Alors que la polémique enfle entre les chrétiens d’Algérie et le gouvernement à propos de la liberté de culte et le droit à la différence, Kamel Drici nous rappelle une histoire authentique d’un dialogue qui s’est déroulé lors des Croisades, entre Saint François d’Assise et le roi Al Kamil d’Égypte.
Kamel Drici n’en est pas à son premier essai. Il plaide sans cesse pour un dialogue permanent entre les religions, et dans ce cas précis, entre chrétiens et musulmans. Mais il n’est pas naïf. Il connait les limites de la démarche entreprises depuis quelques décennies. Le dialogue organisé jusque-là est essentiellement institutionnel. D’ailleurs, il est resté l’apanage d’une certaine élite qui développe un discours qui peine à toucher la plèbe. Ce n’est pas le principe en lui-même qui est critiqué par Kamel Drici. Mais il constate que la démarche n’a jusqu’à présent pas été fructueuse. Il milite plutôt pour un dialogue entre les croyants et non pas entre religions.
« Le Dialogue des Croyants » qui vient de sortir cette semaine aux Éditions La Pensée raconte comment deux grands personnages de l’histoire, Saint François d’Assise et Al Kamil, l’un, prêtre et responsable d’une importante communauté chrétienne, et l’autre roi d’Égypte, engagent un dialogue dans des circonstances particulières, les croisades.
Il faut rapidement rappeler que Jérusalem est la toile de fonds de cette histoire. Cette ville a vécu une histoire particulière, notamment depuis l’an 70 de notre ère, quand les soldats romains l’ont totalement détruite et rasée. Ils l’ont rebâtie en lui changeant de nom, devenant Alea Capitolina. Les Byzantins en ont hérité et l’ont rebaptisée à nouveau du nom de Jérusalem. L’arrivée des armées arabes allait changer la donne pour longtemps, et de nombreuses guerres ont eu lieu pour obtenir le contrôle de la ville dite « des prophètes ». Les guerres qui ont eu lieu pendant la période couverte par le livre de Kamel Drici se sont déroulées lors de la cinquième croisade qui a eu lieu au douzième siècle. A cette époque, Jérusalem était sous contrôle égyptien, sous l’autorité du roi Al Kamil.
François d’Assise était un religieux pieux, vivant dans la simplicité et la pauvreté, toujours en quête d’une âme à sauver et d'un pauvre à aider, a fondé ce qu’on appelle aujourd’hui le dialogue interreligieux. En 1219, alors qu’il était en voyage en Égypte, il rencontre le roi Al Kamil. Et une longue conversation va s’installer entre les deux personnages. Kamel Drici raconte : « La peur semble ralentir les réelles volontés d’aller vers l’autre, ou de l’accueillir, en le mettant en confiance, ou mieux encore, de l’aimer. C’est pour cela que je me suis penché sur cette rencontre historique, celle de Saint François d’Assise avec Al Kamil à Damiette. Elle eut lieu sur les bords du Nil, lors de lacinquième croisade. Le courage d’aller à la rencontre de son pire ennemi, chez lui, aux temps les plus cruels de l’histoire de l’humanité, fut ma source d’inspiration pour écrire le présent ouvrage, lors de mon voyage en 2003 parmi les pèlerins à Assise ».
Mais la rencontre entre les deux personnages, si elle n’a pas abouti à la conversion d’une des deux parties, et malgré son échec, a fait naître une certaine amitié entre les deux hommes. Ce n’est plus un dialogue entre deux personnages, mais entre deux personnes. Un dialogue qui pourrait avoir un pendant chez tout un chacun, désireux de rencontrer l’autre, de l’écouter et de le découvrir dans sa conviction la plus profonde et de le respecter, tout comme on attend de l’autre la même attitude Evers nous. En cela, Kamel Drici a réussi à faire descendre ce dialogue des hautes sphères politiques, vers celle de la société dans sa vie quotidienne, avec toutes ses composantes, aussi différentes qu’elles soient.
Le livre de Kamel Drici est très riche en détails. Il situe le lecteur dans le contexte historique ou cette rencontre a eu lieu, racontant au passage l’histoire des croisades et les histoires personnelles des deux personnages que sont François d’Assise et Al Kamil. A la lecture de ce livre, d’aucuns se sentiront enrichis à la fois par les informations historiques, mais aussi par l’approche de Kamel Drici qui encourage les gens à dialoguer, à discuter, partager, sans arrière-pensée, ni désire de convaincre. Juste échanger pour mieux se connaître et se comprendre.
« Le Dialogue des Croyants » est d’un apport certain au lecteur algérien, puisqu’il figure parmi les rares ouvrages qui osent parler du dialogue des croyants dans ce pays. Et justement, il se trouve qu’actuellement il y a un manque de dialogue entre communautés, ethniques ou religieuses, ce qui nous emmène vers une série d’incompréhensions mutuelles, entretenue par les spécialistes en immersion en eaux troubles.
L’auteur a enrichi son étude avec une bibliographie riche et variée. Une bibliographie d’où il a extrait des citations très intéressantes comme :
« Il n'appartient à aucune religion de faire violence à une autre ; un culte doit être embrassé par conviction et non par violence. » Tertullien.
« Mon cri ne me délivre pas. Ce n’est pas pour me délivrer que je hurle mais pour délivrer ceux qui sont condamnés à tuer et à mourir dans les ténèbres. J’accomplis cette tâche de révélateur dans la souffrance ». Journal (1928-1962) de Jean Amrouche.
Il y a aussi cette belle prière que nous a rapporté l’auteur, devenue célèbre dans le monde, et attribuée à Saint François d’Assise :
« Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où est la haine, que je mette l’amour. Là où est l’offense, que je mette le pardon. Là où est la discorde, que je mette l’union. Là où est l’erreur, que je mette la vérité. Là où est le doute, que je mette la foi. Là où est le désespoir, que je mette l’espérance. Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière. Là où est la tristesse, que je mette la joie ».
« O Seigneur, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer. Car c’est en se donnant qu’on reçoit, c’est en s’oubliant qu’on se retrouve, c’est en pardonnant qu’on est pardonné, c’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie. »
Nabil Z.
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