Les romains et les berbères n’ont pas toujours vécu en bonnes relations. Il y a eu des moments de prospérité commune, mais également de nombreuses périodes de tensions et même de guerres. Pierre Morizot nous en raconte une partie.
Cet ouvrage sorti aux éditions « Errance » nous présente la rencontre multi-séculaire de deux civilisations méditerranéennes : les Romains et les Berbères. Car pour la majorité des occidentaux aujourd’hui, leur civilisation n’a été développée que grâce à celles des gréco-romains et des judéo-chrétiens, ignorant jusqu’à l’existence même d’une énorme civilisation qui se situe en face de l’Europe, sur la rive sud de la Méditerranée. Ce livre donc ne se contente pas de décrire l’Afrique romaine au sens classique du terme, mais étend ses réflexions à l’Afrique vandale puis byzantine. Pierre Morizot analyse en particulier les raisons qui ont empêché Rome d’occuper la totalité du Maghreb, et souligne l’importance qu’a, semble-t-il, représenté le poids croissant de la population berbère par rapport à l’ensemble du Maghreb antique. Ces réflexions sont nourries par une longue expérience, à savoir quelque soixante-dix ans de prospections méthodiques dans l’Aurès et l’élaboration de nombreuses études qui, souvent, débordent le cadre de cette vaste région. Le livre présente d’abord un tableau de l’Afrique avant les Romains, une Afrique libyenne au sens large, punique, grecque et berbère. Puis, sont retracées les grandes étapes de l’occupation romaine, depuis les guerres puniques, jusqu’aux invasions vandales et à la reconquête byzantine. On y retrouve les grandes figures historiques : Masuna, roi des Maures et des Romains ; le royaume des Djeddar, le royaume des Ucutami, Mastigas, dux en Maurétanie césarienne, l’incontournable et énigmatique Masties avec l’inscription d’Arris. On y retrouve les problèmes de la conquête, de l’impérialisme, de l’intégration et de l’exclusion. Il s’efforce de comprendre les composantes ethniques, les modifications sociales de ces tribus, à travers le syncrétisme religieux (païens, juifs, chrétiens,...), les mariages, la religion, l’intégration à Rome, l’accession à la citoyenneté.
À côté des populations sédentaires évoluaient des nomades. La démographie est bien prise en compte et l’on trouvera une étude et des données démographiques extrêmement précieuses pour l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye, qui prennent en compte des données même récentes (2001 2008).
Pierre Morizot a donc réalisé une précieuse synthèse en 150 pages. Ce face à face entre Romains et Berbères nous aide à comprendre non seulement ce qui s’est passé pendant près d’un millénaire en Afrique quand Rome dominait le monde, mais il nous aide à comprendre bien des aspects du monde contemporain à travers une approche historique qui est celle non seulement d’un historien, mais aussi d’un humaniste. Pterre Morizot né en France en 1921. Il est décédé l’été dernier, le 19 août 2018. Il a longtemps vécu en Algérie ou il est arrivé en 1940. Il est instituteur auxiliaire à Arris dans les Aurès où naît sa passion pour l'archéologie. Tout de suite, cette région aux paysages grandioses, âpres er colorées, qu’il parcouru alors à pied et à mulet, son peuple, sa culture, ses mœurs lui sont devenus proches. A sa surprise, il découvrit l’empreinte de Rome au cœur même du massif par l’inscription de Masties « Imperator et dux Romanorum et Maurorum », « « fidèle à Dieu et à sa parole », témoignage éloquent d’un chef berbère de l’Aurès du 5e siècle de la rémanence d’un empire romain d’occident qui n’existait déjà plus. En 1943, il s'engage dans l’armée en Libye autour de Tripoli. De 1946 à 1956, sa carrière va se poursuivre au Maroc où il sert comme administrateur civil dans la population berbère des montagnes de l'Atlas. De 1956 à 1986, il sert dans le corps diplomatique.
Parallèlement à son activité professionnelle, il a poursuivi ses investigations sur l'antiquité de l'Aurès, effectuant des recherches sur le terrain et rédigeant plus de 70 communications scientifiques. Pionnier de l'archéologie au sein du massif de l'Aurès, spécialiste reconnu du monde berbère, son dernier livre "Romains et Berbères face à face" fait la synthèse de 70 ans de recherches et d'études. Pierre Morizot était membre de l'Académie des Sciences d'Outre-mer. Il a fondé en 2002 la Société Aouras d’études et de recherches sur l’Aurès antique pour promouvoir la connaissance et la protection du patrimoine antique de cette région. Elle regroupe les chercheurs français, algériens et étrangers dans cette quête incessante.
Il nous laisse deux livres fondamentaux. D’abord une Archéologie aérienne de l’Aurès (1998), fruit de dix ans de travail pendant la décennie 1990 pendant laquelle il lui était impossible de se rendre sur place. A partir des archives photographiques de l’Armée de l’Air de 1950 à 1960, c’est-à-dire quand la prospection spatiale n’existait pas et avant l’urbanisation généralisée, il a méticuleusement recensé les images de tous les vestiges antiques déjà connus et en a découvert quantité d’autres. Le pendant de ce travail documentaire, c’est la publication en 2015 de « Berbères et Romains, face à face » qui fait la synthèse de 70 ans de recherche et de passion.
Nabil Z.
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