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Photo du rédacteurNabil Z.

«Nous espérons que ce film pourra contribuer à faire prendre conscience»

Canal Algérie vient de programmer de manière surprise la diffusion de votre dernier long métrage «Harragas Blues». Elle est prévue pour aujourd’hui et demain en prime time. Quelle en est la raison ?



Amina Bedjaoui-Haddad (productrice) : « Harraga Blues » est une coproduction de Moussa Haddad Prod et l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel qui a reçu le soutien du ministère de la Culture, par l’octroi d’une subvention FDATIC. La diffusion de ce film fait l’objet de nos démarches auprès de la télévision depuis longtemps. Mais l’actualité s’est précipitée ces derniers jours avec des informations dramatiques qui nous arrivent concernant des naufrages de masse en méditerranée. Malheureusement, il y a aussi beaucoup de jeunes Algériens qui tentent l’aventure. Les conséquences sont souvent tragiques. J’imagine que la télévision nationale souhaite les sensibiliser aux dangers que représente l’aventure de la Harga. Si on réussissait à contribuer à changer les choses avec ce film, ce serait très bien. La version qui sera diffusée jeudi est inédite, en dehors de la version cinématographique qui a été projetée dans plus d’une vingtaine de wilayas, dont la dernière était à Adrar il y a deux semaines. Forts de l’engouement suscité par les projections en salles ou en plein air, nous avons été encouragés à poursuivre la tournée du film partout où cette volonté rencontre celles et ceux qui peuvent permettre de la concrétiser. Nous avions dès le départ décidé de faire deux versions différentes du film.


Celle destinée au cinéma, et celle prévue pour la télévision, qui a été montée pour donner deux parties de 74 minutes chacune. La diffusion d’une production algérienne cinématographique à la télévision est l’aboutissement d’un profond souhait, puisque sa diffusion télévisuelle permettra d’atteindre un public beaucoup plus large. Pendant un an et demi, nous avons parcouru le circuit des cinémathèques, nous avons travaillé avec les directions de la culture, partout où les portes nous ont été ouvertes. Nous continuons à vouloir le projeter dans toutes les salles qui voudront bien nous inviter, pour répondre à notre intention première qui est de favoriser la production algérienne par la réémergence du cinéma, comme ce fut le cas dans le temps, et ainsi participer à réconcilier le citoyen algérien avec l’habitude de regarder des films en salle. Nous pensons avec ce film avoir servi deux causes. Participer à l’impulsion de l’élan cinématographique et faire rayonner une production nationale par le biais de la télévision, qui seule peut permettre de toucher et de réunir des millions d’Algériens.


Moussa Haddad (réalisateur) :

«Harragas Blues» propose une vue différente de l’Algérie d’aujourd’hui et de son rapport au phénomène de la migration. L’Algérie est plurielle et universelle. Plus que jamais, les jeunes Algériens aspirent à aller à contre sens de l’image stéréotypée qu’on donne d’eux. Cette image a été imposée par un certain cinéma donnant l’impression que notre pays est poussiéreux, lunaire, triste et désespérant. C’est certainement dû aux sources monochromes d’où est puisée cette image. Elle renvoie à une forme de découragement, de désespoir et d’absence d’horizon, pour justifier tous les maux qui traversent notre société. Dans ce film, nous avons abordé le phénomène de la « Harga » comme ultime recours pour une partie de la jeunesse algérienne, pour fuir leur pays et ses nombreux interdits. Grâce à la Harga, le jeune transcende l’interdiction de bouger, de circuler et de voyager. 


Amina Bedjaoui-Haddad :

Moussa, dans ce film, prend à contre-pied tous ceux qui s’attendaient à voir le personnage du Harrag entrer dans un moule déjà présent dans l’imaginaire collectif. Les personnages incarnés dans le film ne sont pas des marginaux en désespoir de cause. Ils ont une éducation, un travail, une famille, …Mais ils ont du mal à envisager leur avenir dans leur propre pays. C’est de là qu’est sortie l’idée du « blues », d’où la « Harga ». L’Espagne représente un Eldorado dans l’imaginaire collectif de ces jeunes. Ce film est une tentative de dé-ghettoïser le phénomène de la Harga ou de la migration clandestine, sans développer de discours moralisateur. Le Harrag n’est pas toujours celui qu’on croit. Et l’Eldorado ne se trouve pas forcément de l’autre côté de la mer.


L’herbe, n’est-elle pas plus verte ailleurs ? Moussa Haddad : Tant que notre rapport à l’Occident demeure à ce point transcendant, beaucoup continueront à la penser. Le cinéma peut contribuer à donner une autre vision et un autre point de vue. 


Mais que peut apporter concrètement le cinéma dans une crise aussi importante? Amina Bedjaoui-Haddad :

Le cinéma peut déjà apporter une ouverture. Permettre de parler d’un phénomène aussi grave, d’envisager le partage d’expériences et lutter contre le renfermement et le repli sur soi. Il faut absolument en parler pour pouvoir en discuter et en débattre dans la société. Le rôle du cinéma, c’est aussi d’opposer une alternative au repli sur soi. Il faut casser la pensée unique et étriquée que renvoient les pays du sud sur eux-mêmes. Il est important d’aborder des thèmes aussi sensibles de manière libre, sans nécessairement épouser le discours officiel. Le cinéma est là pour permettre l’émergence de points de vue différents, et nous assumons le nôtre.


Quelle est l’importance de la question migratoire dans votre production cinématographique ?

Moussa Haddad :

C’est la première fois, en cinquante ans de carrière, que j’aborde ce sujet. J’ai pris la précaution de ne pas être dans le « prêt à penser », en servant un discours reprenant ce que tous les Algériens savent déjà. Ce qui est au centre de tous mes films, c’est l’Homme. Quel est l’aspect psychologique dans lequel se trouve une personne prête à renoncer à vivre dans son propre pays, en espérant mieux réaliser ailleurs. « Harragas Blues » met autant l’accent sur la Harga que sur le Blues lui-même. 


En dehors du mal vivre, y a-t-il, selon vous, d’autres raisons qui poussent ces jeunes à jouer avec leur vie ?

Amina-Bedjaoui Haddad :

Au commencement, le phénomène de la Harga était essentiellement poussé par la mal vie des jeunes. Mais aujourd’hui, l’actualité internationale nous montre qu’il y a une réalité. Partout dans les pays du Sud, c’est la guerre. En Libye, au Mali, au Niger, en Somalie, au Soudan, en Syrie, en Irak, … Ce sont des raisons objectives qui poussent les gens à tenter de trouver de l’espoir ailleurs, même au risque de perdre leur propre vie. Il n’y a plus que seulement des jeunes qui tentent l’aventure, mais des familles entières, avec des personnes âgées, des enfants en bas âges, des femmes enceintes… Hélas, comme on l’a encore vu cette semaine, les conséquences sont souvent tragiques et dramatiques. Les gouvernements sont acculés à trouver des solutions urgentes pour faire face à ce phénomène. Non pas en l’interdisant, mais en luttant contre les causes qui le provoquent. Nous espérons que ce film pourra contribuer à faire prendre conscience à nos jeunes que l’aventure est sérieuse et qu’il ne convient pas de la prendre à la légère.


Entretien réalisé par  N. Si Yani



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