La vague d’attentats qu’a connu l’Europe pose le problème de la motivation de leurs auteurs. Depuis plusieurs années maintenant, l’occident n’arrive pas à expliquer les motivations des poseurs de bombes, des conducteurs de véhicules béliers, de kamikazes ou autres utilisateurs d’armes blanches.
Le fait est là. Dans la majorité de ces attentats, ce sont des maghrébins qui en sont les auteurs : algériens, marocains et tunisiens. Les autres origines sont moins nombreuses. Il ne s’agit pas de jeter le discrédit sur les maghrébins, mais il faut tout de même se rende à l’évidence, ces terroristes viennent du sud de la Méditerranée.
Ces fauteurs de terreur se réclament toujours de l’Islam. D’aucuns les appellent islamistes. Mais peu osent remettre en question directement la religion à laquelle appartiennent ces jeunes, par peur de se faire taxer d’islamophobes. D’ailleurs, même le groupe qui se fait appeler « Etat Islamique », certains milieux lui dénient l’appartenance à l’Islam. On entend donc souvent des expressions comme : « l’Islam est une religion de paix », ou « ce n’est pas ça l’islam », etc.. ; Et les politiques excellent pour appeler à ne pas faire d’amalgame entre Islam est Terrorisme.
Le fait que ces gens viennent du Maghreb n’est peut-être pas un accident. Il serait temps de jeter un œil sur l’histoire de cette région du monde pour essayer de comprendre les motivations de jeunes pleins de vie et d’avenir qui décident de mourir pour un idéal qui leur a été défini ailleurs que dans leur propre culture. Et cela n’a rien à voir avec l’histoire coloniale ou la pauvreté économique de ces pays. Il y a trois éléments qui conviennent d’être considérés avec attention. Pour comprendre les motivations profondes des terroristes du Maghreb, il faudra prendre en considération leur véritable identité et leur appartenance civilisationnelle.
D’abord, les Maghrébins ne sont pas, contrairement à ce qu’on dit, des arabes, mais des berbères.
Les habitants de l’Afrique du Nord ont subi dès le septième siècle une invasion arabe unique en son genre. Dans une guerre ayant connu huit vagues successives d’agressions en soixante-huit ans, les pays du Maghreb ont été envahis par des armées venues d’Orient, d’abord dans un but de razzias, puis prônant une nouvelle religion en contradiction totale avec les valeurs locales. Le rejet de cette nouvelle idéologie a tout de suite été affirmé par les peuples nord-africains, et la célèbre reine judéo-berbère Kahina a pris la tête de ses armées pour résister à l’envahisseur. Il a fallu quelques mois aux arabes pour envahir le proche orient, sept ans pour conquérir l’Egypte, et près de soixante-dix ans pour dominer le Maghreb.
Le mot « Dominer », est une clé de lecture intéressante. Parce que les arabes ne se sont pas contentés de proposer leur religion, mais ils l’ont imposée à coup d’épée pour exercer leur domination sur les peuples conquis. Ils ont combattu les chrétiens, les juifs et les païens, causant toutes sortes de massacres pour instaurer de nouvelles pratiques religieuses antinomiques avec la culture amazighe, berbère. Et l’une des particularités de cette religion, c’est la langue qui la véhicule.
L’arabe est la religion de l’Islam, et la pratique de cette religion est subordonnée à la connaissance de cette langue. Petit à petit, le berbère a été combattu et l’arabe imposé comme la langue du culte, de la liturgie, du droit et de l’administration. Les arabes n’ayant pas eu à cœur d’ouvrir des écoles publiques pour instruire la population, lui permettre de maîtriser la lecture et l'écriture, le calcul et les sciences, la littérature et la philosophie, seules quelques rares élites sont arrivées à maîtriser la nouvelle langue, par l’entremise de la pratique religieuse et de l’apprentissage du Coran.
Depuis l’arrivée des arabes en Afrique du Nord, la connaissance, la philosophie et l’intelligence ont disparu du Maghreb. Plus de Saints comme Augustin, Cyprien et Tertullien. Plus d’écrivains comme Apulée de Madaure, Juba II ou Martianus Capella. Plus de poètes, de musiciens ni de comédiens comme Térence l'Africain. Et on ne connait que de très rares œuvres littéraires produites depuis l’arrivée des arabes au septième siècle, jusqu’à celle de la France en 1830. En plus de mille ans, seuls quelques rares livres ont été produits au Maghreb. Des écrivains comme Ibn Batuta et Ibn Khaldoun se comptent sur les doigts d’une seule main. Les manuscrits existants traitent essentiellement des pratiques religieuses et de jurisprudence. Très peu d’Astronomie, de chimie ou de médecine. Ne parlons pas de philosophie ou de littérature qui permettraient aux gens de réfléchir...
