Suivant un ancien adage diplomatique, la politique sérieuse se fait à table. C’est de cette façon que Massinissa et Ptolémée VIII Évergète II, ont traité des affaires concernant leurs deux royaumes, lors d’un somptueux banquet à Cirta.
L’archéologue Jean-Pierre Laporte raconte qu’un certain Athénée, grec égyptien, rapporte dans son ouvrage intitulé Les Deipnosophistes, cette rencontre : “Le roi Ptolémée, parlant de Massinissa, roi de Libye, au livre VIII de ses Mémoires, dit ce qui suit : ‘On servit la table à la manière romaine dans de la vaisselle d’argent : quant aux desserts, la table fut ornée à la manière de l’Italie. Les corbeilles étaient toutes faites de fils d’or tissés comme du jonc, et la musique fut grecque’”.
Massinissa a donc sorti son grand jeu pour honorer la présence du roi d’Égypte, et lui en mettre plein la vue. Il avait voulu impressionner son invité, et l’événement a été tellement grandiose qu’il a été rapporté dans ce livre.
C’est aussi une manière de mettre fin à l’image imposée par la tradition sur le roi numide. On rapporte qu’il ne se nourrissait que de galette et de couscous. Lors de ce repas officiel, Massinissa montre combien il appréciait les bons plats, au point de séduire Pharaon. Même si on ne connait pas le menu qui a été servi, il est certain que le roi d’Égypte l’a particulièrement apprécié.
Il y a autre chose à remarquer concernant ce repas, car Athénée parle de repas organisé « de manière romaine ». C’est-à-dire méditerranéenne. Il ne parle pas de contenu des assiettes, mais fait remarquer qu’elles étaient en Argent, et que les corbeilles à dessert étaient tissées d’or. Massinissa, rompu à la culture gréco-romaine, savait s’y prendre.
Pour que le Pharaon d’Égypte daigne faire le déplacement jusqu’à Cirta, c’est qu’il y avait certainement un enjeu important. Et Massinissa, plutôt que de le rencontrer quelque part à mi-chemin entre Alexandrie et Cirta, a préféré inviter le souverain d’Égypte chez lui. Athénée raconte que pendant cette visite, il y avait beaucoup d’enfants autour de Massinissa. Et il prend la peine d’expliquer que le roi Numide aimait être entouré de ses enfants et petits-enfants qui étaient en grand nombre. En fait, Massinissa prenait en charge l’éducation de ses petits enfants jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge des trois ans, avant de les renvoyer chez leurs parents. Ses propres enfants étaient envoyés en Grèce pour y faire leurs études. C’est comme ça qu’on a compris que larencontre eut lieu à Cirta.
Cette rencontre de Massinissa et de Ptolémée VIII, eut lieu entre -160 et -148 probablement pour des négociations sur les Emporia, ces entrepôts commerciaux installés sur la côte de Libye. A l’époque, le royaume de Massinissa s’étendait jusqu’en tripolitaine, tandis que Ptolémée VIII régnait encore sur la Cyrénaïque. Ce qui faisait de ces deux royaumes des voisins. Et il était important d’entretenir de bons rapports de voisinage.
« Athénée était un grec de Naucratis en Égypte, non loin d’Alexandrie. Il écrivit entre -181 et -192, un volumineux ouvrage intitulé les “Deipnosophistes” que l’on peut traduire par Le banquet des Sophistes (ou des Philosophes). Le texte est constitué́ de citations d’environ 700 auteurs, tirées d’environ 1500 ouvrages, dont la plupart sont perdus », rapporte Jean-Pierre Laporte. Grâce à lui, nous avons quelques informations sur le contenu de nombreux livres disparus.
Laporte ajoute : « Ptolémée VIII Évergète II, quant à lui, il est né vers -182. Il est connu par plusieurs historiens anciens, dont Polybe, et par plusieurs inscriptions hiéroglyphiques, ainsi une stèle d’Héraklion d’Égypte. Il fut pharaon d’Égypte de 170 à 163 avec son frère Ptolémée VI Philométor, puis seul de 145 à 116, avec un exil de 163 à 145pendant lequel il fut roi de Cyrénaïque ». Il jouissait d’une très mauvaise réputation du fait qu’il reprit le pouvoir de manière brutale, et maltraita tous les grammairiens, philosophes, géomètres, musiciens, peintres, pédotribes, médecins et autres spécialistes, amis de son frère Ptolémée VI Philométor.
« Le règne de Ptolémée VIII sur la Cyrénaïque, de 163 à 145, a fait l’objet d’une étude précise dont il ressort un tableau nettement plus favorable, au moins pour cette période14. Ce fut alors un érudit, un bâtisseur, un grand voyageur. Il accorda aux Cyrénéens de somptueux banquets, fit construire un nouveau gymnase, et probablement une grande muraille de défense autour du port. L’économie de son temps fut prospère et permit d’augmenter les exportations de la région », précise Jean-Pierre Laporte.
C’est sans doute vers la fin de sa vie que Ptolémée VIII rédigea l’Hypomnémata, c’est-à-dire de Mémoires. Une partie au moins du livre VIII était consacrée à Massinissa.
De son côté́, Massinissa après des débuts aux cotés de l’armée punique en Espagne, se tourna vers Scipion, reconquit grâce à l’appui de Rome le royaume massyle de ses pères après la bataille de Zama en 202, puis devint quelque temps plus tard le seul souverain numide jusqu’à sa mort en 148.
Massinissa, débarrassé́ de son grand ennemi Hannibal, avait dès lors commencé à revendiquer des territoires carthaginois. Il put tranquillement arracher des territoires à Carthage tout en restant à l’abri du parapluie romain. En 165-162, Massinissa s’empara de la Tusca, puis de divers territoires. Puis ses troupes ravagèrent les Emporia, villes portuaires de la Petite Syrte, entre le golfe de Gabès et Leptis Magna, dans la zone d’influence de Carthage. Finalement en 161, il les occupa. Peu après, il envahit la Tripolitaine, jusqu’à Sabratha et Leptis Magna, c’est-à-dire l’ouest de l’actuelle Libye, devenant ainsi le voisin de Ptolémée VIII.
La rencontre de ces deux rois a ainsi pu assurer une période de paix entre l'Egypte et la Numidie, favorisant ainsi la prospérité des deux royaumes.
Nabil Z.
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