Cette année est particulière en Algérie, en regard de sa production littéraire. En effet, contrairement aux années précédentes, il n’y a pas eu de foisonnement de la création littéraire, preuve d’une pauvreté spirituelle chronique.
Les années précédentes en effet, plusieurs auteurs algériens se sont fait remarquer par une richesse de production remarquable. Ainsi, les Amin Zaoui, Kamel Daoud, Boualem Sansal et autre Yasmina Khadra et Anouar Benmalek se sont fait remarquer par des œuvres littéraires de qualité, gagnant la reconnaissance et le respect de leurs pairs dans les milieux littéraires. Un homme, Meursault ; des lieux, Kaboul et Baghdad et une date, 2084 ont ainsi été des repères littéraires, parmi d’autres qui ont marqué l’univers littéraire algérien de ces dernières.
Les auteurs algériens de cette génération ont peu à peu su reconquérir le monde littéraire laissé quasiment vide par la disparition des géants tels que Kateb Yacine, Mouloud Feraoun et Mouloud Mammeri. Ces derniers ont pour toujours marqués l’histoire de la littérature de notre pays, et leur stature n’est pas facile à égaler. Mais cela n’a pas empêché l’amour de l’écriture de prendre le dessus dans une génération qui n’a pas été préparée pour cela. Car en effet, ces nouveaux auteurs sont quasiment apparus après la décennie noire. Yasmina Khadra était encore dans l’armée, Kamel Daoud derrière son journal, Sansal derrière son bureau et Benmalek devant son tableau. Leur émergence sur la scène littéraire n’a donc pas été le fruit du hasard, mais l’expression d’un talent enfoui, qui attendait le moment propice pour éclore. Outre méditerranée, nombreux étaient ceux qui pensaient que c’en était fini de la littérature algérienne. Et c’est pour cela que la surprise a été énorme.
Mais dans tout ce beau monde, il y a quand même des « dinosaures » qui ont réussi à traverser le temps, puisqu’activant sur la scène littéraire depuis plusieurs décennies. Parmi eux, Rachid Boudjedra qui n’est plus à présenter. Et cet écrivain à des particularités étonnantes, dont le talent et à la fois la prétention ne sont pas des moindres.
Rachid Boudjedra, un Dinosaure de la Littérature Algérienne.
Boudjedra a commencé à écrire très jeune. Il a personnellement connu et entretenu des relations sous diverses formes avec les écrivains de l’ancienne génération, à l’exemple d’Albert Camus, Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, et Rachid Mimouni. Il s’est fait connaître par plusieurs romans et essais, remarqués et reconnus sur la scène littéraire, lui donnant ainsi la stature d’un grand écrivain. Sa plume et ses idées ont attiré l’attention de plusieurs éditeurs et critiques littéraires, lui ouvrant des espaces d’expression outre Méditerranée. Ls succès aidant, Rachid Boudjedra s’est mis à se comparer à Marcel Proust. Il a eu du mal à accepter le succès de « Nedjma » de Kateb Yacine, estimant que ses livres étaient meilleurs. Il a critiqué les positions de Camus, essayant de le sortir de la sphère littéraire pour le trainer dans celle de la politique. Rachid, ancien officier de l’ALN a évidemment des positions tranchées sur la chose politique. Communiste convaincu, il ne craint pas de mouiller sa chemise, notamment contre l’islamisme et le terrorisme. Ce qui lui a valu une certaine admiration pour son courage et son engagement.
Rachid Boudjedra a également connu une crise identitaire. Tout comme Malek Haddad, il se demandera pourquoi il était obligé d’écrire en français, langue étrangère, pour se tourner vers l’arabe, « sa langue maternelle ». Dans une conférence publique un lecteur lui a demandé pourquoi il revendiquait l’arabe comme langue maternelle, alors qu’il est chaoui, de mère tout-aussi chaouie. Toujours-est-il que son expérience de la langue d’El Moutanabi a été un fiasco, puisque son genre littéraire n’a pas pignon sur rue dans le monde arabe. Seule Ahlam Mostaghanemi a réussi à percer dans ce monde aux mœurs littéraires différentes de celles du Maghreb.
Revenu à la langue de Molière, Rachid a perdu sa plume, se contentant d’écrire avec un crayon gris obscure, difficilement lisible. Le succès a depuis longtemps migré vers une nouvelle génération qui commençait à pointer du nez. Et Boudjedra a du mal à l’accepter. Ce qui peut aisément se comprendre. La succession des erreurs de choix et de stratégies ont emmené le grand écrivain à reculer et à goûter la solitude, le marginalisant et le faisant oublier du public. Ses tentatives de retour sur la scène littéraire son ponctuées de scandales, puisqu’il a été accusé de plagiat.
