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Photo du rédacteurNabil Z.

Quand les Berbères étaient des dhimmis





Même convertis à l’Islam, les Berbères étaient toujours soumis aux impôts réservés aux non musulmans, des décennies après les invasions arabes. Jusqu’à ce que les Amazighs se révoltent. En illustration, une image de la mosquée de Kérouan en Tunisie, première ville et première mosquée que les Arabo-musulmans ont construite en « Ifriquia », et à partir de laquelle étaient organisées les expéditions vers Damas.


Contrairement à ce qu’on a prétendu, les invasions arabes du septième siècle n’avaient pas pour but de libérer les Amazighs, mais bien de les soumettre, les dominer et piller leurs richesses. Physiques et matérielles. Dès leur arrivée sur le territoire de Tamazgha (Afrique du Nord), les armées arabes et musulmanes ont imposé les impôts djizya et kharadj à l’ensemble des Berbères, y compris à ceux qui avaient accepté de se convertir à l’Islam.

Au moment de l’arrivée des Arabes à partir de 647, l’Afrique du Nord était habitée par diverses populations berbères, entre Juifs, Chrétiens et païens, qui avaient développé depuis des lustres un style de vie qui leur était propre. Les communautés se côtoyaient, échangeaient et partageaient une sorte de quiétude, occasionnellement perturbée par des troubles mineurs, qui rentraient vite dans l’ordre. Une vie ordinaire. Surtout depuis le départ des Barbares Vandales.


Mais sous le règne du Khalife de Damas (724-743), Hicham Ibn Abdelmalik, chef de la Dynastie Omeyade, les taxes étaient devenues très lourdes, et même les Berbères convertis à l’islam n’en étaient pas exemptés. Cette politique était imposée depuis la domination arabe et musulmane, avec comme chef local, le gouverneur de l’Ifriqiya (en gros, l’actuelle Tunisie) à partir de 698, Moussa Ibn Noussair. Chaque Berbère et chaque Andalous (Espagne musulmane) devait s’acquitter de deux sortes d’impôts :

  • l’impôt dit djizya, avait officiellement pour but de garantir la « protection » de celui qui était considéré comme dhimmi (c’est-à-dire un non-musulman en terre islamisée)[1] ;

  • le deuxième impôt, le kharadj, une sorte d’impôt foncier, était appliqué aux propriétaires terriens.


Ainsi, la terre, si sacrée pour les amazighs, se trouvait imposée au profit de l’envahisseur, quelle que soit sa nature. Ce n’était pas la production elle-même qui était concernée par cet impôt, mais le sol. Ainsi, dans le cas où le propriétaire venait à être exonéré de l’impôt djizya pour cause de conversion, ce qui n’était pas du tout acquis, il continuerait quand même à payer cet impôt réservé en principe aux non musulmans.


L’après conquête de l’Espagne.

Déjà, après la conquête de l’Espagne par les armées maures à partir de 711, à qui les Arabes avaient promis gloire et richesses, le butin était inéquitablement réparti. Ce qui déplut fort aux Berbères qui avaient fait le travail, tandis que les Arabes restaient embusqués au Maroc, en attendant que la conquête de l’Ibérie soit faite par cette armée de Dhimmis, sous commandement de Tarik Ibn Ziyad. Ce dernier d’ailleurs, au lieu d’être accueilli en héros et récompensé par le gouverneur de l’Ifriqiya à son retour, fut accusé d’avoir caché une partie du butin. Il fut humilié par Moussa Ibn Noussair, puis assassiné, malgré une ambassade berbère dépêchée à Damas pour plaider sa cause. Le Gouverneur Omeyade de Damas n’avait même pas daigné recevoir les délégués amazighs venus lui exposer la situation. Le mépris était à son comble.


Cette situation a fini par exaspérer les Berbères qui, en 739 ont décidé de s’en libérer. C’est ainsi que le chef Maysara a levé une armée, et a combattu pour libérer Tamazgha de l’occupant et dominateur arabe. La révolte s’est très vite répandue sur l’ensemble du Maghreb, et l’empire Omeyade a subi son premier grand revers. Le soulèvement berbère, connu sous le nom de la Grande Révolte Berbère a duré plus de quatre années, obligeant les Arabesà se retirer dans l’actuelle Tunisie, ayant perdu tout contrôle sur les terres libérées par la révolte de Maysara.


C’est ainsi que les impôts furent supprimés, et que les Berbèresse libérèrent de l’emprise arabe. Ils étaient enfin libres de toute domination militaire étrangère dès l’an 743. Sauf qu’au niveau spirituel, les Berbèresont raté l’occasion de rejeter définitivement tous les liens qui les dominaient de l’intérieur. La pensée berbère n’a pas repris le dessus, et la domination spirituelle a continué sous d’autres formes, puisque, une fois les Arabes vaincus, Tamazgha, ce grand pays des Berbères s’est scindé en une multitude de petits royaumes et principautés, qui l’ont encore affaibli davantage. La reconstitution d’un royaume maghrébin de grande dimension ne pourra se faire que quelques siècles plus tard, avec ce qu’on appellera les Grandes Dynasties Berbères à partir du XIᵉ siècle.


