Qui savait que Saint-Augustin s’était intéressé à la musique au point d’en rédiger un traité pédagogique, montrant combien cet art relève de la pure science ?
Saint-Augustin, fils de Taghaste des quatrième et cinquième siècles, Evêque d’Hiponne, docteur et Père de l’Église, a été l’un des écrivains les plus prolifiques. Il nous a laissé plus de deux cents livres, des centaines de sermons et lettres, traitant de toutes sortes de sujets. Religion, théologie, philosophie, et plusieurs autres domaines. Il a aussi écrit un traité sur la musique qui est extrêmement étonnant.
Juste quelques années avant lui, un autre berbère du nom de Matianus Capella, avait publié une œuvre majeure sur les sept principales disciplines de l’art, dans lequel il avait également inclus la musique. C’est pourquoi encore aujourd’hui, on utilise l’expression « chanter à Capella ».
Saint Augustin s’est intéressé au côté scientifique de la musique. Dans son « Traité de la Musique », il met en scène un élève et son maître, et les fait parler de musique.
Le Traité de la Musique est un livre de six volumes. Les cinq premiers traitent essentiellement de la Rythmique et de la Métrique, tandis que le sixième est consacré à l’aspect philosophique de cet art.
Selon un chercheur français, Gill Daudé, « St Augustin avait une grande préoccupation : retrouver l’unité cachée sous l’infinie diversité qui s’offrait à lui. Unité intérieure de l’individu autant qu’unité sociale, ecclésiale. Une des raisons qui le poussait à accorder une importance à la musique et au chant, et à se décaler des autres pères de son temps ».
Et selon le fils de Taghaste, l’Homme a reçu l’amour du beau, car c’est la marque de la création de Dieu. Et à cause de cela, il est lui-même coincé ente son désir du beau et son incapacité à le produire. Il reconnaît la beauté de l’harmonie, mais sa vie est peu harmonisée dans sa relation avec le créateur, tout comme sa musique et son chant. Entre le créé et l’incréé, il en mesure la distance sans sa vie, sa musique et son chant. Entre l’amour du beau et la séduction du beau.
Car la musique peut devenir séductrice, manipulatrice, outils de prise de pouvoir, prétexte à honneurs et gains démesurés. La musique et le chant sont le lieu privilégié où s’unissent et se concentrent la louange, la prière et l’attente du croyant. L’unité de la communauté (et de la personne) trouve un écho dans l’harmonie de son chant. La musique et le chant rassemblent, expriment et symbolisent tout le non-dit de la personne comme de la communauté. Ce qui est inexprimable dans le langage et les rituels codifiés de la vie et de la foi, se disent dans la musique et le chant, concentrant une forte charge symbolique. L’important n’est pas alors ce qui s’exprime dans les paroles, ni dans l’organisation rationnelle de la mélodie ou de l’harmonie, mais plutôt la puissance émotive de l’émission sonore et de son audition.
Mais ces constations n’empêchent pas de se pencher sur le côté technique de la musique. Le livre I donne des éléments d’arithmétique et de métrique pour une théorie pythagoricienne et platonicienne de la musique ; les livres II à V développent une analyse érudite et complexe du rythme poétique, à l’aide de très nombreux exemples empruntés aux manuels de scansion poétique de l’époque.
Pour l’Evêque d’Hiponne, la musique est une science : elle repose sur une théorie absolue, celle des nombres. Elle n'est pas, comme la prosodie, un ensemble de connaissances tout empiriques et par là elle se distingue de la grammaire qui, pour fixer la quantité des syllabes, se borne à consulter l'usage et l'exemple des grands poètes. Comme ses principes, sa méthode est toute rationnelle : elle déduit des rapports numériques, par une conséquence nécessaire, les rapports qui flattent l'oreille. On comprendra dès lors la portée des passages fort nombreux où l'auteur réclame, au nom de la raison, contre la routine des grammairiens : on ne s'étonnera plus de le voir apprendre la musique à un élève qui ignore les règles de la quantité. Les mots et leur quantité représentent des notes, les pieds, des mesures musicales.
Augustin met au clair la relation entre la musique et les disciplines annexes, comme la poésie et la danse. Ces disciplines y sont associées, mais n’en font pas partie. Elles n’intègrent pas le chœur. D’ailleurs, Platon avait exclu les poètes de sa République car, disait-il, ils ne savent pas allier la philosophie et l’éloquence. La science et ses principes leur échappent. Il fait même cette remarque extrêmement déplaisante «ce sont des gosiers sonores que l'exercice assouplit et que fait mouvoir l'amour d'un vil salaire ou de vains applaudissements ».
Entrant alors dans les détails du sujet, Augustin fixe alors, d’après les propriétés même des nombres, les durées dans le mouvement, leur progression, leurs rapports ; il fixe les limites où s'arrêtent ces mouvements, tout comme les nombres qui les expriment, de s'étendre à l'infini. « Cette précision met la lumière sur le système pythagoricien relatif aux lois mathématiques des sons et des accords. Ce livre accorde le plus grand intérêt à ceux qui voudraient étudier le principe du pythagorisme en dehors de ses applications erronées à la morale ou à la métaphysique », selon un article de Wikiversité.
Cette œuvre de Saint Augustin est considérée comme majeure et de grande importance dans la perception de la musique en tant que discipline scientifique et mathématique. Les amateurs de musique trouveront certainement de quoi les éclairer quand ils se penchent sur la composition, à la recherche de sons et de rythme capables de retenir l’oreille de l’auditeur. Car Augustin distingue entre ce qui est agréable à l’oreille et ce qui est clair à l’esprit. Car les sens profond de l’Homme peuvent avoir une perception différente de celle des sens externes. Augustin entreprend de conduire méthodiquement l’esprit de la mélodie charnelle à l’harmonie incorporelle, « pour que les jeunes gens, voire les hommes de tout âge, dotés par Dieu d’une bonne intelligence, s’arrachent, sous la conduite de la raison, non point précipitamment, mais comme par degrés, aux sensations corporelles et aux littératures charnelles auxquelles il leur est difficile de ne pas s’attacher ».
Selon un article intitulé « Introduction à la philosophie esthétique », Jacques Darriulat explique l’importance de l’oeuvre augustinienne dans son contexte historique : « Il faut sans doute attendre le De Musica de saint Augustin pour que la relation de la musique à la philosophie soit pensée sur des fondements nouveaux. La musique n'est plus pour l'évêque d'Hippone ce qu'elle était pour la tradition philosophique et rhétorique ; elle est un espace de résonance au sein duquel la créature fait l'expérience du Dieu présent au plus intime d'elle-même. Le De Musica est le dernier livre profane conçu avant la conversion, puisque la première rédaction commence en 387, sans doute avant le baptême, qui a lieu au mois d'avril. Toutefois, cet essai ne sera complété par le livre VI, qui lui donne tout son sens, qu'après le retour à Carthage, soit en 389. Mais il ne sera jamais achevé, puisque les six livres du De Musica devaient être suivis, sous le titre général De Melo, de six autres sur la mélodie qui ne verront jamais le jour. En outre, le projet initial prévoyait d'inscrire l'ouvrage dans un ensemble d'études consacrées aux arts libéraux, projet qui sera abandonné ».
De Musica serait donc une œuvre inachevée. Il appartient à nos musicologues modernes de poursuivre ce travail, en développant une musique de qualité augustinienne, dans une réflexion profonde qui s’élèverait au dessus du folklore ordinaire et produirait une musique nouvelle.
Nabil Z.
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