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Photo du rédacteurNabil Z.

Religion, Islam et Modernité

« Les musulmans n’ont pas participé à la modernisation du monde. Ils l’ont subie »


Le Centre de Documentation des Droits de l’Homme, bureau de la Ligue Algérienne des Droits de l’Homme à Béjaia, en partenariat avec le Comité Culturel Universitaire de l’Université à Targa Ouzemmour, a organisé une conférence avec Ahmad Aminian, philosophe et islamologue d’origine iranienne, spécialiste de l’histoire des religions et des idées, et chercheur-enseignant à l’Université Libre de Bruxelles, en Belgique. Il est opposant au Régime iranien des Mollah contre qui il avait pris les armes étant jeune. Puis, il a compris que le combat réel est plus efficace quand il se situe au niveau spirituel, en confrontant les idées et les pensées. De retour d’Akbou, ou il a été invité à animer une session de formation de deux jours, et avant de quitter l’Algérie, Ahmad Aminian a été invité à donner une conférence au profit des étudiants de l’Université de Béjaia. Conférence qui a également été ouverte au public. Le sujet est d'une actualité brûlante, puisqu’il traite du rapport de l’Islamité à la Modernité. « Toute approche doit être envisagée avec étonnement, questionnement et esprit critique » a-t-il dit d’emblée. Le philosophe a insisté sur le fait que ses propos se veulent « une réflexion et un questionnement du sujet ». Le thème étant riche et compliqué, il était impossible pour l’orateur de l’épuiser dans un temps aussi réduits. Il distingue deux concepts proches mais différents : la Modernité et la modernisation. L’objectif et le processus. Il faut se poser des questions sur la compatibilité de l’Islam avec la modernité. Selon le philosophe, « l’Islam n’est pas seulement une religion. C’est un concept très vaste qui englobe différents aspects de la vie de l’Homme. L’économique, le culturel, le politique, le social,... et la présence des musulmans dans le monde. Un de ces aspects est évidemment l’aspect religieux ». La modernité est devenue une culture dominante et planétaire. Il n’existe aucun pays qui ne se réclame de la modernité. Le constat d’Ahmad Aminian est implacable au sujet du rapport de l’Islam et de la modernité. « Nous n’avons pas participé à la modernisation du monde. Nous l’avons subie ». Ce qui fait que nous n’avons jamais pu mener une réflexion sur le sujet de la modernisation. Cela a commencé au milieu du dix-neuvième siècle. Certains musulmans ont commencé à se poser des questions relatives à la modernité. Après cent soixante-dix ans, et les premiers écrits de Djamal Eddine Al Afghani, nous sommes dans une situation grave. « Cette modernisation a créé des avatars qui sont les produits d’une pensée mutilée, déviée et supprimée par rapport à la tradition. Nous n’avons pas développé une réflexion sur la tradition. Notre regard même est mutilé, puisqu’on regarde la modernisation au travers d’un regard étonné ». La modernité a imposé la dominance de l’occident. Mais ce n’est pas une dominance absolue. Ahmad Aminian insiste sur le fait que « La modernité n’est pas un phénomène absolu qui pourrait mettre en question la finalité de notre présence à l’intérieur de l’Histoire. La modernité est cependant indispensable pour nos sociétés qui sont restées dans des traditions figées, sans imagination créatrice ». Pour s’en sortir, le philosophe a une suggestion : « Il faudrait définir un cheminement vers le changement ». Cheminement, veut dire qu’il y a des étapes à traverser. Donc, du temps. La modernité doit venir de l’intérieur. Comment mettre notre tradition en difficulté, en la questionnant. On ne doit pas se calquer sur les modèles américains et européens. Il faudrait juste prendre des principes et faire jaillir de l’intérieur de la tradition une perspective moderne. Comparons entre la Muslimcratie et la Démocratie. Un des aspects de la modernité est la démocratie. Celle-ci considère que c’est l’individu qui est important. Comment les sociétés musulmanes pourraient passer de la Muslimcratie à la démocratie ?


