L’écrivain-essayiste franco-libanais Amin Maalouf auteur des « Croisades vues par les arabes » et de « Léon l’Africain », vient de sortir un nouvel essai sur la situation dans le monde sur laquelle il jette un regard très pessimiste.
Dans ce nouvel essai, Amin Maalouf aborde plusieurs sujets sur l’état actuel de la civilisation, et il fait des constats sévères : décomposition de l’Europe, crise morale des sociétés, évolution des mœurs … Etant né au Liban, il a vécu les péripéties du monde arabe depuis les années soixante. Il dit :« C’est à partir de ma terre natale que les ténèbres ont commencé à se répandre sur le monde ». Constat pas si surprenant que ça, puisque les régimes arabes développaient un discours aux antipodes de la réalité. Leur défaite face à Israël en 1967 a dévoilé leur mensonge et les a exposés à l’opinion publique de leurs peuples, puis au monde.
Côté occidental, il situe la rupture à la date d’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir au Royaume Uni. Elle a imposé une nouvelle manière de faire de la politique. Et la Dame de fer a détourné l’occident de sa marche dans le sens du progrès social vers des objectifs économiques difficiles à cerner. L’écrivain analyse ainsi les événements marquants de l’histoire à partir du Proche Orient dont il est originaire, qui ont fait basculer ce territoire en un « laboratoire des errances à venir » et qui ont impacté le reste du monde. L’actualité ne l’a pas démenti.
Amin Maalouf porte deux casquettes dans son analyse. Celle du romancier et celle de l'historien. On y retrouve ainsi des parallèles entre des situations qu’on croyait totalement isolées les unes des autres, mais que le regard de Maalouf a su rapprocher. C’est ce qui fait la force de son analyse dans cet essai puissant concernant l'ensemble du monde arabe mais aussi de l'Occident, entre une Amérique désorientée et une Europe affaiblie. Il se pose la question sur la possibilité d'une coexistence religieuse entre islam et christianisme. Pour lui, « les sociétés arabes n'ont pas su se moderniser en profondeur. Le tournant serait 1967 et la défaite du camp arabe face à Israël. "1967 est la date à partir de laquelle le monde arabe a un peu perdu sa route. En 50 ans, il n'a jamais réellement pu surmonter cette défaite", déclare-il dans une interview accordée à la chaine de télévision française France 3. Il ajoute : "Sur ces 60 dernières années, ce qui m'a frappé, c'est que le monde entier se portait mal, différemment d'une société à l'autre. Mais un peu partout, on se sent déboussolé". "En Europe, il y a une forme de morcellement et de tribalisation. L'UE offrait la promesse la plus étonnante pour le monde d'aujourd'hui et ce projet merveilleux s'effrite. Peut-être que le Brexit va créer une sorte de choc. Nous vivons dans un monde en désintégration alors que nous avons tout pour réussir". Il continue en dénonçant les disparités économiques qui sont inquiétantes et le capitalisme qui ne tient pas ses promesses. "Le communisme a disparu et le capitalisme n'arrive pas à résoudre les problèmes. Les gens sont désespérés. Il n'y a aucun autre système et ce système ne fonctionne pas". Cependant, il laisse une petite fenêtre à l’espoir. "Mais si les mentalités changent...".
Le constat de l’auteur est donc implacable, revêtu d’un manteau sombre. Il nous annonce une sorte de déclin mondial, dû à une mentalité qui n’arrive ni à évoluer, ni à s’adapter aux changements et bouleversements qui se déroulent un peu partout dans le monde.
La concentration de l’analyse d’Amin Maalouf sur « le monde arabe » soulève un problème d’approche. L’auteur ne définit pas ce qu’il appelle « le monde arabe ». Il ne dessine pas ses contours, et ne dit pas en quoi le monde dit « arabe » est arabe. Certes, l’essentiel de ce qu’il avance concerne les pays du proche et du moyen orients. Mais il garde la définition de la Ligue arabe pour désigner ce monde qui n’existe plus que dans les discours creux des politiciens. Les peuples dits arabes en réalité, ne rêvent plus que d’une chose, se débarrasser de ce monde qui ne leur a apporté que malheur. A défaut, ils rêvent de le quitter pour une vie meilleure, même si elle s’annonce plus dure, mais ailleurs.
En Algérie, Amin Maalouf est très populaire. Et ses livres se vendent comme des petits pains. Mais il faut bien distinguer deux Amin Maalouf. Le romancier talentueux et sans égal, qui fait rêver et voyager ses lecteurs, et le piètre essayiste qui n’arrive pas à trouver ses marques. Car il n’en est pas à son premier essai. « Les identités meurtrières » ont été parmi ses grands ratages, et il est à craindre que, essayant de faire écho au « Choc des civilisations » de Samuel Huntington, « Le Naufrage des civilisations » d’Amin Maalouf soit celui de son dernier livre.
Par ailleurs, la date de sortie de ce livre ne lui permet pas d’aborder les bouleversements actuels que vit l’Algérie et qui ne va pas manquer d’impacter sur d’autres pays, au risque de démentir un certain nombre d’analyses avancées par Amin Maalouf. A coup sûr, il y a un besoin de jeter un regard critique sur le mouvement inédit du peuple algérien, et d’en extraire la substance pour en comprendre les tenants et aboutissants. C’est le rôle, non pas seulement des politiciens, mais aussi des écrivains et des philosophes. Tout comme après les événements d’Octobre 88 ou il y a eu une pléthore de livres qui ont tenté d’en donner des lectures, il est bien évidemment besoin de regards acérés d’observateurs et d’analystes pour essayer de décortiquer l’Algérie d’aujourd’hui et de lui donner une projection vers un avenir. Un avenir, en tous cas, moins sombre que celui décrit par Amin Maalouf.a
Nabil Z.
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