cesse face aux armées ottomanes qui lorgnaient sur la Kabylie, et les combats incessants avec ses frères ennemis des Ath Abbas. Son royaume fut contonné par la suite dans un territoire réduit non loin de Tizi-Ouzou. A sa mort en 1696, ses fils s’entre-déchirent et finissent pas scinder le royaume en deux, contribuant à l’affaiblir davantage et ouvrant la porte aux turcs pour s’y établir, à partir de 1720., date à laquelle le royaume de Koukou disparut définitivement, occupé qu’il était à faire la guerre, sans laisser de traces de vie intellectuel ou culturelle, sans développement économique significatif, réussissant même à se faire quasiment oublier de l’Histoire.
Union et division
Les berbères en général, et les kabyles en particulier sont des peuples belliqueux. Guerriers et insoumis, ils sont toujours à l’affût d’une guerre, d’une révolte ou d’une sédition. Ce fut aussi le cas des innombrables royaumes berbères nés dans le sillage de celui énorme de Youssef Ait Techfine. Après sa mort, ses successeurs se sont entre-déchirés pour constituer de mini royaumes sans consistance et qui n’ont duré, la plupart du temps, que jusqu’à la mort de leurs fondateurs. Ces divisions lui ont toujours porté préjudice et on profité aux envahisseurs qui réussirent à s’emparer des territoires si riches et si convoités. Le génie de Massinissa fut de créer une union, une unité dans son royaume, par un ingénieux système de confédération, ou chaque grande tribu se gérait elle même, et ou les intérêts supérieurs du royaume les faisait s’unir contre les ennemis et non pas les uns contre les autres. Le royaume de Massinissa s’étendait pourtant sur l’ensemble de l’Afrique du Nord. Un vaste territoire ou chacun vivait sa liberté dans le respect des autres et dans un esprit de solidarité sans faille. Massinissa n’a connu, durant son règne aucune guerre intérieur et les alliés romains le respectaient autant qu’ils le craignaient. La paix était donc installée sur ce territoire que les tentations égoïstes des uns et des autres ont ramenés à nouveau à son état pré-Massinissien, dans la séparation et la division. La suite, on la connaît : une interminable série d’invasions et d’occupations qui ont réduit le peuple berbère à l’ignorance et à l’esclavage. A quand une véritable réflexion sur le sens de l’Unité ?
Nabil Z.
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