Depuis l’indépendance, le pouvoir algérien a souvent fait appel à des anciens pour l’aider à traverser les périodes de crises. Le plus célèbre des rappelés est sans conteste Boudiaf. Mais il n’a pas été le seul.
Actuellement, l’Algérie traverse une zone de turbulence importante. La maison Algérie est secouée de partout, et le pouvoir tente tant bien que mal, de garder les commandes. Mais tôt ou tard, il finira par lâcher, comme il l’a toujours fait. Sauf que lâcher ne veut pas dira abandonner. Bien au contraire. Ce recul qui donne à l’adversaire l’impression d’avoir gagné, n’est qu’un recul stratégique. C’est un peu comme reculer pour mieux sauter.
Sous la manche des gouvernants se cachent toujours des cartes que l’adversaire ignore, et par lesquelles il se fait battre. L’une d’entre elles s’appelle « le rappel des anciens ». Cette pratique semble être une constante dans les mœurs politiques en Algérie. Et c’est même un élément intéressant à analyser.
L’une des premières fois ou le pouvoir algérien a fait appel à des anciens fut lors du départ houleux du président Chadli Bendjedid en Janvier 1992. Lui-même n’avait pas usé de cette stratégie en Octobre 1988. Il avait eu l’intelligence de faire appel à un personnage aussi consensuel qu’énigmatique en la personne de Kasdi Merbah. Mais celui-ci n’a été gardé que quelques mois à la tête du gouvernement, car dans l’anti-chambre se préparait un grand inconnu du public, un certain Mouloud Hamrouche. Cependant, malgré d’importantes réformes réalisées par son gouvernement, il n’a pas su gérer la crise islamiste de 1991, et on a fait appel au populaire et charismatique Sid-Ahmed Ghozali pour user de son talent et ramener le calme, notamment en organisant une grande conférence nationale pour mettre à plat les sujets restés suspendus dans la gestion politique du pays. Ce scénario est en cours actuellement, puisque le président Bouteflika a fait appel encore une fois, à deux anciens diplomates, tous deux anciens ministres des Affaires étrangères, au talent de négociateurs avérés. Lakhdar Brahimi –sous réserve de confirmation- et Ramtane Lamamra sont chargés de gérer cette période de transition en organisant, tout comme « au bon vieux temps », une grande conférence nationale ou seront débattus les grandes questions de l’heure. Ces grands rappelés, réussiront-ils dans leur mission ? Ou bien, se contenteront-ils seulement de calmer les choses en attendant que le pouvoir reprenne la main ?
En 1992 donc, Mohamed Boudiaf, père fondateur du FLN et du PRS, dirigeant influent de la guerre d’indépendance, célèbre exilé au Maroc a été rappelé. « Au secours, le bateau Algérie est en train de couler ! » Le grand héros ne pouvait se soustraire à l’appel de « la Nation ». Après à peine six mois à la tête de l’Etat, il fut assassiné en public à Annaba, le 29 Juin 1992.
Sur la lancée, et devant cette immense crise, On nomme un rappelé de la Révolution –Ali Kafi-, secondé par un autre rappelé, encore plus célèbre que lui, Belaid Abdesslam auréolé du titre du Père de l’Industrie algérienne. Il fut chargé de relever le pays et de relancer l’économie. Devant son terrible échec, il fut débarqué, remplacé par un autre rappelé, Rada Malek, chargé d’organiser une grande conférence nationale de sortie de crise. Entre temps, les Décideurs font appel à u autre rappelé, Général à la retraite, coulant des jours paisibles dans sa demeure des Aurès. Liamine Zéroual a donc été rappelé, et il a pris les commandes du pays dans un moment de crise intense. Tout comme Chadli, il fait appel à « du sang neuf », en les personnes de Mokdad Sifi et d’un jeune cadre totalement inconnu du public : Ahmed Ouyahia. Celui-ci sera un éternel rappelé, puisqu’il occupera le poste de premier ministre à quatre reprises, ayant été rappelé à la rescousse à chaque crise que le système a traversée.
