C’est dans la bibliothèque de la Casbah que l’association pour la sauvegarde du patrimoine de Béjaïa a organisé, avant-hier, une nouvelle conférence avec pour invité, cette fois, Slimane Hachi, anthropologue et historien, directeur du CNTPAH.
C’est en pédagogue aguerri que l’anthropologue a commencé son intervention. Slimane Hachi a été rendu célèbre par ses travaux de recherche sur l’Homme d’Afalu. Il s’agit d’une découverte faite au début des années quatre-vingt, suite à des fouilles entreprises dans les grottes de Melbou, à l’Est de Béjaïa. Dans son intervention, l’anthropologue a rappelé son parcours scientifique de jeune chercheur, désireux de refaire l’exploration des grottes d’Afalu à Melbou, où des recherches similaires avaient déjà été faites dans les années trente. Il raconte : «Quand j’ai découvert Melbou, j’étais tout jeune et il n’y avait que peu de maisons dans le village. Maintenant, Melbou est devenue une ville». C’était au début des années quatre-vingt, entre 1982 et 1983. C’était encore l’APC de Souk El-Tenine. «J’y ai rencontré un grand monsieur qui m’a ouvert toutes les portes». Alors, l’équipe de recherche s’est tout de suite installée en bas des grottes, sur l’ancien port minier de Melbou. Au début, a raconté l’orateur, «nous avions une subvention du CRAPE qui nous permettait de travailler tranquillement et de faire nos recherches.
Mais dès 1984, il y a eu des restrictions budgétaires qui ont failli mettre fin à notre projet». Il fallait, donc, que le chercheur se débrouille pour trouver les subventions nécessaires à la poursuite des fouilles. «J’ai dû convaincre le P/APW de Béjaïa de nous donner les moyens de continuer nos recherches sur le site». En effet, il y avait sur le chantier entre quarante et cinquante étudiants. Ils n’étaient pas exigeants sur les conditions de vie sur place. Il leur suffisait d’avoir des tentes pour y dormir. «Les problèmes de sécurité ne se posaient pas à l’époque», dira-t-il. Poursuivant son intervention, Slimane Hachi entre dans le vif du sujet : «Nous avons trouvé plusieurs choses lors de nos fouilles. Il y en avait déjà eu dans les années trente, entre 1930 et 1934. En cette date, il y a eu une publication scientifique intitulée «Les grottes de Béni Seghouane». Qu’ont-ils trouvé réellement ? «Ils y avaient trouvé des restes humains et des restes d’animaux ainsi que des outils préhistoriques». Il fallait donc reprendre ces fouilles en usant d’instruments plus modernes avec une méthode plus rigoureuse, dans l’espoir de découvrir des choses qui auraient pu échapper aux premiers explorateurs. Cette méthode s’est avérée payante, puisqu’elle a permis des avancées importantes. «Nous avons réussi à trouver des choses très importantes qui allaient nous permettre de mieux comprendre et de faire parler plus ces ossements», a déclaré le chercheur. «Nous avions compris par exemple que dans cette grotte se trouvait une nécropole, où on a enterré plusieurs générations entières d’individus. La nécropole est un lieu sacralisé», a rappelé Slimane Hachi. Et d’ajouter : «Le fait d’enterrer des générations en génération veut dire que la mémoire est à l’œuvre. Mémoire sociale et mémoire de groupe. C’étaient des chasseurs, pêcheurs et des cueilleurs». Poursuivant son exposé l’anthropologue est entré dans un certain nombre de détails pour permettre aux nombreux présents de comprendre l’importance de la découverte. «Nous avons découvert les restes de soixante-dix individus enterrés au même endroit. On a recherché le premier d’entre eux qui a été enterré à cet endroit et nous l’avons reconstitué avec ses outils, ses ornements… etc. Cet individu est l’individu emblématique du collectif qui a vécu là-bas. C’est un personnage extraordinaire. C’est sa dépouille qui a sacralisé l’endroit. C’est l’une des plus anciennes nécropoles au monde et c’est certainement la plus ancienne en Afrique. Il y en a d’autres en Afrique du Nord. À Tiaret, à Taza,… etc.» Il y a certainement de nombreuses autres en Afrique du Nord. Ce sont des trésors archéologiques nombreux et inestimables.
«La nécropole, suggère une autre idée qui est celle de la sédentarité», a déclaré Slimane Hachi. C’est une unité biogéographique. Les Babors en est un exemple remarquable. Il y avait toute une vie dans la région, avec la chasse, la pêche et la cueillette. La présence de la nécropole suggère aussi l’idée de l’existence d’un être ou d’une force supérieures. C’est l’idée de la Métaphysique. Grâce aux datations au Carbone 14, on sait de quelle période que cela date».
