Il y a deux ans, était publié en Norvège un livre exceptionnel d’un certain Egil Magne Hovdenak, « Algeriske erfaringer » racontant ses expériences algériennes vécues en Kabylie dans les années cinquante et soixante.
Egil Magne Hovdenak avait 25 ans lorsqu'il a visité l’Algérie pour la première fois. C’était en 1952, deux années avant le déclenchement de la guerre d’Algérie. Egil était un militant pacifiste qui se souvenait de la souffrance qu’avait vécue son propre peuple durant la deuxième guerre mondiale. Son voyage en Algérie était quelque peu militant, puisqu’il activait déjà à l’époque pour la paix dans le monde. L'année suivante, il est retourné en Kabylie, frappé qu’il était par la région et ses habitants. Il voulait faire quelque chose pour venir en aide à ces populations démunies, manquant de tout sous l’occupation coloniale. Albert Camus a longuement décrit cette situation dans la presse, puis dans un livre célèbre, « la misère de la Kabylie ».
Egil Magne Hovdenak a commencé par apporter des soins à la population, en se déplaçant dans dix villages de la région d’Ouacif, sur les montagnes de la Kabylie. La rencontre avec ces berbères dans une colonie gouvernée par les Français a été le début d'une amitié qui s’est prolongée tout au long de sa vie, et qui a inspiré son engagement pour le travail de développement basé sur la coopération avec les populations locales dans le respect de leurs propres initiatives.
La période de la guerre de libération n’a pas permis à Hovdenak de travailler librement parmi les populations, et ses activités étaient constamment interrompues par le climat caractérisant le combat pour lalibération du pays. De plus, les autorités françaises ne voyaient pas d’un bon œil le fait qu’il puisse dispenser des soins à ces « fellagas » que l’armée coloniale voulait réduire à néant.
Après l'indépendance algérienne acquise en 1962, Hovdenak retourna en Algérie avec sa femme et ses deux jeunes enfants, et reprit le travail avec ses amis dans les montagnes. Les Quakers norvégiens et européens avaient pris en charge un projet de développement, et des bénévoles de plusieurs pays ont été recrutés pour venir en aide à ses populations dans l’espoir de leur fournir un minimum de moyens pour assure leur développement. Dans ce livre, Hovdenak raconte ce qui l'a poussé à agir. Il raconte les défis de diriger un groupe de bénévoles pour contribuer à la reconstruction et au développement d'une municipalité déchirée par la guerre en Kabylie. Les notions traditionnelles de la façon dont l'aide au développement de l'extérieur serait entraînée constituaient un obstacle. Hovdenak a rejeté la notion de projets pré-établis qui seraient comme un fardeau mis sur les épaules des habitants. Il a été un pionnier dans la conception d'une stratégie de développement basée sur le respect des désirs, des besoins et des initiatives locales, et en étroite collaboration avec le gouvernement du pays. Le livre est une histoire unique de la façon dont le respect mutuel, la compréhension culturelle et l'amitié forment la base d'une bonne coopération entre les serviteurs et le peuple de Kabylie. Il donne l'occasion de poursuivre l'avancement avec les moyens et la volonté du peuple. Ce qui implique qu’en aucune façon, son équipe n’a à aucun moment imposé sa vision au détriment des traditions et de la culture de laKabylie.
Le livre a été publié en norvégien, et Hovedenak, a été surpris par la réaction de se ses anciens amis qui ont énormément apprécié l’initiative de parler d’eux et de son expérience en Kabylie. Il a donc promis de le faire traduire en français, et pourquoi pas, le faire éditer en Algérie afin de le rendre disponible et à prix abordable. Il faut se rendre compte que l’auteur a près de quatre-vingt-dix ans aujoud’hui.
En apprenant la sortie de ce livre, ses anciens compagnons n’ont pas manqué de le faire savoir sur les réseaux sociaux et de réagir positivement à sa publication, tout en regrettant qu’il ne soit pas encore disponible en français. Ainsi, Moha Mebarki rappelle que Hovdenak a été « très actif dans la commune de Ouacif, surtout à Ait-abbas ou il a contribué à la construction d'un immense château d'eau, Zoubga et Tizi l'tenine ou on lui doit la clinique d'accouchement et des activités d'éducation. C'était un bienfaiteur au cœur immense. Je l'ai toujours en mémoire. Nous lui devons beaucoup et on doit lui rendre hommage ».
Nachid Nasri quant à lui se rappelle que « Il y avait même des norvégiens à zouvga ouacifs après l’indépendance. Je me rappelle quant on allait à la bibliothèque gérée par une vielle norvégienne. Elle nous a éduqués, appris la lecture des livres en français, et elle nous a même projeté des films de dessins animés et beaucoup de choses pendant notre enfance. Nous leurs sommes très reconnaissants pour tout ce qu’ils ont fait ».
En effet, beaucoup de « coopérants techniques » sont intervenus dans le pays dès les premières années de l’indépendance, pour aider les population à s’en sortir en démarrant une nouvelle vie, surtout en comptant sur eux même, sans rien attendre des autres. Ils ont en partie réussi leur pari d’accompagner ce peuple lors de son passage de la domination coloniale vers l’inexpérience de la vie indépendante. Ils méritent évidemment un grand hommage, et l’Algérie ne devrait pas les mettre dans des oubliettes. Bien au contraire, leur mémoire devrait être honorée. Dans son livre, Hovdenak rappelle un dicton kabyle qui l’a beaucoup touché et qui dit : « Celui qui a des amis dans les montagnes n'a rien à craindre dans les basses terres ».
Nabil Z.
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