On connait les noms de quelques héroïnes qui ont jalonné l’histoire des Berbères, depuis l’époque d’Elyssa-Didon de Carthage, de Sophonisbé de Cirta, de la Kahina, de Tinhinane et de quelques autres. Toutes ont vécu sur le territoire de Tamazgha. Mais il en existe une autre qui a vécu en Andalousie, au 9 ème siècle.
Djamila, appelée en espagnol Yamila, était une guerrière qui a marqué l’histoire maure de l’Espagne. Même s’il reste encore de nombreuses zones d’ombre dans son récit, nous avons suffisamment d’informations pour raconter sa vie et ses exploits.
Plusieurs sources, même sans vraiment donner de détails, font référence à la vie de Yamila l’Andalouse. La première d’entre elle a été le fait de l’historien Andalou Abou Marouan Ibn Hayyandans son livre « Al Moqtassib ».
Cette information a été rapportée dans un article publié par l’artiste et écrivaine espagnole Carmen Panadero Delgado intitulé "Yamila, l'indomptable Berbère", après de longues recherches sur cette femme qui a été longtemps chantée dans les fêtes et événements sociaux parmi les Berbères Maures.
Ibn Hayyan a dit de Yamila qu’elle était « «la soeur de Mahmoud, et qu’elle a joué un rôle notoire et exceptionnel dans un combat, commenté par les habitants des différentes régions d'Al-Andalus, et ses exploits ont longtemps été racontés lors de mariages dans les régions occidentales.»
Yamila était une Berbère Maure de la tribu des Masmouda, une des plus importantes à son époque, puisque c’est elle qui a fondé les dynasties Almohade et Hafside. Sa famille était connue pour sa rébellion permanente contre les tenants du pouvoir, accusés d’injustice et de despotisme. Le Père de Yamila Abdeoul Yabar, avait plusieurs enfants, dont Yamila et son frère Mahmoud. La famille s’est installée dans la région de Séville, et a mené plusieurs combats contre la famille régnante. On ne connaît cette partie de l’histoire que grâce à ce qu’ont rapporté les Razi, père et fils.
Mahmoud, en compagnie d’autres rebelles, avait d’ailleurs réussit à s’emparer de plusieurs forteresses, dont Marida. C’est pourquoi on l’a appelé El Maridi. Le souverain en place à l’époque était Abdourahman II. Il allait lui-même au combat pour mettre fin à la rébellion de Mahmoud, mais sans succès. Ni la force, ni la diplomatie n’ont réussit à mettre fin au soulèvement dirigé par lafamille de Mahmoud, de son frère cadet et de sa sœur Yamila.
Carmen Panadero Delgado raconte : « Les nouvelles que les textes recueillent sur le soulèvement de Mahmoud ben Abd al-Yabbar sont abondantes. Le chroniqueur Ben Al-Qutiyya le rapporte à une autre rébellion qui s'est produite dans le passé contre Al-Haqem I et avec un certain Qanab de Morón, probablement le même dans lequel le père de Mahmoud était impliqué. Après avoir vaincu Qanab, il s'est réfugié à Mérida, où il est resté jusqu'à sa mort; après sa disparition, les frères Beni Abd al-Yabbar ont pris le commandement de la révolte, dirigée par le fils aîné, Mahmoud. Le rôle principal de ce rebelle a commencé en mars 828 et, selon Levi-Provençal, un Muladi, Sulayman ben Martín, était son collaborateur ».
Elle ajoute plus loin : « L'émir Abd al-Rahman II est venu personnellement à plusieurs reprises pour tenter de pacifier la région et les a soumis à des sièges successifs. Un grand nombre de Muladi, de Mozarabes et de Berbères les avaient rejoints, car de nombreux soulèvements ont alors éclaté contre le pouvoir central et contre ses clients arabes. Mais ce qui est exceptionnel dans ce cas, c'est qu'une femme, Yamila, s'est démarquée pour ses dons de guerrière dans la société andalouse ».
Celle-ci a été décrite par les historiens comme une guerrière si habile dans le maniement des armes qu'elle s'est élevée avec le reste de sa famille contre l'émir Abd al-Rahman II. Elle était considérée comme « la Vierge célèbre pour sa grande beauté, sa grâce, sa bravoure, son courage et son sens de la chevalerie ». Elle arrivait même à concurrencer les hommes par sa maîtrise des techniques de combat. Pour certains historiens, elle avait acquis sa maîtrise des armes dès son jeune âge. Certaines sources racontent qu’au sein de l’armée de Mahmoud son frère, elle dirigeait une compagnie de femmes combattantes chargée de venir en appoint lors des batailles les plus acharnées.
Carmen Delgado décrit une des batailles dans laquelle Yamila a participé. « Lorsque les forces de Beja ont galopé avec plus d'enthousiasme, à un moment donné, certains des chefs qui ont avancé en tête ont remarqué que le sommet et le côté d'une colline voisine étaient parsemés d'une armée hétéroclite et hérissés de lances. C'étaient les femmes berbères - bien que les hommes de Beja ne pouvaient pas voir la tromperie à leur distance - dirigées par une très jeune Yamila qui montait un léger coursier sans selle et tenait une bannière flottante dans sa main gauche ».
En 833, lors d’un combat très violent, Abdourrahmane II réussit à reconquérir Mérida et à en chasser Mahmoud et sa famille qui allèrent trouver refuge aux Asturies. Le roi chrétien leur a offert l’asile et donné une ville pour y habiter. Mais en 840, le roi des Asturies soupçonna Mahmoud de trahison, et engagea une bataille contre lui. Mahmoud y trouva la mort, tandis que Yamila fut arrêtée.
Le sort de Yamila va être joué à partir de ce moment là, puisque les espagnols qui l’avaient déjà remarquée, furent éblouis par sa beauté et son intelligence. Tout sera mis en œuvre pour gagner son cœur, et la belle Yamila finit par se convertir et devenir chrétienne. Les nobles de toute la région se la disputèrent et finirent par tirer au sort pour voir qui allait avoir le privilège de l’épouser. Car Yamila a été traitée avec respect, et n’a pas été réduite en esclavage comme c’était l’habitude de traiter les prisonnières de guerre. Tout ce que l’on sait de la suite de cette histoire, telle que racontée par Ibn Hayyan, c’est que ce fut un des plus grands nobles des Asturies qui l’épousa. «Les notables chrétiens ont persisté, compte tenu des vertus qu'elle avait : ascendance, beauté et courage, au point qu'ils ont fait un tirage au sort, et c'était pour l'un des plus grands d'entre-eux, qui l'a faite chrétienne et l'a épousée. Il a eu des enfants avec elle, dont l'un était plus tard archevêque de l'église de Santiago de Compostelle, prestigieux parmi les chrétiens de cette époque.»
Yamila l’Andalouse a donc eu des enfants, et l’un d’entre eux est devenu Archevêque, en charge du diocèse de Compostelle. On connait bien Saint Jacques de Compostelle, lieu de pèlerinage de dizaines de milliers de personnes chaque année, tel que le raconte Paulo Coelho dans « Le Promeneur de Compostelle ».
On ne connaît cependant ni le nom du mari de Yamila, ni celui de son fils devenu Archevêque de Compostelle. Mais Carmen Delgado a promis de poursuivre ses recherches et s’est réjouie d’avoir ainsi ouvert un chemin pour d’autres chercheurs pour aller au plus profond de cette histoire.
Nabil Z.
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