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Photo du rédacteurNabil Z.

Sernin de Toulouse et Saturninus de Carthage, ou le Destin Croisé de Deux Personnages Historiques

Sernin est en fait Saturninus en latin. Ce nom a évolué avec le temps pour donner Saturne ou Saturnin. Et aujourd’hui, c’est celui de Sernin qui s’impose au public.



Sernin fut le premier évêque connu de la ville de Toulouse. Il y a vécu vers l’an 250 Après Jésus-Christ, le pape de Rome l’y ayant envoyé évangéliser la région. Ce qu’il a exécuté avec empressement, voyageant dans toute la région et y rencontrant de nombreuses personnes, dont certaines allaient jouer un important rôle dans l’histoire du christianisme et de Toulouse. Il existait déjà des chrétiens dans la région, mais on n’en connait ni le nombre ni les noms, ni les lieux précis où ils se réunissaient.


Toujours est-il qu’à l’époque, l’Evangile n’avait pas encore suffisamment pénétré la Gaule pour en faire une religion majeure de son temps. Saint Paul avait commencé à évangéliser l’Espagne, selon le Nouveau testament. Se serait-il arrêté en Gaule en chemin, et serait-il à l’origine des premiers croyants du futur pays de France ?


Ayant rencontré des prêtres païens, Sernin a engagé une discussion sur Jésus-Christ et sur sa foi, et a rendu furieux ses interlocuteurs. Ces derniers ont résolu de lui faire abandonner cette étrange foi et lui ont demandé de sacrifier un taureau à leurs dieux. Ce que le saint homme a refusé de faire. Fous de rage, les prêtres l’ont fait attacher à un taureau qui s’est mis à courir dans tous les sens, causant la mort de celui qui allait devenir Saint Sernin.

Le martyr de Saturninus est ainsi entré dans l’histoire de Toulouse et du christianisme en général. Les martyrologues n’oublient pas ce sacrifice suprême et plusieurs récits relatent cet événement, depuis les Actes de saint Saturnin, Sulpice-Sévère, les sept évêques du Nord et Grégoire de Tours.


Après les persécutions de Lyon en l’an 177, ou une quarantaine de chrétiens simples croyants furent mis à mort à cause de leur foi, Toulouse a sacrifié son propre évêque. Les premiers croyants n’avaient pas d’édifice consacré au culte, et ne se réunissaient que de façon informelle. On ne connait aucun responsable religieux chrétien dans cette région avant Saint Sernin.


Saturninus de Carthage.

Cet acte rappelle curieusement un autre épisode de martyr de chrétiens des premiers temps, mais cette fois à Carthage, en Afrique du Nord ou un autre Saturninus a connu le même sort. Ce fut une cinquantaine d’années avant le martyr de Toulouse, en l’an 203. Carthage se trouvait dans l’actuelle Tunisie. Elle a été une grande ville qui a compté dans l’histoire de la région. Saint Augustin y avait fait ses études, comme tant d’autres à cette époque des premiers siècles.


Saturninus de Carthage faisait partie d’un groupe de croyants qui a été arrêté pour exercice illégal de la foi chrétienne, comme on pourrait le dire aujourd’hui. Avec Perpetua, Félicité, Revocatus et Secundulus, il fut condamné au martyr par la justice romaine. La sentence était sans appel, et les croyants de Carthage allaient être présentés au public et mis à mort dans les arènes ou le cirque de la ville.


Perpétua était une jeune maman de vingt-deux ans qui allaitait encore son bébé, et Félicité était enceinte de huit mois. Cette dernière a accouché en prison et a eu droit au même supplice que ses codétenus.


On lâcha alors des animaux sauvages pour les faire périr, mais les condamnés allaient résister malgré les morsures du léopard et les griffes de l’ours. Perpétua aida elle-même son bourreau qui tremblait, et elle lui fit poser l’épée sur sa gorge afin qu’il en finisse. Et c’est là encore que le parallèle est intéressant entre les deux Saturnin. Tout comme Sernin qui a été tué par un taureau, Saturninus a eu affaire à une génisse.