Mais l’Escargot entêté ne s’arrêtera pas là. Il va investir dans un média qu’il ne connait pas, et prendra le risque de se faire piéger par des jeunes plus forts que lui.
Durant le mois de Ramadhan dernier, Boudjedra est invité à une émission de télévision ou il se fera malmener. L’affaire prend des dimensions nationales, faisant intervenir même Saïd, le frère du Président, qui lui apporte son soutien. L’opinion publique a été secouée par cette affaire, d’autant plus que chez les jeunes, Boudjedra est un illustre inconnu. De plus, ses tentatives de retour sur la scène littéraire lui valent des critiques virulentes, allant même jusqu’à l’accuser de plagier d’autres auteurs. On croyait l’écrivain victime d’une répudiation de la scène littéraire, mais c’était mal le connaître.
Cet automne, il vient de publier un pamphlet intitulé « Les contrebandiers de l’histoire » dans lequel il fustige toute cette génération de nouveaux écrivains à succès. L’angle d’attaque est convenu, puisqu’il s’agit de reproches concernant leurs positions qu’il trouve ambigües sur la colonisation et la guerre livrée aux Palestiniens. Certains lui ont reproché à cet égard de mener encore des combats d’arrière-garde, sans proposer d’idées nouvelles, ni de pistes de réflexion, mais de rabâcher le même discours qui est rejeté et ignoré de tous.
Boualem Sansal, Yasmina Khadra et Kamel Daoud ripostent chacun à sa manière. L’un par une lettre, l’autre par dépôt de plainte auprès de la Justice. Rachid Boudjedra est ainsi à son tour, traîné dans la boue, puisque dans les réseaux sociaux, il est accusé d’être jaloux du succès des autres. Au lieu de prouver sa supériorité en produisant mieux, il a préféré casser du sucre sur leurs dos.
Quand le débat intellectuel déserte le domaine des idées pour se consacrer à la critique des personnes, il y a danger. Il ne s’agit pas de se tirer dans les pattes, mais de discuter des idées et opinions, dans le respect des uns et des autres. Il s’agit bien de dialogue et non de guerre. L’autre écrivain est un confrère, et un adversaire sur le plan des positions et de la pensée, par un ennemi à abattre. Boudjedra semble confondre les choses, puisque le succès de ses confrères relève de l’usurpation de titres, plutôt que de la consécration des talents. Les reproches qu’il fait à ses confrères ne sont pas justifiés, même s’il a le droit de ne pas partager leurs idées. Peut-on reprocher à Anouar Benmalek d’être comparé à William Faulkner, et à Daoud de publier dans le New York Times ? Peut-on critiquer Sansal pour avoir obtenu le prix de l’Académie Française et à Khadra de vendre ses livres par millions et dans plusieurs langues ? En se débarrassant de ses rancunes et autres frustrations, Boudjedra pourrait avoir un sursaut littéraire salutaire dont l’Algérie a bien besoin. Faudrait-il lui rappeler qu’en somme, les écrivains de talents qui percent à l’international dans notre pays sont tellement peu nombreux qu’on gagnerait plutôt à les encourager plutôt qu’à les abattre ? Il faudrait même en encourager d’autres, puisque c’est la voix de l’Algérie, une autre Algérie qu’ils portent à l’international. Une Algérie qui a évolué et changé, qui aspire à l’émancipation et à l’épanouissement. Une autre Algérie à laquelle s’accroche encore Boudjedra et qu’il ne veut pas laisser partir pour faire place à celle des millions de jeunes qui aspirent à la paix, à la joie et au bonheur.
Malheureusement, Rachid Boudjedra n’est pas seul à porter ce combat d’arrière-garde. Il est soutenu en cela par de nombreux caciques pourtant dépassés et condamnés par l’Histoire. Si l’apport de ces gens dans les temps passés a permis à l’Algérie de franchir une étape dans son histoire, force est de constater que leurs fruits ne sont pas ce qu’on en attendait. Si la scène culturelle et littéraire est aussi médiocre aujourd’hui, c’est parce que ces mêmes combattants d’arrière-garde ont mal compris le sens de l’Histoire. Le train avance et ne recule pas. Et ni Boudjedra ni les autres n’ont de force pour le retenir. S’ils ne montent pas dedans, ils resteront en gare qui risque bien de servir de cimetière aux dinosaures.
De grâce, repartons sur le terrain de la littérature et des belles lettres, des idées et des opinions, et laissons les morts enterrer leurs morts.
Nabil Z.
Comentários