Après soixante-huit ans de guerres entre les arabes et les berbères, ces derniers finirent par se convertir à l’Islam, en devenant les égaux des autres musulmans. Cependant, les arabes ne l’entendaient pas de cette oreille, et leur imposèrent les mêmes conditions que celles appliquées aux inconvertis. Commença alors une longue période de disputes et de propagande, chacun essayant de se justifier par rapport à l’autre.
Déjà, à cause de cette même attitude des arabes au Moyen-Orient, un mouvement dit « Kharidjite » est né pour contester leur suprématie par rapport aux autres musulmans. Ce qui ne manqua pas d’arriver également au Maghreb. Car les arabes opposaient aux berbères leur généalogie prouvant qu’ils sont des authentiques arabes, de la même naissance que celle du prophète, justifiant ainsi leur suprématie par rapport aux autres peuples, fussent-ils également musulmans.
Dans un premier temps, certains berbères fabriquèrent leurs généalogies, les faisant remonter jusqu’au Yemen ou à Koreich même, pour dire qu’eux aussi sont de la descendance du prophète. C’est encore le cas des gouvernants marocains- et de celui de Kadhafi- qui se réclament de la descendance d’Ali, cousin du prophète. Les dynasties berbères plièrent ainsi à cette idéologie Omeyyade, et se réclamèrent de l’arabité, pour justifier leur droit d’accession à des postes supérieurs.
Mais d’autres, tenant à leur identité, contestèrent la primauté des arabes sur eux. Ils désignèrent ainsi une délégation conduite par Maysara, qui alla à Damas auprès de Moussa ben Noussayr pour exiger l’égalité entre les arabes et les peules islamisés au Maghreb. Mais rien n’y fait, le Gouverneur de Damas ne les a même pas reçus, et ils revinrent bredouilles. En Algérie et au Maroc, le mouvement Kharidjte prend de l’ampleur, et établit le royaume Rostomide à Tiaret. Des révoltes éclatèrent çà et là, et la chasse aux gouverneurs arabes au Maghreb fut ouverte. C’est ainsi que les gouverneurs de Tanger et de Sousse furent tués. A l’autre extrémité du Maghreb, dans la Tripolitaine, un nouveau royaume est né, sous la conduite d’un certain Abou Al Khattab.
Mais les berbères avaient compris qu’une idéologie ne pouvait pas se combattre uniquement par l’épée. Il fallait donc utiliser les mêmes armes de propagande que l’ennemi, pour tenter de convaincre ceux qui avaient déjà été gagnés par la guerre psychologique menée par les arabes.
Guerre des Hadiths
Pour se faire, chaque camp va déployer tout un arsenal religieux, basé sur des propos attribués au prophète concernant les berbères. Certains leurs sont favorables, d’autres, carrément humiliant.
Ainsi, pour les arabes, les berbères ne valent pas un clou. A l’appui de cette assertion, on rapporte un hadith attribué au prophète lui-même. Selon ce hadith, Anass Ben Malik aurait dit : « je suis allé voir le prophète en compagnie d'un jeune Berbère. Le prophète m’a dit alors : Anass, quelle est la race de ce gamin ? Je lui répondis qu'il est Berbère. Le prophète me dit : Anass vend le même pour un Dinar. J'ai demandé pourquoi Prophète ? Il m'a dit c'est une nation à laquelle Dieu a envoyé un prophète, ils l'ont égorgé et cuit, ils ont mangé sa viande et ont donné la sauce à leurs femmes. Depuis Dieu a dit qu'ils n'auront plus jamais de prophète" ». Comme on le voit, ce genre de hadiths a eu pour effet à la fois d’humilier religieusement les berbères et de rehausser l’image des arabes au détriment des amazighs. Ce hadith a suscité beaucoup de polémiques. Cela rappel les paroles de Salluste dans son livre « Les Guerres de Jugurtha » ou il disait que les berbères se comportaient comme des animaux sauvages. Ce qui a poussé les berbères à répliquer, usant du même stratagème.
