Avec les régions de Carthage, Cirta, Césarée et Tingis, Cyrène est la région qui a fourni le plus d’érudits, d’intellectuels et d’écrivains en Afrique du Nord. L’un d’eux était un certain Théodore, évêque, scribe et copiste, mort en martyre pour sa foi.
Théodore a vécu au troisième siècle de notre ère dans la région de Cyrène, à l’est de l’actuelle Libye. Précisément au temps de l’empereur romain Dioclétien, connu pour sa féroce persécution religieuse. Il n’hésitait pas à mettre en prison ou à tuer toute personne ne confessant pas le culte de l’empereur. Cela incluait toutes les religions non romaines, à l’instar du judaïsme et du christianisme. Dioclétien a vécu avant Constantin qui avait lui, émis un édit de tolérance en faveur de la liberté du culte, en l’an 310.
Théodore – qui signifie « don de Dieu »- était un moine et prêtre dans la ville de Cyrène, avant d’être ordonné comme Evêque de Libye par le Patriarche Theonas d’Alexandrie. Il était scribe et copiste de métier, maîtrisant à la perfection l’art de la calligraphie. On venait de partout lui confier la réalisation de copies de livres rares. Car l’imprimerie n’existait pas encore, et la possession d’un livre était chose rare et coûtait cher. Laculture de l’époque était hellénistique. c’est à dire grecque. La langue principale de transmission était essentiellement le grec. Mais Théodore maîtrisait aussi les écritures latine et copte. C’est pourquoi il était aussi célèbre dans toute la région de la Pentapole, autour de l’actuelle ville de Benghazi. Mais en réalité, la demande de copies de qualité venait de beaucoup plus loin : Alexandrie, Athènes, Rome, et même de beaucoup plus loin comme nous le verrons plus bas…
Quand la persécution de Dioclétien a commencé, Théodore a du rendre son activité ecclésiastique clandestine. Les réunions qu’il organisait étaient secrètes et beaucoup de croyants avaient été arrêtés, leurs objets de culte et leurs livres détruits. Ce qui a poussé le copiste à entamer un travail de résistance en réalisant de nombreuses copies des évangiles, des psautiers et des chants liturgiques. Il se savait en danger, mais continuait son travail avec ferveur.
Jusqu’au jour ou il fut trahi par son propre fils, Léon. On ignore les raisons qui l’ont poussé à dénoncer son père, mais il est allé voir le gouverneur local, Dignanius, pour l’informer de l’activité clandestine de son père. Etait-ce contre une promesse pécuniaire ? Nul ne le sait. C’est ainsi que Théodore fut arrêté et torturé. On lui demandait de dire ou il cachait ses livres et de dénoncer ses complices. On exigeait de lui également de renier sa foi et de sacrifier pour l’empereur. On lui présenta alors des sacrifices à offrir aux dieux de Rome, mais il renversa l’autel qui avait été dressé pour cette occasion.
Pour le faire fléchir dans ses positions, on amené devant lui son fils Léon pour qu’il soit psychologiquement brisé en apprenant que c’était son propre fils qui l’avait trahi. Mais il le regarda en face et lui dit : « Mon fils, quelque soit la raison pour laquelle tu as fait cela, saches que je te pardonne ». Il fut à nouveau torturé en le flagellant avec des fouets sur lesquels on avait monté des billes de plomb. et ses bourreaux ont décidé de passer à un niveau supérieur. On amena devant lui quelques uns de ses fidèles qu’ils menaçaient de tuer si jamais il refusait de renier sa foi. Parmi ces fidèles figuraient son assistant Irenée, et deux fidèles, nommés Serapion et Ammonius. Il y avait également trois femmes : Cyprilla, Lucia et Aroa. Mais ces dernières l’encouragèrent à tenir bon et à ne pas s’inquiéter pour leur sort, car elles non plus n’avaient pas l’intention de renier leur foi.
Théodore se mit à parler à ses bourreaux et à leur dire combien il leur pardonnait et priait pour eux. Il se mit à chanter des louanges et des cantiques, quand il fut décidé de l’en empêcher en lui coupant la langue. La bouche plaine de sang, il continuait à entonner des chants juste avec sa voix. On décida de le mettre au cachot pour reprendre les tortures le lendemain. Car les bourreaux ne supportaient plus de l’entende chanter et entonner des louanges à un autre Dieu que l’empereur lui-même.
Le lendemain matin, quand on a été le chercher pour à nouveau le soumettre à la question, on le trouva mort dans sa cellule. Il avait perdu beaucoup de sang durant la nuit, et il n’a pas survécu à son hémorragie. C’était le 4 Juillet 292. Les deux compagnons de Théodore eurent également la langue coupée et les trois femmes exécutées.
Cette histoire serait entrée dans l’oubli si des croyants venus de Russie n’avaient pas bénéficié des services de ce copiste hors paire. Et c’est dans la Bibliothèque de Saint Petersbourg qu’on a retrouvé des livres copiés par Théodore de Cyrène. Ces documents figurent aujourd’hui sous le nom du Hiéromartyre de St Théodore (aussi connu sous le nom de Theuderius) de la Synaxaire russe, qui est le calendrier orthodoxe des martyres. D’autres copies ont été retrouvées aux Etats-Unis, probablement exportées par des chrétiens orthodoxes qui ont émigré en Amérique, puisqu’ils sont classés dans la « Synaxary, Antiochene Orthodox Church of America ».
La documentation existante sur la vie religieuse et intellectuelle en Cyrénaïque va du premier au septième siècle. Elle est répandue dans un certain nombre de bibliothèques dans le monde : Russie, Istambul, Rome Athènes, Londres, Washington, etc. Et apparemment aucun en Afrique du Nord. Il conviendrait de recenser tous ces documents, et d’en obtenir au moins des copies, en vue de constituer une bibliothèque de l’Antiquité Amazighe. Il s’agit bien de patrimoine et de mémoire historique de notre peuple. Cette bibliothèque que beaucoup appellent de leurs vœux tarde à venir, en l’absence de moyens adéquats et de personnes compétentes, capables de réaliser un recensement bibliographique complet.
Nabil Z
Merci pour cet article. Un livre très utile, mais en anglais et difficile à trouver, est celui de Thomas Oden, "Early Libyan Christianity", édité par InterVarsity Press en 2011. Il couvre des personnes comme Tertullien, l'évêque de Rome Victor 1 " l'Africain ", Sabellius et bien d'autres.
Très utile. Je suis de l'Afrique de l'Ouest; je suis étudiant en théologie, et ce blog m'a beaucoup aidé pour mes recherches sur les pères libyens de l'Eglise, en particulier Théodore de Cyrène (martyr). Merci pour vos efforts