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Photo du rédacteurNabil Z.

Pouvoir et Contre-Pouvoirs

Depuis l’annonce officielle du départ à la retraite du Général Toufik, beaucoup d’encre a coulé dans la presse. Il est certain que personne, à l’heure actuelle ne connaît de façon exacte les circonstances de ce départ : renvoi, rejet, limogeage, départ volontaire,… Toujours est-il que le départ du chef des services de renseignement de l’Armée laisse un certain vide qui ne serait pas facile à combler.



La structure de tout pouvoir politique, et à fortiori celle de l’Etat algérien, est constituée d’un certain nombre de points et d’éléments qui s’opposent les uns aux autres pour constituer à la fin, le point d’équilibre du pouvoir en place. Ainsi, pour en rester au sujet qui nous préoccupe présentement, la Présidence de la République et les services du DRS étaient deux forces importantes qui semblaient s’opposer pour que chacune serve de contrepoids à l’autre. Selon les dossiers et les circonstances, la balance penchait pour l’un ou l’autre des clans, assurant ainsi l’avancée du système. En bloquant les initiatives de l’un par l’autre clan, le système arrivait hélas, trop souvent au gel et à la paralysie. Cela a couté de longues années de retard au développement du pays. Mais parfois, il y a eu des blocages heureux, empêchant un clan d’abuser de sa situation pour imposer un projet, une idéologie ou un point de vue.


Ce jeu du chat et de la souris a ainsi bercé la vie des algériens depuis une vingtaine d’années, et en particulier, après les événements d’Octobre quatre-vingt-huit. Les rapports de force ont ainsi balancé entre ce qui était convenu d’appeler l’Armée et la Présidence de la république. Tantôt, un clan imposait un premier-ministre, un gouvernement ou un processus électoral, et tantôt, l’autre clan arrivait à s’interposer et à faire gripperla machine. A un certain moment, le clan dit des militaires avait été assez puissant pour faire partir le Président de la République lui-même. C’est le jeu du pouvoir, et les acteurs semblent avoir accepté ses règles et les avoir intégrées dans leur mode de gestion.


Mais ces règles ont été complètement chamboulées depuis l’arrivée de Bouteflika au pouvoir, imposé par le clan même de l’Armée. Le nouveau président s’est petit à petit occupé à disloquer le clan qui détenait le pouvoir et grignotait des parts de plus en plus importantes pour devenir un poids de plus en plus lourd dans le système politique de notre pays.


Un des coups forts que Bouteflika avait donné à ce clan consistait à forcer le Général Lamari, puissant chef d’Etat-Major de l’ANP, et un des principaux décideurs de l’armée à partir en retraite. Certes, cela n’aurait pas pu se faire sans la complicité, au moins passive d’un certain nombre de ses compères. Cela aurait dû alerter le reste de l’équipe qui n’avait rien fait pour consolider son unité. Et la saignée a continué, allant jusqu’à l’annonce quasi officielle de la volonté de l’Etat de rajeunir l’encadrement militaire. Ce qui sonnait le glas de l’ancienne équipe appelée à libérer la place aux plus jeunes. Mais cela ne s’est pas fait sans résistances. Il y a encore aujourd’hui dans l’encadrement de la haute hiérarchie militaire des officiers supérieurs qui ont largement dépassé l’âge de la retraite, et qui s’agrippent encore, à tort ou à raison, à leurs postes. Les mauvaises langues diront « à leurs privilèges ». La réplique du président consistait à promouvoir un ensemble de « jeunes » officiers supérieurs au grade de Général, pour noyer les anciens dans la foule. Ainsi, sont-ils devenus minoritaires dans la classe si réservée des officiers généraux. Cette année, faut-il le rappeler, près d’une cinquantaine d’officiers supérieurs ont bénéficié d’un passage de grade vers la case d’Officier Général.


L’un des derniers obstacles à franchir, ou encore mieux, à écarter restait le très puissant, disait-on, chef des services secrets. Véritable pouvoir dans le Pouvoir, et quasiment la colonne vertébrale de l’Etat algérien. Toutes les approches ont été essayées pour l’affaiblir, et aucune méthode n’a fonctionné. Toufik, en vrai ou en prétendu, détenait des dossiers sur tous les décideurs. Et malheur, disait-on, à celui qui oserait essayer quoi que ce soit contre lui. Tous le craignaient et lui-même ne se faisait pas prier pour leur rappeler sa supériorité.

