Une nouvelle Bande Dessinée vient d’être publiée en France, racontant l’histoire des relations entre l’ancien président Nicholas Sarkozy et le défunt président libyen Mouamar Kadhafi.
Ce qui rend cette BD explosive, c’est le fait qu’elle a été réalisée par des journalistes après enquête approfondie, contenant des nouveautés et des révélations. Les frontières du journalisme traditionnel sont de ce fait repoussées, puisque cette publication permet de reconstituer les faits relatés, alors qu’aucune caméra n’était présente pour les filmer.
Cinq journalistes racontent ainsi l'enquête visant Sarkozy, en bande dessinée. C’est en effet à la fois une enquête journalistique et un récit graphique. Elle remonte aux premiers soupçons de financement occulte de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy et va jusqu'aux derniers rebondissements judiciaires de l’affaire.
Ainsi, en décembre 2007, Kadhafi plante sa tente dans la cour de l’Élysée. Le dictateur est reçu en grande pompe par la France, lui qui était jusqu’alors considéré comme persona non grata. C’est ainsi qu’est révélée la relation ambiguë avec le président français. Relation qui prendra fin à la mort mystérieuse du “guide de la révolution libyenne” en octobre 2011, lors d’une guerre qui cache des secrets inavouables. Car des indices laissent transparaître des relations troubles, notamment financières, entre les deux chefs d’État. Kadhafi aurait-il financé la campagne du candidat français à la présidence, en échange d’une garantie d’un retour sur le devant de la scène internationale de la Libye ? Et si c’était Sarkozy qui aurait préféré se débarrasser de cet ami encombrant pour cacher des vérités inavouables? Quelle serait laresponsabilité du président français dans la crise libyenne, et la mort de Kadhafi ?
En tous cas, dans cette BD, il est question de diplomatie parallèle, d’intermédiaires sulfureux et de valises de billets, ainsi que des morts suspectes et des témoins éliminés ou exfiltrés. Cet ouvrage est une vraie enquête qui ne laisse aucune place à la fiction, selon un des journalistes auteur de la BD. Selon lui, « l'idée de départ est de construire, avec cinq scénaristes journalistes et un dessinateur, un récit original sur une affaire d'État, dont l'instruction est toujours en cours » a-t-il confié à l’hebdomadaire français l’express. « Du point de vue judiciaire, on parle ici d'un fait inédit dans l'histoire de la Ve République : un président français, Nicolas Sarkozy, mis en examen car soupçonné d'avoir été stipendié par une puissance étrangère, la Libye. Une dictature dont certains ont fait mine de découvrir, en mars 2011, le caractère effroyable, après que les autorités françaises ont déroulé le tapis rouge à Kadhafi, comme aucune autre démocratie occidentale n'a osé le faire ». La raison pour laquelle la forme BD a été choisie au lieu des formes classiques de presse est que « Sur un sujet pareil, la bande dessinée permet de sensibiliser un public nouveau, et d'en faire comprendre les ressorts d'une manière plus efficace et plus pédagogique qu'une compilation d'articles ou un gros livre d'enquête ». Il s’agit en fait de toucher ceux qui ne lisent ni la presse classique ni les livres.
L’auteur ajoute : « Je crois beaucoup à la diversification des procédés de narration journalistique. Il faut être capable de sortir du cadre habituel que nous imposent nos médias respectifs, qu'il s'agit d'un article écrit ou d'un sujet radiophonique... Notre envie était de raconter une bonne histoire, une histoire vraie, d'intérêt général, avec un parti pris dessiné. Le résultat, on l'espère, se lit comme un thriller géopolitique ».
Sarkozy – Kadhafi, des billets et des bombes, laisse le lecteur incrédule devant toutes les informations révélées. L’affaire est si complexe qu’elle méritait cet approfondissement, notamment pour éviter qu’elle soit passée à la trappe et qu’elle ne soit enterrée.
« Ce que cette affaire raconte de la Ve République est terrible » ajoute le co-auteur. « On y voit l'esprit de corruption agir au service d'appétits politiques voraces, mais aussi d'intérêts privés. L'esprit de laRépublique est malmené, défiguré, sacrifié par certains, au moment de la conquête du pouvoir. Nous avons cherché à montrer la "grande salle à manger" de la vie politique - les campagnes électorales, les réceptions, la diplomatie officielle, etc -, mais aussi ses arrière-cuisines. Derrière le décor visible, il existe une zone grise où se négocient des accords et des financements occultes, par le biais d'hommes eux-mêmes mystérieux ». Les conséquences sont terribles pour l’image de la France. Car « à l'arrivée, si l'on en croit les magistrats français, il est question de financement occulte de campagne électorale, ou d'enrichissement personnel. Un exemple : l'appartement que Claude Guéant (ministre de l’intérieur) paie comptant, en mars 2008, trois mois après la visite somptuaire de Kadhafi à Paris, et cela grâce à Alexandre Djouhri (intermédiaire)... »
Du côté libyen, c’est Bachir Saleh, l'homme qui connaît tous les secrets financiers de Kadhafi qui est mis en avant. Les derniers développements judiciaires montrent que c'est lui qui avait en main les documents que les magistrats français désignent dans le dossier comme relevant de "la corruption". Or, ajoute le journaliste, « c'est bien pour cet homme-là que la France de Nicolas Sarkozy a déployé des moyens extravagants : tout d'abord, pour l'exfiltrer de la Libye en guerre vers la France, en 2011 ; puis pour l'exfiltrer clandestinement de France, le 3 mai 2012, trois jours avant le second tour de l'élection présidentielle, alors que Bachir Saleh est visé par une notice rouge d'Interpol. Et, contrairement à ce qui a été affirmé à l'époque, le gouvernement français était informé de cette notice rouge depuis le 8 février 2012 ».
On l’aura comprit, cette BD est exceptionnelle. Ses auteurs ont pu contourner les contraintes du journalisme dit d'enquête en faisant appel à la magie du dessein. « Le genre dessiné nous oblige à représenter ce que nous ne pouvons pas montrer dans nos écrits. Les intrigues nouées autour de ces fameux intermédiaires donnent justement l'occasion de mettre de l'épaisseur humaine, de la chair, autour de pratiques secrètes, clandestines, qui ne sont d'ordinaire jamais représentées. Cette histoire regorge de scènes très visuelles : rendez-vous secrets, valises remplies de billets de banque, etc... Thierry Chavant, le dessinateur, a travaillé à partir d'éléments factuels, de photographies, de rapports circonstanciés. Il n'y a pas un gramme de fiction dans cette BD : c'est une histoire journalistique sous forme dessinée ».
Dans une présentation de France 24, les auteurs affirment qu’il y a une sorte de parallèle entre cette histoire qui a conduit la France à intervenir en Libye pour renverser Kadhafi, et celle des américains qui ont renversé Saddam Hussein. De plus, ont-ils avancés, le parlement britannique savait que la version officielle présentée par Sarkozy, Alain Juppé et Bernard Henri-Levy étaient fausses. D’ailleurs, dans cette enquête, ce dernier l’aurait avoué à l’un des journalistes.
Le plus étonnant dans cette BD, c’est la révélation faite par ses auteurs à propos de la véritable raison qui a conduit Sarkozy à intervenir en Libye et renverser Kadhafi. En plus de la volonté de détruire toute éventuelle trace de corruption, c’était le fait d’empêcher le leader libyen de mettre fin au Franc CFA que la France a imposé à une quinzaine de pays africains. Ironie des circonstances, cet album est sorti au moment ou l’Italie et la Chine dénoncent la mainmise de la France sur l’économie africaine via le Franc CFA.
Nabil Z.
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