Définition du musulman : Quand on parle de musulmans ou de muslims, on rentre à l’intérieur d’une communauté, la Oumma. « Oummatoune Wahida ». C’est une perspective sociale qui tend à en faire une seule nation. Quand quelqu’un se dit « musulman », il se détache de la communauté d’origine qui est une communauté tribale. C’était le cas à la Mecque ou les gens appartenaient à des tribus. En devenant musulmans, ils s’en détachaient. Ces individus, en se réunissant à Médine, ils ont fondé un Etat. Pour définir son individualité, le musulman se transcende vers quelque chose qui est supérieure à lui. « Cette transcendance est liée à ce que j’appelle de la Métahistoire ». L’anthropologie de l’homme musulman a deux aspects. Une anthropologie pactale (un pact entre un homme et un pouvoir). Le Pouvoir lui demande s’il est son Seigneur (Reb), et l’homme accepte le pacte en répondant « Oui ». Le pouvoir dit à l’homme « Je te confie le Monde, en terme de dépôt. Il ne t’appartient pas. C’est une consignation et une responsabilité ». En acceptant, il fait un choix. Il peut dire oui ou non. En disant oui, il rentre dans une autre dimension qui est contractuelle. En islam historique, ces termes sont « Aqd », le pact, et « Ta3ahud », c’est-à-dire un engagement et une responsabilité. Beaucoup de débats ont eu lieu à l’intérieur du monde islamique à partir du deuxième siècle de l’hégire autour de ces deux concepts. C’est de là qu’est né le mouvement Muatazilite, qui était constitué de rationalistes musulmans. C’est eux qui ont été à la base des traductions des œuvres philosophiques des grecs, du sanscrit et des persans. Ce mouvement a prétendu que le Coran a été créé et non incréé. A partir de ce concept, il y a possibilité d’interprétation. Il y a eu d’autres courants tels les hanbalites, pour qui le Coran est incréé. On ne peut rien faire avec. Il est figé, et on ne peut pas y toucher. « C’est à partir de ces deux tendances que l’histoire des musulmans a été définie ». L’invasion des turcs qui n’étaient pas porteurs d’un message ni d’une civilisation a donné de l’importance au mouvement et à la pensée hanbalite. Il est devenu le mouvement dominant de la pensée islamique, en particulier dans le monde sunnite. D’ailleurs, le mot « sunni » ou « sunna » n’a été affirmé qu’à partir de l’époque abasside. C’est-à-dire qu’avant on ne parlait jamais de sunnisme. « Et comme en islam il n’y a pas d’autorité cléricale, les abassides vont décider qu’il y aura quatre écoles : Hanbalites, Malekites, Chafiites et hanafites. C’est le pouvoir politique qui en a décidé ainsi » a ajouté le philosophe. Les muatazilites ont été totalement éradiqués. Par contre, il y a eu deux autres mouvements. Un mouvement philosophique qui a insisté sur la liberté de l’être humain et le libre arbitre. Ce mouvement philosophique a continué ici au Maghreb jusqu’à l’époque d’Avéroes (Ibn Rochd). Puis, cette tendance a été écartée. Il y a aussi eu le mouvement soufi qui a insisté sur l’Homme en tant que tel, pour atteindre la Vérité. Justement pour neutraliser l’intervention des autres courants dont les hanbalites dans la gestion de la destinée de l’Homme. « Comme en Islam, le message et la gestion de la société sont consubstantiels, c’est la politique qui gère les orientations de ces tendances ou courants. Et justement ces courants s’inscrivent dans une métahistoire qui n’est pas imposante, et qui donne un sens à l’existence de l’Homme dans le Monde. Ils appellent cela l’histoire du sens ».