Bouteflika faisait avec et essayait, tant bien que mal de composer avec lui, dans l’intérêt du pays, et le bonheur des clans qui profitaient de la générosité de l’Etat. Mais un élément va tout de suite changer la donne, et déclencher l’offensive finale du clan présidentiel, décidé à se débarrasser de la concurrence devenue insupportable.


Bouteflika est le chef, pas seulement au trois quarts. Il l’a dit à ceux qui voulaient bien comprendre son message, mais certains ont fait la sourde oreille. Il ne comptait partager le pouvoir avec personne et entendait être le maître absolu. Personne ne devait être au-dessus de lui, plus beau que lui, plus intelligent que lui, … C’est pour ça que dès qu’il était arrivé au pouvoir, il avait commencé à se débarrasser de ses concurrents dans tous les domaines. On se souvient tous du limogeage de Cherif Rahmani coupable d’une trop grande popularité. De celui d’Abdelaziz Rahabi coupable de liberté de pensée et d’expression. De tant d’autres responsables qui ont osé faire de l’ombre au Président si jaloux de sa personne et de son image.


C’est ainsi que lors de la préparation du quatrième mandat, et toute la critique qui l’entourait, Bouteflika recevait toutes sortes de critiques et encaissait tous les coups, baissant la tête et supportant toutes les insultes qui fusaient de partout. En vieux routier de la politique, le candidat à sa propre réélection en avait vu d’autres et avait su résister à tous les assauts de ses rivaux politiques. Mais c’est une missive inattendue qui va le faire sortir de sa réserve et l’engager dans un denier bras de fer avec le chef des Services, le Général Mohamed Medienne.


Dans un courrier censé descendre en flammes le chef des services secrets algériens, Hocine Malti, un ancien cadre de l’Etat qualifie le Général Toufik de « Rab El Dzaïer », le Seigneur de l’Algérie. Or, pour Bouteflika, il n’y a de Rab, de seigneur que sa propre personne. Comment osait-on appeler son rival de Seigneur à la place du seigneur, du Khalif à la place du Khalif. C’est la seule chose qu’Abdelaziz Bouteflika ne supporte pas, qu’on se place on qu’on soit placé au-dessus de sa personne. Ce courrier a fait des ravages dans le clan du DRS de loin plus que toutes les attaques subies depuis des années. Désormais, la guerre qui n’était que larvée, est ouverte entre le Président et son chef des Renseignements. Et c’est le trublion du FLN qui sera chargé d’ouvrir les hostilités. Amar Saidani a, pour la première fois, nommé le chef des Services et s’est attaqué à sa personne. Suivent alors une série de mesures qui dépouillent Toufik petit à petit de son pouvoir et de ses prérogatives. En lui supprimant la mainmise qu’il avait sur le secteur de la presse, on isolait médiatiquement l’ogre avant de le priver de son autre outil de pouvoir qui étaient les services d’investigations judiciaires. Vint ensuite la suppression de ses appuis humains en les personnes des généraux qui le secondaient. Les uns furent mutés ailleurs et les autres mis à la retraite. Un autre croupis en prison sans que le chef du DRS n’ait rien pu faire pour le protéger. Cet élément fut le déclencheur du coup fatal, le clan présidentiel ayant compris que l’adversaire n’avait pas d’arme secrète, et ne pouvait donc même plus se protéger.


Maintenant que Toufik est écarté, et que le nouveau chef est nommé directement par le Président, un déséquilibre des forces semble patent. Car il faut bien aligner le vice-ministre de la Défense dans le clan du président. Il n’y a plus qu’un seul pôle de puissance dans ce pays, et le pouvoir en place n’a plus en face de lui de contre-pouvoir. Ce qui pourrait d’un côté être intéressant si les décisions qui seront prises dans les prochains jours se font au profit du pays et non des clans du pouvoir. Mais cela pourrait être d’un danger extrême, puisque la vacance du pouvoir, comme celle du contre-pouvoir sont de nature à lâcher la bride à tous les appétits. A la société civile de prendre le relais pour constituer un véritable garde-fou contre les tentations qui ne manqueront pas de naître de ce vide. Car la nature a horreur du vide, et ce dernier ne manquera pas d’être comblé par toutes sortes d’aventuriers assoiffés de pouvoir.


Nabil Z.


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