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Photo du rédacteurNabil Z.

Sainte Salsa, Martyre Amazighe de Tipaza.

Selon Saint Augustin, notre terre d’Afrique du Notre terre d’Afrique du Nord a été riche en martyres. Et de fait, le saint d’innocents a beaucoup coulé en Afrique du Nord. A l’exemple de Saint Cyprien, et des Saintes Perpetua et Félicité, il y a eu, à Tipaza, Sainte Salsa.


A Tipasa vivait Salsa, une jeune femme de quatorze ans. Les spécialistes du sujet lui reconnaissent toutefois la maturité de l’âge. Ce qui fut démontré par la bravoure de son acte qui l’a emmené vers le martyre

Rien ne destinait Salsa à devenir martyre. Pourtant, elle a vécu des expériences spirituelles d’une telle profondeur qu’elle en était arrivé déjà à son âge à se détacher du monde, de ses vices, de ses plaisirs et de ses séductions, pour vivre une vie exemplaire, rendant jaloux et admiratifs tous ceux qui la connaissaient. Elle était de parents païens. Dès son jeune âge, elle a été attirée par les choses de l’Esprit, et s’est mise à pratiquer sa nouvelle foi, fréquentant l’église locale de Tipaza et sa communauté de croyants. Il faut dire que ce n’était pas courant, vu que l’environnement était encore païen. Car à cette époque, la superstition païenne était commune et le polythéisme était de mise.


Sur les hauteurs de la ville, il y avait plein de hauts lieux, consacrés aux diverses divinités. D’ailleurs, non loin de là, vers la ville de Cherchell existe encore aujourd’hui un village appelé Gouraya. Ce même nom se retrouve à Béjaia, puisque c’est le nom donné au mont surplombant la ville. En ces lieux existait un culte spécial, destiné à une divinité particulière : la lune. Igourayène était donc le nom donné aux adorateurs de lalune. Un culte répandu au Proche et au Moyen Orient, au Liban, Syrie, Iraq et en Arabie.

En haut de la ville de Tipaza, on avait donné au mont la surplombant le nom de Colline des Temples. Ce lieu avait été consacré dès les temps les plus anciens à diverses divinités. Parmi ces temples, il y en avait un qui renfermait un Dragon, sous forme de serpent d’Airain. On lui offrait des libations et des sacrifices, et nombreux furent ses adorateurs venant de loin pour quémander quelque bénédiction.

Pour Salsa, le serpent avait une signification claire. Pour les croyants chrétiens de l’époque, ce n’était donc pas au serpent que les gens rendaient un culte, mais à Satan lui-même. Et sa colère contre cette fausse divinité ne faisait que croitre dans son cœur.

Culte païen

Un jour, ses parents la forcèrent à les accompagner au temple. A leur arrivée, elle vit à l’intérieur de l’édifice des adorateurs qui dansaient en l’honneur de ce serpent. Les autels dégageaient une forte odeur de chair brûlée, et l’odeur de l’encens se mêlait aux autres dégagés par les rituels accomplis par les nombreux visiteurs. Il y avait également « le mugissement des trompettes, les hurlements des chœurs et tout le fracas des instruments de musique.

Salsa fut fortement perturbée par ce qu’elle voyait, et une sensation de dégoût l’envahissait. Elle priait et demandait à son Seigneur d’avoir de la pitié pour ces malheureuses personnes qui ne savaient pas ce qu’elles faisaient. Elle se souvenait d’Abraham qui, plein de compassion pour son peuple, intercédait pour les populations perverties de Sodome et de Gomorrhe. Elle se rappelait aussi l’histoire du prophète Elie qui avait défié les faux prophètes, adorateurs de Baal, une divinité païenne du Proche Orient. Le cœur de la jeune femme saignait de douleur, et elle a dû subir tous ces rituels, assistant même aux gesticulations de ces propres parents.

Discours de Sainte Salsa

N’y tenant plus, elle interpelle ceux qui participent à cette fête sacrilège : « Ah ! Malheureux parents, dit-elle, malheureux concitoyens, le démon vous trompe encore une fois ! Que faites-vous ? où courez-vous ? A quoi pensez-vous ? Dans quels précipices vous a poussés le tortueux serpent ! Ne voyez-vous point sous quel joug vous courbez vos têtes ? Cette bête que vous adorez, malheureux, n’est qu’un airain fondu. L’argile lui a servi de modèle, le plâtre l’a remplie, le marteau l’a façonnée, la lime l’a polie, finalement c’est la main d’un homme qui, guidée par l’esprit du mal, a fait votre dieu. Qu’il vous rende donc quelque oracle au milieu de tout ce tumulte ! Écoutons ce que pourra dire ce dragon qui trompe d’ordinaire et n’ouvre la bouche que pour dire le mal. Il n’y a qu’un Dieu que nous devions prier et adorer sur les autels, celui qui a fait le ciel, établi les fondements de la terre, creusé le bassin des mers, trouvé la lumière, créé les animaux, disposé les éléments, ordonné les saisons, distribué les divers ordres de la nature et façonné l’homme pour qu’il s’applique toujours aux choses divines. Il faut, dis-je, adorer ce Dieu qui n’a pas eu de commencement et qui n’aura pas de fin. Ce que vous adorez, ce ne sont pas des dieux, car si vous ne veillez sur eux, ils ne sont pas capables de se défendre eux-mêmes. Retirez-vous, calmez votre fureur insensée, mettez fin à vos cruautés, que votre frénésie s’apaise. Laissez-moi lutter avec votre dragon, et s’il est plus fort que moi, tenez-le pour dieu, mais si je l’emporte sur lui, reconnaissez qu’il n’est pas dieu, abandonnez les sentiers de l’erreur, convertissez-vous et rendez au vrai Dieu votre culte et vos adorations. »

Subitement, un silence s’est abattu sur le temple. Personne ne s’attendait à entendre un tel discours à l’intérieur même du temple, et certainement pas de la part d’une adolescente dont les parents étaient de fervents adorateurs du dragon. La cérémonie se termina brusquement dans une confusion totale. Plusieurs adorateurs prirent la fuite craignant la colère du Serpent, et quittèrent les lieux avec précipitation.