Cette situation a créé une quasi perte d’identité chez les berbères. Certains se sont réfugiés dans les montagnes ou dans le désert pour protéger leur culture et leur identité, alors que les citadins ont subi de plein fouet la déculturation causée par la présence de la domination arabe. Voici ce qu’écrivait l’historien médiéval Ibn Khaldoun sur les arabes dont il est pourtant issu, il y a de cela environs sept siècles dans son livre La Moqadema, ou les Prolégomènes : « Tout pays conquis par les Arabes est bientôt ruiné. ... Sous leur domination la ruine envahit tout. ... ; l'ordre établi les dérange et sa civilisation recule. Ajoutons que les Arabes négligent tous les soins de gouvernement ; ils ne cherchent pas à empêcher les crimes ; ils ne veillent pas à la sûreté publique ; leur unique souci c'est de tirer de leurs sujets de l'argent, soit par la violence, soit par des avanies. Pourvu qu'ils parviennent à ce but, nul autre souci ne les occupe. Régulariser l'administration de l'Etat, pourvoir au bien-être du peuple..., et contenir les malfaiteurs sont des occupations auxquelles ils ne pensent même pas ... ; aussi les sujets ... restent à peu près sans gouvernement, et un tel état de choses détruit également la population d'un pays et sa prospérité. »
Cette situation a peu à peu fait disparaître les berbères du concert des nations méditerranéennes. Leur image s’est fondue dans celle des arabes, et l’occident les a peu à peu appelés « arabes ».
Même les meilleures choses qui pouvaient encore sortir de ces contrées sont attribuées aux arabes, comme les fameux « chiffres arabes », inventés par les berbères de Bougie et que les arabes n’ont connu que des siècles plus tard, après que l’occident les aient adoptés, suite à leur importation par le mathématicien italien Leonardo Fibonnacci qui les y a découverts.
Cette situation a également créé une autre singularité. Beaucoup de berbères ont fini par croire qu’ils sont eux-mêmes arabes. C’est ce que Napoléon III leur a en tous cas suggérés dès 1860, lorsqu’il rêvait d’établir un Grand Royaume Arabe allant de Baghdad à Tanger. Pour ce faire, il avait besoin d’uniformiser la langue de ces « arabes », en envoyant en Afrique du Nord des enseignants français formés à l’Ecole des Langues Orientales pour y enseigner la langue du Coran. On connaît les conséquences de cette politique, puisque les « Bureaux arabes » ont été créés un peu partout et l’état civil établi, arabisant patronymes et toponymes. Dans le discours officiel de la France coloniale, et aujourd’hui encore, on désigne les maghrébins comme étant des arabes.
La perte d’identité des populations maghrébines quasiment toutes berbères a désorienté les gens, spécialement les jeunes. Dès les indépendances de ces pays, l’école a été empreinte d’arabisme, et l’identité arabe a été enseignée au détriment de la véritable et de l’historique. L’arrivée des islamistes égyptiens dans les années soixante comme enseignants, suivie dans les années quatre-vingt par le travail de leur progéniture locale, ont fini par greffer la religion dans les esprits, en s’écartant des repères culturels encore subsistants et de la réalité socio-culturelle de ces pays.
En réaction, la population a commencé à revendiquer un retour vers sa véritable civilisation et la reconnaissance de sa culture et de son identité. En 1980 en Algérie, puis un peu plus tard au Maroc, actuellement en Libye et timidement encore en Tunisie, les berbères sont montés au créneau et ont réussi à arracher, au prix de grandes luttes et de nombreux sacrifices, la reconnaissance officielle de leur identité et de leur langue. Petit à petit, les maghrébins se reconnaissent enfin comme ce qu’ils sont vraiment, des berbères amazighs.
Une information publiée ces derniers temps mérite qu’on lui accorde de l’attention. En quelques années, plus de quatre cents milles algériens ont obtenu la nationalité française. Combien y a-t-il eu de marocains et de tunisiens dans ce même cas ? C’est un chiffre énorme qui mériterait d’être analysé avec lucidité. Est-ce par amour pour la France que ces berbères injustement appelés « arabes » ont demandé à devenir citoyens français, espagnols, italiens ou autres ? Il y a certainement de cela. L’attrait de la France ou de l’occident en général n’y est pas pour rien, en considérant son niveau de vie, sa culture, sa liberté et sa civilisation de manière générale. Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi le fait du rejet de la culture de leurs pays d’origine, dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. Les pouvoirs en place dans les pays d’Afrique du Nord sont vomis par les populations. L’idéologie qui anime les politiques sont antinomiques avec la culture même de ces pays, et leur attachement à l’arabité porte énormément préjudice au bien-être et au développement de ces régions. Les politiques occidentales en faveur de ces gouvernements accentuent ce décalage et encourage le mal-être et le sentiment de non appartenance de ces peuples aux régimes qui les gouvernent.