Les Dhimmis : A partir de là, selon Aminian, qu’ils ont constitué un Etat dans la Muslimcratie et se sont demandé qui pourrait être le porteur de la légitimité dans la gouvernance. Ils ont répondu que naturellement, c’est le musulman. Et normalement, il n’y a pas de distinctions entre les musulmans, en dehors de la vertu. C’est ce que l’Islam appelle la Taqwa. Ce qui implique que la société serait égalitaire. Mais elle ne l’est que pour les musulmans. Elle ne l’était pas pour les autres habitants du monde musulman, tels que les chrétiens, les juifs et les zoroastriens. On s’est demandé alors comment traiter cette catégorie de gens à l’intérieur du monde musulman. C’est alors qu’on a ressorti cette notion qui existait déjà du temps du prophète qui celle de « Dhimmi ». Ils étaient libres de gérer leurs affaires privées, mais ne pouvaient pas intervenir dans l’espace public. La notion de « Ahl El Kitab » permettait aux musulmans d’attribuer ce statut aux juifs et aux chrétiens, mais pas aux autres.

Ahmad Aminian, iranien d’origine sait de quoi il parle quand il raconte : « Arrivés en Perse, la question s’est posée. Comment intégrer les zoroastriens dans la nouvelle configuration de l’Islam ? Mais les juristes et les théologiens avaient fait un effort imaginatif et ont trouvé le moyen de considérer que même les zoroastriens étaient « Ahl El Kitab ». C’est pourquoi ils ont le même statut que les chrétiens et les juifs, dans l’Etat Islamique, c’est-à-dire des citoyens de deuxième catégorie ».

Le même problème va se poser au dix-septième siècle quand les musulmans entrent en Inde chez les mongols de l’Inde. Ils arrivent aussi à introduire les hindous au même titre que les chrétiens, les juifs et les zoroastriens. Cela montre qu’il y a toujours des solutions. « Mais les musulmans, à un moment donné, ont accordé leur préférence à une sorte d’islamité fermée et figée. On a oublié les autres courants plus ouverts et imaginatifs. Si à l’époque, on pouvait admettre le principe des citoyens de deuxième catégorie, ce n’est plus acceptable au vingt et unième siècle. Nous sommes dans une configuration d’Etats-Nations ». En Algérie, on a des juifs algériens, des chrétiens algériens, des athées algériens, ... Qu’est-ce qu’on en ferait ? Va-t-on créer un Etat islamique dans lequel les musulmans seraient rois et les autres de simples sujets ? « C’est un problème pour la pensée islamique », a ajouté le philosophe. Islamocratie versus Démocratie :

Comparons avec ce qu’on appelle la Démocratie et voyons ce que cela donne. La démocratie vient du mot Démos en grec. Mais cela ne veut pas dire « Peuple ». Mais le « Peuple Votant ». Le Peuple c’est LAOS. En Islam, c’est le musulman qui devient Démos, puisque c’est lui qui a le droit de gérer l’Etat.

En démocratie, le concept de Démos devient extensible. Il n’est pas figé. Les règles de vote ont évolué, en baissant l’âge du droit de vote, en introduisant le droit de vote des femmes, etc...

En islamocratie, il y a le muslim et le Mu’min. Mais ce concept n’est pas extensible. Si c’était le cas, on pourrait introduire ce qu’on appellerait la citoyenneté islamique. Pour cela, il faudrait faire l’effort de la réflexion et de la pensée. Le musulman doit penser à son rapport aux autres. S’il continue à se considérer en position dominante, il n’y aura pas de dialogue et les conflits vont continuer. Mais s’il y a un rapport de réciprocité, les choses peuvent changer. Selon le philosophe iranien, « Il faut se mettre dans un cheminement d’égalité. Pour cela, il faut absolument amener le concept de Muslim vers l’extensibilité. » Il faudrait connaître la tradition, et pas seulement celle qui est juridique. Mais aussi celle de la pensée. Etre moderne veut dire « Mettre à jour ».