Alors que le saint toulousain est célébré chaque année et une basilique porte son nom, il n’y a rien ni à Carthage ni en Afrique du Nord qui rappelle le martyr de Saturninus. Entre temps, le culte en Afrique du Nord a changé, et personne n’a jugé nécessaire de rappeler qu’en son temps, les pays du Maghreb furent peuplés d’une population chrétienne importante. Tellement importante que Rome avait décidé de la persécuter, voire même l’éradiquer. Saint Tertullien, un des Pères de l’Eglise avait écrit que les chrétiens de son époque représentaient plus de la moitié de la population. Malgré la richesse spirituelle dont a jouit l’Afrique du Nord au début de notre ère, les Etats actuels (Maroc, Tunisie, Algérie et Libye) ne semblent accorder aucune importance à cette partie de leur histoire. Pourtant, le sud de la Méditerranée a offert au monde des géants dans la foi, dans la philosophie, dans la littérature et les arts. Apulée, Tertullien et Augustin n’en sont que la partie visible. Ce parallèle historique entre ce que les maghrébins ont vécu, puis les occidentaux offre une excellente opportunité et constitue un terrain propice au dialogue entre les civilisations des deux rives de la Méditerranée. Encore faut-il que les nord-africains soient conscients de leur histoire et s’approprient leur héritage spirituel. La Basilique Saint Sernin pourrait en effet accueillir avec raison une rencontre, un séminaire ou un colloque pour mettre en évidence ce qui unit les peuples des deux rives, plutôt que de ne rien faire et renvoyer dos à dos des peuples que l’histoire appelle encore aujourd’hui à se parler et à discuter, plutôt qu’à se faire une guerre des tranchées en se regarder en chiens de faïence. La découverte de l’histoire commune aux deux rives de la Méditerranée, pourrait permettre de trouver une issue à la crise actuelle empreinte d’ignorance et d’obscurité. Et c’est faute de connaissance que le peuple périt.


Réflexion philosophique

Il existe pourtant déjà une réflexion à ce sujet, puisque plusieurs écrivains l’ont abordé en ce sens. C’est ainsi que Henri Teissier, archevêque émérite d’Alger a déclaré déjà en 2003 : « Les Européens doivent apprendre qu’une partie notable de leurs racines chrétiennes latines se trouvent au sud de la Méditerranée. Et les habitants du Maghreb doivent aussi connaître le rôle qu’ont joué leurs ancêtres dans une tradition culturelle et religieuse qui leur apparaît aujourd’hui comme une réalité totalement étrangère à leur terre. Cette prise de conscience peut avoir aussi son importance pour les jeunes Églises d’Afrique qui regardent leurs sources spirituelles comme uniquement européennes, oubliant non seulement les origines orientales de la Bible et les développements de la patristique orientale, mais aussi le rôle de l’Afrique romaine ». En 2007, Claude Lepelley écrit dans son livre « histoire du christianisme » : « C'est paradoxalement en Afrique du Nord, donc dans un pays aujourd'hui totalement islamisé, qu'est né le christianisme occidental latin. [...] Les provinces de l'Afrique romaine comptaient parmi les plus riches de l'immense empire ; on y trouvait de multiples villes prospères, ou vivait une élite cultivée, formée le plus souvent de Berbères latinisés comme l'étaient de toute évidence Augustin lui-même et sa famille ». Plusieurs autres sont allés dans le même sens, comme Vincent Serralda, Gabriel Camps, Louis Chevalier, Etienne Gilson et bien d’autres. On citera encore Lucien Oulahbib qui sera encore plus direct : « Les Berbères doivent donc se tourner résolument vers la culture qui est aussi la leur, celle de l'Europe, puisqu'elle est, pour une part, issue de leur Histoire ».

Un dialogue entre le Nord et le sud de la Méditerranée est donc possible, puisqu’un terrain commun existe déjà, servi par les ancêtres et payé au prix du sang de martyrs qui ne demandaient rien d’autre que de vivre en paix. Ce qui a creusé le fossé entre les deux rives, ce sont les vicissitudes de l’histoire, pilotées par des politiques et des religieux en mal de pouvoir et de puissance. Il ne s’agit pas de remuer le couteau dans la plaie, mais rétablir la vérité historique pour la guérir. Alors peut être verrons-nous Sernin et Saturninus marcher la main dans la main ? Une chose est sûre : l’Histoire est un éternel recommencement. Si on ne le fait aujourd’hui, ce sera fait demain. Et on aura raté l’occasion de faire partie d’un projet civilisationnel et culturel important. Et on aura réussi à reporter à demain ce qu’on aurait du faire déjà depuis longtemps.


Nabil Z.

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