La Dhimmitude charnelle.

La dhimmitude peut se manifester d’une autre façon. Quand les esprits se sentent redevables à leur oppresseur, grâce à ce qu’on appelle aujourd’hui le syndrome de Stockholm, ils peuvent lui manifester de l’admiration.


Après la dhimmitude établie en espèces sonnantes et trébuchantes, ce fut au tour de celle de la chair et du plaisir que les envahisseurs arabes utilisèrent pour dominer les Berbères. C’est ainsi que Marouane, le Père de Hicham avait exigé que lui soient envoyées des milliers de belles Berbères, musulmanes ou pas, d’ailleurs. Le critère de la foi n’avait pour lui aucune importance, pourvu qu’il puisse assouvir ses désirs charnels, loin de toute préoccupation spirituelle. Le salut des âmes étant son dernier souci.


Dans un article[2] publié en Juin 2001 dans sa chronique du quotidien algérien « Liberté », Amine Zaoui, écrivain et intellectuel algérien, rapporte quelques détails concernant cette histoire. « Le guide suprême des croyants, Hicham Ibn Abdelmalik (691-741), jaloux de son père Marouane, décida de suivre son exemple en faisant venir des femmes du pays des Berbères. Il envoya donc une lettre à son gouverneur de l’Ifriqiya en Tunisie, pays des Amazighs :

« L’Émir des croyants (Amir al Mouminine) prenant connaissance de ce qu’envoyait votre prédécesseur Moussa Ibn Nosseir (640-716) à Abdel Malek Ibn Marouane miséricorde d’Allah soit sur lui, en nombre de femmes berbères, Il (le calife) vous demande de faire de même. Vous avez sous votre commande un nombre inestimable de belles femmes berbères. Des femmes qui comblent le regard. Des femmes captivant les cœurs. Ce qui est introuvable chez nous à Damas ou dans nos autres régions obéissantes. Je vous demande de prendre toutes les précisions et l’attention dans le choix des femmes berbères ».

Le Khalife ajoute :

« Prends en considération ce qui suit : la beauté extrême, les doigts fins, l’élégance physique, le calme esprit, les cheveux longs, la race pure, les yeux amusés, les joues lisses, les petites bouches, les beaux visages, les corps vibrants, la taille moyenne, les voix envoûtantes ».

Ce casting hollywoodien fut exécuté avec méthode et célérité. Certaines femmes cédèrent aux chants des sirènes, mais la plupart furent enchaînées et expédiées de force vers le Khalife. On estime que plus de cinq cent mille femmes ont été envoyées à Damas, puis disséminées dans tout le Khalifat, pour renouveler la race dite arabe, et améliorer sa qualité. L’écrivain égyptien Ahmad Al Tayyib, dans une conférence donnée à l’Université du Caire en 2018, et reprise sur son site « Masryoon.com » avance le chiffre de 600 000 esclaves berbères ainsi transférées vers Damas. Le gouverneur avait pris la précaution d’ajouter dans son courrier que « ces femmes seront les mères de nos enfants ». Les femmes volontaires ont vite déchanté, sans aucun espoir du retour espéré. Le syndrome de Stockholm se transforma vite en cauchemar de Damas.


Le Djihad Ennikah.

On avait fait miroiter le Paradis aux femmes berbères, en allant servir le Khalife, Émir des Croyants, en cette fin du VIIᵉ siècle. Elles ne se doutaient pas qu’elles allaient être transformées en esclaves sexuelles. C’est un peu ce qui se passe encore de nos jours dans certains pays du Golfe, avec des jeunes filles venues des Philippines et d’autres pays à la recherche d’un travail et d’une vie meilleure. Beaucoup se retrouvent asservies très vite, devenues esclaves sexuelles. Leurs passeports confisqués, et leur dignité piétinée.

Ce même phénomène a aussi été constaté ces dernières années à la faveur de l’apparition de « l’État Islamique », Daech. Des milliers de femmes, tunisiennes en particulier, mais pas seulement, à qui on avait promis une vie paradisiaque dans un État pré-céleste, étaient parties comme volontaires pour pratiquer le « Djihad Ennikah[3] » (littéralement « le Djihad de la baise », en Irak et en Syrie).


Ce djihad consiste à servir d’objet sexuel aux combattants du Djihad, pour leur donner force et vigueur. Certaines d’entre elles, une fois revenues, ont raconté l’enfer qu’elles y ont vécu, se faisant violer jusqu’à une cinquantaine de fois par jour. En fait de départ volontaire, ces pauvres femmes étaient totalement soumises à une idéologie qui était réapparue en Tunisie, à la faveur de l’arrivée des islamistes d’Ennahda au pouvoir. Même si ces derniers s’en défendent, leur idéologie a ouvert la porte aux idéaux de Daech qui a ainsi trouvé un terrain propice à la diffusion de sa propagande.


