Beaucoup de gens ont déjà oublié cette langue typiquement « algérienne », et qui a été créée dès l’arrivée des premiers colons, à la fin de la première moitié du dix-neuvième siècle.
Les premiers colons, n’étaient pas tous français. Il y avait aussi des italiens, des maltais, des espagnols, des catalans, en plus des alsaciens, des corses et d’autres nationalités encore. Tout ce beau monde ne parlait pas nécessairement le français, et même si c’était le cas, ils le parlaient différemment ou carrément mal. Ce qui a emmené les différentes communautés à introduire dans cette langue des mots et expressions qui leurs sont propres. Petit à petit, les autres communautés se mettaient à adopter ce nouveau langage, donnant naissance à un nouveau dialecte propre aux nouveaux colons.
Mais c’est à la naissance de la première génération de colons nés sur le sol de la nouvelle colonie que cette langue va se développer, intégrant même des mots et expressions empruntées dans langues algériennes. C’est aussi l’apparition d’un nouveau genre d’habitants de l’Algérie française, les Pieds Noirs. A cette nouvelle langue, ou patois, les gens ont trouvé un nom original : le Pataouète. Un nom justement dérivé du mot patois.
Selon certains spécialistes de ce patois, « la langue « pataouète » s’est créée entre ports et banlieues au creuset du faubourg populaire. Là, les parfums se passionnent de soleil et de mer pour effacer la misère du monde à mi-chemin entre l’enflure verbale et l’expression héroïque ». Et, chronologiquement, « ce dialecte est né durant la deuxième moitié du 19ème siècle au confluent des races méditerranéennes ». Dans son live, »Le sang des races », Louis Bertrand écrit : « « Quand ils quittaient le valencien, leur langue était celle qui se parle au Faubourg, mais avec quelque chose de plus prétentieux qui sentait le commis-voyageur. On y retrouvait les expressions boulevardières d’il y a dix ans à côté des vieilles élégances de corps de garde apportées jadis par les troupiers de 1830. Des métaphores marseillaises se heurtaient à des dictons espagnols, des mots de sabir ou d’arabe bigarraient le français officiel appris à l’école des Frères. Et parfois, au milieu de ces phrases bâtardes, martelées avec les rudes intonations gutturales de l’Afrique, s’enlevait une belle image, robuste et saine, sortie toute vive du riche terroir de Valence ou étincelante et dure comme les roches d’Alicante et que le mauvais français du Faubourg laissait transparaître, ainsi qu’une loque misérable. »
Cette nouvelle langue s’est petit à petit généralisée, et est presque devenue la langue officielle des Pieds Noirs. Des emprunts ont ainsi été faits de toutes les langues originelles des peuples de la Méditerranée, vivant désormais sur cette terre d’Algérie depuis plus d’un siècle. Cette nouvelle langue était un vrai dialecte méditerranéen à la syntaxe quasi-latine, avec son accent, et son lexique. Les linguistes ont pu, grâce au Pataouète, voir comment une langue se crée et se développe.
En 1962, on a compté plus de cinq millions de personnes qui parlaient le Pataouète, toutes origines confondues. Il semble avoir petit à petit disparu, au fur et à mesure que la génération des pieds noirs disparaît. C’était une langue vivante au sens propre du mot, d’autant plus qu’elle était accompagnée de la gestuelle et des intonations propres aux méditerranéens.
En 2012, est apparu un lexique de Pataouète, Le Français d’Afrique du Nord, de M. Lanly, faisant suite à un autre ouvrage paru en 1969 « Le roro : dictionnaire pataouète de la langue pied-noir, de Roland Bacri, dans lesquels une grande partie des mots et expressions utilisées dans cette langue ont été recensés. Plus de deux cents dix mots d’origine algérienne, incluant l’arabe dialectale, et le kabyle s’y trouvent, représentant quelques quarante pour cent de l’ensemble des mots étrangers introduits dans le Pataouète. On y trouve aussi cent quatre-vingt mots espagnols, soixante mots italiens, etc…
Parmi les mots d’origine algérienne, on trouve un certain nombre qui sont encore en usage chez nous aujourd’hui. Cela ne préjuge en rien de leur origine réelle, mais ils ont bien intégré le Pataouète, et sont restés dans notre langage quotidien, au vingt et unième siècle. Parmi eux, citons quelques-uns :
Aïa, Aouah ! Balek, Baraka, Bessif, Bezef, Bled, Chouf, Chouïa, Fissa, Gazouz, Kémia, Kif-kif, Labes, Mahboul, Macache, Meskin, Tchaclala, Tchatche, Wallou, etc…
Il est dommage que cette langue qui aurait pu servir de lien entre les deux rives de la Méditerranée, ait disparue. Elle aurait pu servir, une fois débarrassée de ses préjugés et susceptibilités politiques, à garder un lien plus étroit, et un dialogue constant, évitant bien des malentendus et enrichissant leurs locuteurs, pour mieux se répandre dans les pays de ce pourtour méditerranéen, si riche et si varié.
A signaler cette initiative originale de l’écrivain français Edmond Brua, qui a réécrit en pataouète les livres de Corneille, le Cid et celui d’Albert Camus, ce prix Nobel de Littérature français d’Algérie, les Noces.
Nabil Z.
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