Kamel Daoud, l’auteur de Meursault, contre-enquête, récidive en publiant la semaine dernière un nouveau livre intitulé Zabor ou Les psaumes.
Le titre pourrait porter à confusion, tant il fait référence à quelque chose de connu dans le monde, à savoir Les Psaumes du roi David, ou le Zabor de Sidna Daoud. Kamel Daoud en revendiquerait-il un lien de parenté ? En fait, le journaliste-écrivain prend le lecteur à contre-pied. Si les Psaumes sont un recueil de prières poétiques et prophétiques, ce livre publié chez Actes-Sud est un peu le contraire. Il est une somme de questionnements qui accompagnent Kamel Daoud dans sa vie. Ce texte est déjà qualifié par la critique comme «puissant et poétique». L’auteur se lâche et parle. En parlant, il écrit. Et en écrivant, il fait preuve d’une boulimie d’écriture. Ce qui démontre que son texte l’a travaillé longtemps, avant qu’il ne lui donne vie. On sent une sorte de brûlure au fond de l’écrivain, qui n’a trouvé d’autre extincteur que l’écriture, l’expression écrite de pensées profondes, enfouies dans ses souvenirs les plus lointains.
Zabor ou Les psaumes, est une démonstration de la maîtrise des mots. Tout est pesé au gramme près. Aucun mot n’est déplacé, une idée inappropriée. Tout est juste à sa place. Si le texte a longtemps travaillé l’auteur, on ne sait pas si Daoud a travaillé son texte ou l’a transcrit de manière mécanique ou machinale. L’auteur de Meursault contre-enquête est passé maître dans l’art des mots. D’ailleurs, au fur et à mesure qu’on tourne les pages du dernier né de Kamel, on se rend compte que son style se perfectionne au fur et à mesure des lignes et des paragraphes. Le texte se bonifie et l’histoire s’approfondit. On pourrait presque dire qu’on ne lit pas Kamel Daoud, on l’écoute. Parce que son texte parle. On l’imagine bien, le long des pages raconter oralement son histoire. Avec son accent et sa gestuelle. Il raconte sa vie, depuis son enfance : «J’écrivais dans une langue étrangère qui guérissait les agonisants et qui préservait le prestige des anciens colons», dira-t-il.
Avec lui, pas de tabou en ce qui concerne la langue de Molière. Il se l’est appropriée, avec ou sans la recommandation de Kateb Yacine qui la disait «Butin de Guerre». Cela n’a pas été sans conséquences dans la vie du futur écrivain : «Quand je me souviens avec netteté et que j’utilise les bons mots, la mort redevient aveugle et tourne en rond dans le ciel, puis s’éloigne.» L’écriture est-elle salutaire ? Oui, mais comment ? Il répond : «Pour sauver une personne en écrivant, il faut lui restituer son histoire, la lui faire boire comme une eau sacrée, doucement, en lui penchant la tête pour que le souvenir ne l’étouffe pas.» La douleur des souvenirs est ainsi rappelée et convoquée dans ce texte. Tous les souvenirs ne sont pas bons. Même ceux qui le sont ne devrait pas revenir en force, de peur de se laisser engloutir dans le passé, oubliant le présent et hypothéquant l’avenir. Et cette langue va devenir sienne au plus profond de son âme, puisqu’elle contribuera de façon décisive dans la construction de sa personne et de sa personnalité. Il dit : «Cette langue fut définitivement marquée par mon corps, mon sexe, la naissance de mon désir. Elle en porte la trace, le poids, les marques d’éveil et d’assoupissement, le pli honteux de l’entrejambe et l’érection de la lettrine inaugurale.» Mots crus dits avec pudeur. Mais si réels, si profonds. Il y a des réalités que Kamel n’est pas prêt à cacher. Le tabou ne devrait pas être une barrière entre lui, sa vie et la réalité du monde.
Toutefois, ce livre n’est pas vide de pensées spirituelles. Il est même d’essence spirituelle. La quête de Dieu le fait se rapprocher de ceux qui l’ont connu au plus près. Et le Roi-Prophète, auteur des Psaumes, n’a pas laissé Daoud indifférent. «Me revient l’histoire de Daoud, David de l’autre Livre, le prophète à qui Dieu donna une voix unique et la possibilité d’élever un chant auquel les montagnes faisaient chœur.» L’a-t-il lu ? S’en est-il inspiré ? Sur quelle arche l’écrivain-journaliste s’est-il laissé embarquer pour aller à la rencontre de celui qui a inspiré le Zabor ? Sans être irréligieux, le livre pose des questions pertinentes, notamment en ce qui concerne ceux qui usent de la religion à des fins inavoués. Il rappelle le récit de la création et s’y retrouve subtilement : «Oui, oui, la création est un livre, et c’est le mien.» Mais il se pose plutôt en ange, puisqu’il se compare au Gardien : «Je suis le gardien, je fais reculer la mort des miens car ils sont essentiels et dignes d’éternité.» A-t-il enfin compris que la Parole est esprit et vie ? A-t-il compris que la Parole est créatrice ? Ce qu’il pourrait y avoir de divin en l’Homme, se traduirait-il par la Parole ? A coup sûr, ce livre donnera à réfléchir à plus d’un.
Entre la tendresse des mots et la rudesse des pensées, Kamel Daoud remet en place les prétendants au trône divin. Il ne fait pas dans la critique gratuite ou dans la provocation stérile. Il pique et attend la réaction. Et avant même que celle-ci n’arrive, il relance sa pique d’une autre manière. Il pousse le lecteur à sortir de ses idées préconçues, quitte à le choquer par des interrogations multiples, allant au-delà même de ce qui pourrait être acceptable par les esprits retords. Soit on accepte d’aller plus loin avec Kamel Daoud, soit on descend du train avant qu’il n’aille plus loin. Car, après ce livre, on imagine bien que l’auteur n’est pas encore arrivé au bout de ses questionnements. Il va certainement aller plus loin, et les Psaumes ne pourront lui être que d’un bienfait certain.
N. Si Yani
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