Mais il y a un troisième élément qui semble être plus subtile et plus pertinent. La civilisation
occidentale a été largement le produit de penseurs nord-africains depuis l’antiquité. Ce sont les berbères de type Saint Augustin que Lucien Jerphanion appelait « Le Père de l’Occident » qui ont donné à l’Europe ses maîtres à penser. La littérature occidentale se revendique aujourd’hui d’Apulée de Madaure. Et la Saint Valentin a été instaurée par un Pape berbère, Gélase 1 er . La culture occidentale d’aujourd’hui est d’essence nord-africaine, et sans le dire, les maghrébins s’y reconnaissent et s’y retrouvent, parce qu’elle est dans leurs gênes. Les valeurs prônées par l’Occident sont celles-là même que transmettaient leurs ancêtres. On a beau avoir greffé la culture arabe sur le tronc berbère, la sève qui coule dans l’arbre est toujours amazighe. Ceci dit, et on le voit clairement aujourd’hui, le fruit de cette greffe est particulièrement amer.
Henri Tessier, Archevêque Emérite d’Alger déclare : « Les Européens doivent apprendre qu’une partie notable de leurs racines chrétiennes latines se trouvent au sud de la Méditerranée. Et les habitants du Maghreb doivent aussi connaître le rôle qu’ont joué leurs ancêtres dans une tradition culturelle et religieuse qui leur apparaît aujourd’hui comme une réalité totalement étrangère à leur terre ». Des historiens comme Claude Lepelley lui emboitent le pas en déclarant : « C'est paradoxalement en Afrique du Nord, donc dans un pays aujourd'hui totalement islamisé, qu'est né le christianisme occidental latin. ... En Afrique du Nord, dès la seconde moitié du IIe siècle, prit son essor dans tous les milieux sociaux la communauté chrétienne occidentale la plus abondante et la plus dynamique, d'emblée de langue latine. C'est là aussi qu'au Ve siècle le christianisme occidental trouva sa personnalité propre, intellectuelle et spirituelle, grâce à la marque indélébile que devaient lui imprimer la pensée et l'œuvre de saint Augustin ». Louis Chevalier quant à lui affirme : « Les fondateurs de la première littérature chrétienne ont été Tertullien et ce pur berbère Saint-Augustin. Les premières traductions de la Bible en latin ont été faites en Afrique. Les émigrants berbères d'alors qui ont leur quartier à Rome, contribuent à répandre le christianisme ». Quant à Gabriel Camps, il n’hésite pas un instant à déclarer que « Il n'est pas indifférent que le plus grand penseur de l'Occident latin, l'auteur de la Cité de Dieu et des Confessions, fût un Berbère chrétien ».
Lucien Oulahbib, sociologue et politologue français qui a travaillé sur le sujet appelle les maghrébins à revendiquer la culture occidentale comme étant en partie la leur également : « Les Berbères doivent donc se tourner résolument vers la culture qui est aussi la leur, celle de l'Europe, puisqu'elle est, pour une part, issue de leur Histoire ».
Il y a donc une relation historique positive entre les deux rives de la Méditerranée, en ce que les berbères ont grandement contribué au développement de l’Occident. Oui, mais cela, c’était avant, dirions-nous. L’arrivée des arabes en Afrique du Nord a transformé les deux rives de la Méditerranée en antagonistes, de partenaires qu’elles étaient. Les choses, en tout cas, en ce qui concerne les populations sont en train de se rétablir. Si l’occident prend conscience de cette réalité, il pourrait contribuer à améliorer les choses dans les relations entre les deux rives. Un effort devra bien sûr être fait pour aider les berbères à se réapproprier leur identité et leur culture dans leurs dimensions spirituelles et civilisationnelles en tirant le meilleur de l’histoire commune pour éviter un recommencement probable si rien n’est fait pour l’en empêcher. C’est un travail de longue haleine. Le plus tôt on s’y met, le plus vite il y aura des résultats. Cesser de considérer les maghrébins comme des arabes les aiderait à se repositionner en réintégrant leur véritable identité, en comprenant que durant des siècles ils ont été utilisés comme de la chair à canon pour combattre l’occident mécréant qu’ils ont pourtant eux-mêmes contribué à développer.
L'action terroriste n'est que la manipulation des esprits vidés de leur culture originelle et remplie de haine et de rancune, alimenté par une idéologie que tout désigne comme un esprit mortifère.
Reconnaître un Maghreb berbère ne serait qu’un juste retour aux origines, une réappropriation de l’ordre naturel des choses, interrompu par les appétits voraces des politiques qui n’ont jamais compris les tenants et aboutissant à long terme de leurs magouilles.
Nabil Ziani
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