Passage à l’acte

Le soir, la jeune femme se retira discrètement pour prier. « Seigneur, dit-elle, voici le moment de donner à mon bras la force dont Tu as armé celui de la prophétesse Judith. Viens à mon aide, Père tout-puissant et éternel, qui as voulu que Ton Fils unique Jésus-Christ naquît d’une vierge, souffrît, mourût et remontât s’asseoir à Ta droite. Je T’en prie par l’Esprit-Saint, qui procède de Toi, aides ma jeunesse comme Tu as aidé Ton serviteur le Prophète Daniel, quand il tua le dragon de Babylone ; fais que je puisse également détruire ce dragon d’airain. »

Courageusement, elle monta vers le temple et enleva au dragon sa tête encore ornée de couronnes et le balança du haut de la colline à travers les rochers, pour finir dans la mer. Mais le bruit réveilla les gens. Constatant ce qui venait de se passe, ils se frappaient la poitrine et le visage, versaient des pleurs. « Malheureux que nous sommes, c’est parce que nous n’avons pas établi de garde que nous avons perdu la tête de notre dieu !» Ils venaient de confirmer ce que Salsa leur avait dit quelques heures plus tôt. Mais La jeune femme, revint un peu plus tard pour continuer son projet. Elle renversa le tronc du dragon, le poussa et l’entraîna jusqu’au bord du précipice.

Le Martyre de la Jeune femme

La foule se jette sur elle, pousse un cri de fureur et de mort, et on se saisit d’elle. Après lui avoir attaché les pieds et les mains, on la frappe avec des pierres et des gourdins ; Enfin on l’achève avec l’épée, puis on lajette dans la mer, privant ainsi son corps de sépulture.

Mais, à ce moment-là même, alors que le ciel était dégagé, entrait dans le port un Gaulois nommé Saturnin. Pour rappel, Saturninus était également le nom d’un autre martyr amazigh mort à Carthage, avec Perpétua et Félicité. Le navire de cet autre Saturnin passa au-dessus du corps de la martyre et s’y arrêta. Soudain le ciel se chargea de nuages, et une tempête se déchaîna. Pourtant, Saturnin, avait été averti en songe qu’il coulera avec son navire s’il ne fait retirer le corps au-dessus duquel il était arrêté. Le même songe s’est répété trois fois. Il se décida alors à agir. Il se jeta à la mer et saisit la ceinture de la martyre. Les témoins ont raconté que dès qu’il l’a soulevé au-dessus des flots, la tempête cessa.

Témoignages de l’Histoire

Cette histoire a également été rapportée par Stéphane Gsell qui rapporta « La Passion de Sainte Salsa ». Il effectua des fouilles en 1931 et découvrit qu’après sa mort, une basilique fut érigée sur le lieu de son martyre portant le nom de la Basilique Sainte Salsa. Ce fut au quatrième siècle. La basilique de Sainte Salsa était ornée de mosaïques dont il ne reste presque plus rien aujourd'hui. Une immense mosaïque décorait le sol. La basilique conservait également la relique d'une jeune chrétienne, jetée dans la mer pour avoir refusé d'abjurer sa foi.

A son propos, Albert Camus écrivait dans « Noces de Tipaza et printemps à Djemila » : La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais chaque fois qu'on regarde par une ouverture, c'est la mélodie du monde qui parvient jusqu'à nous : coteaux plantés de pins et de cyprès, ou bien la mer qui roule ses chiens blancs à une vingtaine de mètres. La colline qui supporte Sainte-Salsa est plate à son sommet et le vent souffle plus largement à travers les portiques. Sous le soleil du matin, un grand bonheur se balance dans l'espace. 

Le martyre de Sainte Salsa continue encore aujourd’hui à susciter l’intérêt des chercheurs qui voient en cette jeune femme, une source d’inspiration renouvelée. A ce propos, dans la continuité de ses travaux sur Les miracles de saint Etienne, le GRAA, groupe pluri-disciplinaire  regroupant historiens et littéraires, a porté son attention sur les Actes et les Passions des martyres africaines (IIIe-Ve siècles), une littérature née dans la crise des persécutions. Il vient d’achever une traduction commentée de la Passion de sainte Salsa. Il voudrait à présent, autour de cette Passion de sainte Salsa, favoriser une étude de l’hagiographie africaine tardive à partir de ces nouvelles approches, préciser les aspects rhétoriques de l’oeuvre et éclairer les problèmes d’édition critique, d’interprétation littéraire, linguistique, historique, théologique et archéologique posés par le texte. Les historiens de la langue, de la littérature, des religions et de l’Afrique tardive ainsi que les archéologues pourront ainsi aborder sous leur angle respectif l’une des plus célèbres passions de l’Afrique romaine.

Nabil Z.

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