En Europe-même, des dizaines de musulmanes partirent pour rejoindre les rangs de « L’État Islamique » et lui prêter main-forte en mettant leurs corps au service des combattants d’Allah. La résurgence de la pensée islamique a ainsi charrié avec elle la pratique d’antan, ravivant les plus vils comportements que l’Ifriqiya ait jamais connus.

Cette pratique barbare qui a concerné l’Afrique du Nord, a été initiée par Abdelmalik Ibn Marouane dont le règne s’est établi en 685. L’écrivain égyptien Khaled Mountaser s’est récemment dressé contre les imams d’Al Azhar qui se glorifiaient encore des conquêtes arabes, leur reprochant de ne pas avoir dénoncé ces actes barbares, exigeant d’eux qu’ils se repentent et demandent pardon au peuple amazigh pour les exactions faites lors des invasions arabes d’autrefois au Maghreb.

Il dit :

« Je vous rappelle la vertu angélique avec laquelle vous qualifiez ces invasions. À l’exemple de celle que vous avez faite sur les Amazighs d’Afrique du Nord lors des grandes opérations de captivité qui ont atteint six cent mille prisonniers hommes et femmes berbères enchaînés par les mains de Moussa Ben Noussair, qui a envoyé plus de cinquante mille esclaves berbères à Abdelmalek ben Marouane en Syrie, avec des captives exigées par lui comme ‘’femmes aux beaux yeux, captivant les cœurs, aux joues douces et aux seins ronds, avec de petites bouches…’’ Comment pouvez-vous considérer cela comme de la vertu ? ».

Le chiffre avancé par l’écrivain égyptien a été largement multiplié sous le règne de Hicham, passant de cinquante mille à cinq cent mille femmes, puisque les différentes estimations se situent dans une fourchette de cinq cent mille à un million et demi de captifs berbères en Syrie à cette époque : hommes, femmes et enfants.


Khaled Mountaser rappelle un passage de la lettre envoyée par Abdelmalik à son gouverneur Moussa Ibn Noussair :

« Qui veut une femme pour son plaisir, qu’il la prenne berbère. S’il veut un garçon, qu’il le prenne perse. Et s’il veut une esclave, qu’il la prenne romaine ».

Cette pratique a également été constatée durant la domination ottomane, certains témoignages décrivant le comportement de la soldatesque des Janissaires, notamment à Alger et Constantine. Les femmes, mariées ou pas, les enfants étaient tous considérés comme butin par les serviteurs de la Sublime Porte sous commandement des frères Barberousse et des Deys et Beys qui leur ont succédé. Et beaucoup d’entre eux furent expédiés à Istanbul pour accompagner le tribut dû à l’Émir des Croyants[4].


La libération de la Dhimmitude.

La libération spirituelle ne peut se faire sans accès à la vérité. Jésus disait :

« Vous connaîtrez la vérité, et la Vérité vous rendra libres ».

Tant que les Amazighs ne prendront pas conscience de leur histoire et les arabo-musulmans des horreurs commises par leurs ancêtres, il n’y aura pas d’espoir de guérison.

Car l’Histoire est un éternel recommencement. La dhimmitude a bien des manières de s’exprimer – parfois brutales, parfois subtiles – et une réflexion de fond est nécessaire, Et, dans notre cas, avec les Berbères eux-mêmes. Le travail intellectuel ne peut être qu’un préalable, une sorte de débroussaillage du terrain pour que les dhimmis virtuels d’aujourd’hui puissent anticiper et prendre en main leur futur destin, et que leurs oppresseurs, qui s’activent encore aujourd’hui, soient empêchés de reproduire les méfaits de leurs prédécesseurs.


Le combat contre la dhimmitude n’est donc pas seulement un travail politique et juridique, il est avant tout une question spirituelle. Une prise de conscience préalable à toute tentative de libération des esprits, et la rupture avec les pratiques antérieures que nombre d’Arabes condamnent aujourd’hui, à l’exemple de l’initiative prise en 2017 par l’Université d’Al Azhar en Égypte, et qui organisait une conférence sur ce sujet. Il y a encore du chemin pour arriver à briser le tabou de l’histoire des invasions arabes en Afrique du Nord, mais à la faveur de l’avancée de la revendication identitaire berbère dans ces pays, les mentalités se libèrent peu à peu des dogmes imposés, et les consciences se réveillent pour un avenir prometteur. NZ♦



Nabil Ziani, MABATIM.INFO Journaliste

[1] Il faut rappeler que dès l’arrivée des Arabes, les Berbères étaient considérés comme étrangers chez eux. [2] La Marche arrière : Calife et femmes berbères. [3] Le Djihad du Sexe, in Jeune Afrique, 20 septembre 2013. [4] Kamel Chehrit détaille le comportement des soldats turcs à Alger : Les Janissaires : origines et histoire de milices turques des provinces ottomanes et tout spécialement celle d’Alger. Alger, 2005.

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