Un grand rappelé va monter sur scène cette fois. Et pas n’importe lequel. Le pouvoir, après la démission du président Zéroual, va faire appel à une figure mythique, en l’ancien confident et bras droit du non moins mythique Boumédienne. Abdelaziz Bouteflika, après une longue période de traversée du désert, poussé en cela par une discréditation tout azimut, va remonter du fin fonds de son trou pour prendre les rennes du pays tout juste sorti de dix années de guerre civile, ayant ensanglantée le pays.
Durant la période Bouteflika, un certain nombre de rappelés vont refaire surface, parmi lesquels l’éternel Ouyahia. Et ce n’est pas faute d’en avoir essayé d’autres, puisque de nombreux inconnus vont être sollicités pour gérer les situations de crise, sans y parvenir. On peut citer Said Hamdani, Ahmed Benbitour, Abdelmadjid Tebboune, Sellal, et un certain Abdelaziz Belkhadem, pas si inconnu que cela. Pourtant, Bouteflika va tout faire pour empêcher le retour d’un certain nombre d’anciens, parmi lesquels on peut citer Sid-Ahmed Ghozali et Ahmed Taleb El Ibrahimi.
Aujourd’hui donc, alors que le pays vit une crise sans précédent, Bouteflika a recours au même réflexe : le rappel des anciens. A leur tête, deux anciens diplomates comme lui, Lakhdar Brahimi et Ramtane Lamamra. Ceux-ci sont chargés de mener, chacun en ce qui le concerne, des contacts aux niveaux national et international, pour organiser une grande conférence nationale sensée mettre à plat tous les sujets sensibles de la gestion du pays : système politique, économie, identité et culture, agriculture, industrie, éducation, système de santé, statut de la femme, celui de la jeunesse, la liberté d’expression, etc…
Les informations distillés ça et là, laissent entendre que tous les anciens seront consultés. Et des noms sont avancés. Ce qui étonne dans cette liste de rappelés virtuels, est la présence de noms voués aux gémonies, des personnes traitées comme des pestiférées, des personnages politiques traitées comme moins que rien, des symboles assimilés à des ordures, etc… cela rappelle un peu le dicton populaire qui dit que « Dans leur vie, ils ont manqué de datte, et à leur mort on les a couronnés de grappes ». Ces personnes ont été humiliées et trainés dans la boue. Et il serait juste des les réhabiliter. Mais il faudra faire attention à deux choses importantes : Que ces personnes ne cherchent pas à se venger en faisant encore plus de mal à l’Algérie. Et d’un autre côté, éviter que de véritables criminels ne soient invités à la table.
Il y a une longue liste de personnages mis en « réserve du système ». On peut en citer quelques uns : Ghozali, Sifi, Belkhadem, Benflis, Toufik, Benbitour,… On peut toutefois remarquer l’absence notable de femmes dans cette liste.
Dans tout cela, il est à se demander si les actuels décideurs ne fassent appel à un autre rappelé, peut être oublié de tous, et qui sera présenté comme le sauveur de l’Algérie. Il sera à son tour utilisé pour sortir le système de l’impasse dans laquelle il se trouve et une fois la mission accomplie, se trouvera jetée comme un vulgaire mouchoir. Il y en a plein qui sont tapis dans l’ombre, attendant le moment de prendre leur revanche, quitte à plonger encore une fois le pays dans une aventure aussi dangereuse que sans issue.
La solution est donc dans le départ de ces anciens, en accordant l’honneur à qui le mérite et le respect à qui il est dû. Un souffle nouveau est nécessaire. Sans totalement couper avec les anciens qui ont encore quelque chose à apporter, ne serait-ce qu’en matière d’expérience, il est temps de passe le flambeau à une nouvelle génération avant qu’il ne s’éteigne. Car les experts en futurologie avaient prévu de longue date une crise majeure en Algérie au début des années 2020. Elle est arrivée une année avant. Ce serait bien de voir comment ils prévoient cette sortie de crise, si jamais ils en ont entrevu.
Nabil Ziani
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