Les Phéniciens n’ont jamais existé. C’est pourquoi nous ne pouvons pas les trouver. C’est en quelques sortes, le résumé de la thèse de Josephine Quinn qui vient de publier un livre à ce sujet..
Pour commencer, l’écrivaine américaine, professeur d’histoire ancienne à l’Université d’Oxford,affirme dans son livre que « les phéniciens n’ont jamais existé en tant que groupe ou« peuple, conscient de lui-même.» Certains individus s’appelaient en effet « phéniciens », et les Grecs désignaient des marins et des commerçants méditerranéens comme phéniciens, mais en ce qui concerne leur identité réelle, ils se seraient trompés.
Pour notre auteure, « le terme «phénicien», en fin de compte, désigne tout le monde et personne à la fois, et ils sont devenus, au fil de l'histoire, une création nationaliste, revendiquée comme ancêtres par des peuples aussi divers que les Libanais et les Irlandais ». C’est avec ce peuple que Josephine Quinn commence son livre « In serach of the Phoenicians », à la recherche des Phéniciens, l’action se déroulant dans un lieu appelé Baile Beag, un lieu imaginaire. Hugh O’Donnell, un ancien maître d’école, cite l’Énéide de Virgile, dans laquelle le poète déplore la destruction de l’ancienne Carthage. Cette ville serait une ville phénicienne et apparemment, au début du XIXe siècle, des érudits irlandais pensaient qu'il y avait eu un peuplement lointain dans un passé lointain en Irlande et que la langue irlandaise avait été développée à partir de l'ancien phénicien! Quinn affirme que les Libanais ne se considèrent pas comme des Arabes parce qu’ils se sont approprié les anciens Phéniciens comme leurs ancêtres.
C'est une idée surprenante de faire avancer une théorie provocatrice qui suggère essentiellement que les Phéniciens peuvent être vus comme une construction du nationalisme d'autrui, et cela nous amène à envisager des questions plus larges telles que la nature de l'ethnicité et de l'identité, et c'est ici que Quinn, frappe un grand coup et engage le lecteur de front. Elle considère les Phéniciens comme un groupe diversifié de personnes qui ont peut-être eu des liens communs, mais qui n'ont jamais été un pays ou un "collectif". Les liens communs incluent, par exemple, le culte du dieu Melqart, l'équivalent d'Herakles, dont le culte est originaire de Tyr (la ville qui a prétendu que Phoenix est son fondateur) et s'est répandu dans toute la Méditerranée. Mais Quinn en trouve d'autres dans l'étude du monnayage, de la poésie, du théâtre, de l’art, du langage et de l’archéologie, ainsi que des activités communes de navigation, d’architecture et d’exploration.
« Le fait que des êtres humains soient liés par des artefacts ou des activités communs n’n fait pas toutefois un seul peuple »; quand Hérodote, qui semble avoir inventé le terme «phénicien», en a parlé, il nous a dit qu'ils étaient originaires de la région de la mer Rouge et qu'ils s'étaient installés dans la région méditerranéenne. On pourrait donc dire qu'Hérodote a «inventé» les Phéniciens pour les distinguer peut-être des Grecs et d'autres peuples; le mot phénix en grec signifie en fait «palmier», et un grand nombre de pays ont des palmiers. Comme le dit Quinn, le "premier Phénicien" était probablement Heliodorus d'Emesa (3ème / 4ème siècle de notre ère), qui dans son roman Aethiopika s'appelait lui-même "un phénix d'Emesa".
Quinn considère donc que les Phéniciens sont un groupe répandu de personnes culturellement diverses (en fait, comme les Grecs eux-mêmes), et non comme une nation, au sens classique du terme. Elle soutient de manière convaincante que la «nation» phénicienne peut être considérée comme une construction du nationalisme apparu plus récemment, pour la plupart aux XIXe et XXe siècles.
Cependant, nous pourrions considérer que cela fait simplement partie de la façon dont nous avons tendance à voir les choses au 21e siècle; le nationalisme est en retrait depuis un certain temps et la diversité est devenue le mot à la mode. Les Phéniciens, entre les mains de Quinn, deviennent l’opposé d’un groupe de «melting-pot», et le nom montre simplement que les êtres humains ont tendance à rechercher l’identité, qu’elle soit la leur ou celle de quelqu'un d’autre, car elle facilite les choses. Quinn écrit beaucoup sur l'identité dans ce livre, et elle a une approche originale et convaincante. C'est pourquoi les Irlandais et les Libanais font leur apparition, tout comme l'ancienne Carthage, le Levant romain et la Tunisie moderne. C’est comme si quelqu'un déclarait: "Nous sommes tous phéniciens maintenant."
« Nous avons peu de preuves, voire aucune, affirme Josephine Quinn, pour montrer que les Phéniciens se considéraient comme un seul peuple ou une seule nation ». Selon elle, « les gens avaient tendance à penser que l'identité était liée à leurs villes particulières. C'étaient des Sidoniens, des Tyriens ou des Carthaginois qui s'identifiaient à certaines traditions culturelles, économiques, religieuses ou sociales communes ». Elle ajoute : « le fait d’être phénicien» a été «un outil culturel et politique», mais n’est jamais devenu ce que nous appelons maintenant «l’identité» ».
La conclusion de l’ouvrage de Joséphine Quinn, par ailleur très documenté, est que « c'est le nationalisme moderne qui a créé les Phéniciens, avec beaucoup d'autres éléments de notre idée moderne de l'ancienne Méditerranée » Cette vision trouve ses origines au début de la période moderne et se développa au XIXe siècle pour devenir un concept d’ethnicité avec le mythe au centre d’un passé construit. Les gens ont besoin d’épopées nationales, et s’ils ne les ont pas, ils peuvent annexer une histoire ou une mythologie pour nourrir leur nouvelle fierté nationale.
À la fin de son livre, Quinn revient en Irlande et l'analogie de Carthage, qui, malgré le fait que Rome l’ait rasée et jetté du sel sur tout son territoire, n'a pas été définitivement détruite. Quinn nous montre que l’identité peut être fluide et que, par le passé, son aspect national signifiait bien moins que, par exemple, un culte partagé ou une tradition partagée de la navigation et du commerce par des personnes dans une certaine zone géographique.
Le livre passionnant de Josephine Quinn est un livre qui soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses, mais il nous invite à revoir le sens du concept de «nation» dans son ensemble et à remettre en question la façon dont les êtres humains se regardent et se classent. Au final, les Phéniciens sont vraiment tout le monde et personne à la fois. Il est dommage qu’elle ne se soit pas penchée sur le cas des Puniques, considérés comme Phéniciens d’origine. Qui étaient alors les Puniques, et comment se sont-ils retrouvés dans une position qui menaçait Rome jusque dans son existence ? Et quel est le rapport avec le peuple autochtone Berbère ?
Pour le savoir, il faudra certainement lire « The Punic Mediterranean: Identity and Identification from Phoenician Settlement to Roman Rule ». Ce que nous tenterons de faire dans une prochaine édition. Mais il faut retenir le fait que cette enseignante a beaucoup écrit sur l’Afrique du Nord. Sous forme de livres ou d’articles spécialisés.
Nabil Z.
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