Selon un hadith anonyme, on rapporta qu’un jour, un berbère se présenta devant Aïcha, mère des croyants, qui était assise, entourée des nombreux mouhajirines et des ansars. Elle se leva de son coussin et l’offrit au Berbère, accordant ainsi une faveur qu’elle n’accordait pas à son entourage. Les mouhajirines et les ansars furent irrités.Pour justifier son acte, Aïcha aurait dit alors : « Je lui ai fait honneur plus qu’à vous et à moi-même, à cause des paroles prononcées sur eux par l’envoyé de Dieu qui a déclaré : « Gabriel est venu vers moi et m’a dit :" Ô Muhammad, je te recommande la crainte de Dieu et les Berbères. " …. " Ce peuple vivifiera la religion de Dieu quand elle sera morte et la renouvellera quand elle sera usée. ».Un tel hadith fait l’effet inverse du précédent, puisqu’il met les berbères au-dessus des autres peuples. D’autres hadiths furent également introduits dans ces disputes entre arabes et berbères, comme le suivant, toujours anonyme.Omar ben Khattab reçut un jour une députation de berbères. Il leur demanda : Qui êtes-vous ?Ils répondirent : Nous sommes des Berbères Louata. Omar leur dit : Avez-vous des villes dans lesquelles vous habitez ?Des lieux fortifiés dans lesquels vous gardiez vos biens ? Des marchés sur lesquels vous fassiez des échanges ? Ils répondirent : non.Alors Omar se mit à pleurer, et l’assistance lui demanda : Pourquoi pleures-tu, émir des croyants ?Il répondit : Ce qui me fait pleurer est une parole que j’ai entendue de labouche de l’envoyé de Dieu. « Dieu ouvrira à l’Islam une porte du côté du Maghreb ; il lui suscitera un peuple qui le glorifiera et humiliera les infidèles, peuple craignant Dieu et voyants, qui mourront pour ce qu’ils ont vu. Ils n’ont pas de villes qu’ils habitent, ni de lieux fortifiés dans lesquels ils se gardent, ni deux marchés sur lesquels ils vendent. "
Ce curieux hadith est tiré par les cheveux, car justement à cette époque, c’étaient les arabes qui n’avaient ni villes ni fortifications, à part la Mecque, Médine et Taef, et qu’au Maghreb il y avait de vraies villes avec des routes, des universités, une agriculture florissante, une industrie et une économie développée. On peut citer les villes de Cyrène, Leptis Magna, Carthage, Cirta, Hippone, Timgad, Cherchell, Tanger, Volubilis, et tant d’autres, … Cette guerre de propagande tournait donc au ridicule. Mais elle ne s’arrêta pas là, puisque de nombreux autres hadiths vont apparaître, venant d’on ne sait où, allant dans le sens des arabes ou dans celui des berbères, chaque camp tentant de justifier sa position par des prises de positions attribuées au prophète ou à son entourage immédiat.
Ainsi, on attribue à Omar Ben Khattab le hadith suivant : « Quand vient l’heure de la bataille, on combat : nous, les Arabes, pour des Dinars et des Dirhems, mais les berbères, eux, combattent pour la religion de Dieu, afin de la faire triompher ». Ibn Messaoud aurait déclaré : "J’en jure par celui qui tient en ses mains l’âme d’Ibn Messsaoud, si je les atteins, je serai plus obéissant envers eux que leurs esclaves et plus proche d’eux que leur couverture, c’est-à-dire leurs vêtements".Un vrai texte encourageant les arabes à se soumettre aux berbères.
Alors que plus haut on avait vu que les arabes considéraient les berbères presque comme non civilisés, n’ayant ni villes, ni endroits pour se protéger, on attribue à nouveau à Aïcha des paroles flatteuses concernant les berbères, puisqu’elle aurait dit : « Les Berbères savent accueillir les hôtes, frapper avec le sabre et brider les rois comme on bride les chevaux ».
Cette guerre de propagande n’a pas réellement pris fin, puisque depuis cette époque au Maghreb, on continue à distinguer ceux qu’on qualifie faussement d’arabes et ceux qui se réclament de la berbérité. Un jour, il faudra bien faire le tri dans tout ça, et rendre à Massinissa ce qui est à Massinissa qui disait « l’Afrique aux Africains ». Ni aux asiatiques, ni aux européens.
Nabil Z.
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