Configurer le réel autrement. Les musulmans doivent réfléchir à ça. Le changement des mentalités prendra beaucoup de temps. « Ce qui est en train de se passer actuellement dans le monde musulman ce sont des événements produits par les vomissements d’un malade qui vont nous mener vers la santé ». Ce n’est pas un travail facile à faire. Mais il faut créer des groupes de réflexion pour essayer de produire de nouvelles idées. Aucun sujet n’est sacralisé et aucun tabou ne doit venir obstruer la réflexion. Ce que les Muatazila ont fait dans le passé. Ahmad Aminian donne l’exemple du philosophe Errazi qui a écrit un livre dans lequel il affirmait que les prophètes étaient des charlatans, sans que personne ne le menace ou condamne. Mais les autres ont eu la liberté de lui répondre. Ce qui a créé des moments de réflexion intense. « En prenant la philosophie grecque, les occidentaux ont réussi à développer leur propre philosophie en travaillant sur les idées, la pensée et les découvertes. Ce que les musulmans devraient apprendre à faire avec leur propre pensée, à condition de ne pas s’imposer la sacralité ».


Exemple de liberté de pensée : « Les perses ont été les premiers à traduire le Coran en persan, et plusieurs traductions étaient disponibles. Ils ont aussi fait des figurines du prophète ». Mais pour cela, ils ont gardé les arabes à distance. Ils ont réussi à maintenir la langue persane jusqu’à aujourd’hui, en continuant dans sa tradition. « Nous travaillons actuellement sur un projet énorme, dans lequel la région de Béjaia est incluse, pour recenser l’ensemble des productions intellectuelles, sociales et économiques et artistiques. Comment les berbères sont intervenus dans la construction de la civilisation islamique ». Nous avons mis un projet, il y a dix ans, appelé « Voyage magique d’un certain zéro ». On est parti à partir d’un doute. On parle des « chiffres arabes » alors qu’ils ne sont pas arabes. Ce sont les occidentaux qui les ont appelés ainsi. Comme on parle de la philosophie arabe, alors qu’elle n’a rien d’arabe. Il faut retourner aux origines. On s’est posé des questions pour savoir l’origine de ces chiffres. A partir de l’inde jusqu’en Angleterre en passant par l’Iraq, l’Egypte, le Maghreb, et la France. L’Algérie est l’une de ces étapes. Pour dialoguer, et ne pas être dans un monologue, il faut avoir quelque chose à proposer, tout en réfléchissant sur sa tradition. Mais le langage doit être actuel. « Il faut avoir la capacité d’entrer dans une transaction culturelle. Faute de quoi, on ne peut pas aller très loin, en prenant le risque d’être dominé, culturellement, économiquement et socialement. Il faut toujours créer des espaces de convertibilité des valeurs et arriver à une intégration par confrontation, au niveau de la pensée ». Il faut savoir appeler un chat un chat. Utiliser les mêmes mots pour définir les mêmes concepts. Faute de quoi, aucun dialogue n’est possible. « Pour cela, il faut arriver à nommer les choses.


Malheureusement, le monde musulman n’a pas cette capacité de nomination de sa situation historique. Les musulmans traduisent les concepts occidentaux parce qu’ils n’ont pas la capacité de production des idées. Ils traduisent des concepts qui ont des différents chez les autres ». C’est exactement le cas du mot « Islamiste » qui est utilisé par les musulmans selon le sens donné par les occidentaux. Or, ce n’est pas du tout la même chose. En Islam il n’existe pas de sectes. Il existe ce qu’on appelle des Firqua. Ce sont des courants de pensées au sein de la même idéologie. Ce sont les musulmans eux-mêmes qui devraient nommer les éléments de leur propre existence. Mais ils n’ont pas cette capacité.

Pourtant, on peut bien traduire Islamisme par « Musulmans Fascisants ». Ce qu’on attend des étudiants c’est de développer l’esprit critique, qui fait secouer et trembler les idées, a martelé le philosophe. On se contente d’être des consommateurs des idées développées par d’autres. « La modernité qui nous entoure est le produit de la pensée occidentale, pas celle des musulmans ».

La conférence a été très riche, et il est dommage qu’elle se soit passée dans des conditions inadéquates, et que le lieu où elle se déroulait était trop étroit. L’événement aurait gagné à être mieux médiatisé, et le philosophe traité avec plus d’égards, pour permettre à un maximum de personnes d’en profiter. D’où la raison de cet article. Nabil. Z

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