La datation est certainement un des sujets les plus délicats quand des chercheurs font des découvertes archéologiques. Cela permettrait de situer dans le temps et cela prouverait l’ancienneté de notre présence sur ce sol. Selon Slimane Hachi, cette date remontre très loin dans le temps. «Il y a 15 000 ans, les Hommes d’Afalu maitrisaient déjà le processus formel de transformation de la matière». Ce qui veut dire qu’ils étaient là déjà bien avant. Ils ont aussi réussi à lui donner une forme et une certaine plastique. Du point de vue du sens, cette fabrication de statuette va représenter le monde, à peu près tel qu’il le voyait. Il y a une prise de conscience de l’existence de ce monde. C’est la naissance de l’art. Et c’est certainement la plus ancienne trace d’art dans le monde. L’art dont on parle serait-il né chez nous ? «On a retrouvé en Afalu l’une des plus vieilles figures de statuette du monde. Il s’agit d’un quadrupède. Cette statuette a été cuite dans un four à 700-800°. Nous avons aussi la plus vieille représentation de l’Homme lui-même», expliquera-t-il. Ainsi, ce sont des découvertes majeures qui ont été faites dans les grottes d’Afalu, dans la région de Béjaïa. Et les autres découvertes sont encore plus impressionnantes. «Des restes de feu ont été découverts dans ces grottes. L’homme vivait dans des grottes pour se protéger du vent et du froid. On a remarqué que le torchis qui permettait de se protéger du vent, en tombant dans le feu, sa matière gardait sa forme. Nous avons trouvé une figurine d’une tête traitée de face, contrairement aux autres qui sont généralement traitées de profil. Aussi, ils ont aussi inventé le décor», poursuivra-t-il. Malgré quelques interruptions de la part des participants soucieux de bien comprendre les informations données par le chercheur, Slimane Hachi a continué son intervention avec douceur et subtilité. Concernant les inhumations, les squelettes trouvés étaient couverts de terre qu’il fallait dégager à coups de pinceaux. Cela prenait des jours et des semaines. On a trouvé huit crânes dans un coin de la grotte, mais pas le reste des corps. Il y a eu des inhumations consécutives qui n’ont permis que de garder les têtes, sans les corps. D’où la naissance de l’Individu. C’est un peu comme dans une carte d’identité. Seule la photo de la tête et du visage y figurent. Un des intervenants a demandé si les hommes et les femmes étaient enterrés séparément. «Les corps retrouvés étaient mélangés entre hommes, femmes et enfants, sans distinction», a répondu Hachi. En plus, «ces personnes extraordinaires étaient enterrées avec leurs biens et leurs outils», ajoutera-t-il encore.
«Au point de vue de l’Archéologie et de l’histoire, Béjaïa est très importante. Il y a d’importants gisements historiques et archéologiques dans la région. Il y a les grottes de Melbou, celles de Béjaïa, dont la grotte d’Ali Pacha». Le chercheur et directeur du CNRPAH a entendu parler de la découverte qui a été faite, ces derniers mois, et qui avaient défrayé la chronique. «On dit que c’est la grotte d’Ali Pacha qui a été retrouvée. Je vais envoyer une équipe pour l’expertiser», dira-t-il. La prudence est de rigueur. En scientifique, il lui fait des éléments probants pour déclarer ou infirmer une découverte. Il y a aussi une autre grotte du côté d’Akbou, qui est immense et qui est fouillée depuis 2010. Une thèse vient d’être soutenue à l’Université de Toulouse par le responsable de ces fouilles. Il a découvert que cette grotte date du Néolithique. Sa population était constituée de pasteurs qui maîtrisaient la fabrication de la poterie. Ils consommaient du lait et c’est à cet endroit que nous avons trouvé la plus ancienne trace de conservation de miel au monde. La région s’appelle Igueldamène.
Les annonces ont été nombreuses durant cette conférence qui gagnerait à être reprogrammée dans un endroit plus grand, avec une publicité plus importante pour toucher un plus grand public. Démontrant que la population de l’Afrique du Nord a toujours constitué une unité le Professeur Hachi a rappelé qu’ «il y a peut-être un lien entre l’Homme d’Afalu et les Guanches qui vivent dans les Iles Canaries».
La conférence aurait pu être encore plus longue, mais quatre-vingt-dix minutes suffisent dans un premier temps. D’ailleurs, l’Association que dirige Zahir Bennacer a promis d’organiser, de manière plus régulière, des conférences sur divers sujets en relation avec notre histoire et notre patrimoine. Rendez-vous, donc, pour la prochaine rencontre.
N. Si Yani
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